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Qui le croirait? ces mots avec méthode (hervez ar reiz) déplurent au censeur, et le voilà effaçant, et écrivant à l'encontre de

notre auteur:

Encore une fois, peu importe que les livres bretons soient composés hervez ar reiz ou non; l'essentiel est que la doctrine soit bonne. Il faut retrancher ces mots hervez ar reiz. »

De pareils principes de critique ne rappellent-ils pas ceux du vieux professeur de théologie qui, ayant un peu oublié son latin à l'étranger, disait à ses élèves, trop bons latinistes à son gré :

«Non agitur de verbibus sed de reis, modo sit sententia bonus. Plus heureux que l'abbé Henry, les deux traducteurs de l'Imitation de Jésus-Christ, qui ont soumis, comme lui, leur œuvre à l'autorité épiscopale, par une déférence toute filiale et libre, ont trouvé, grâce à l'archevêque de Rennes, un juge moins méticuleux que le censeur de la Vie de Jésus-Christ; et Mer Sergent, ayant pris connaissance de l'approbation donnée à leur livre par son métropolitain « dans les termes les plus honorables et après un examen sérieux, en a autorisé l'impression dans son diocèse.

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J'ai cité les termes dont se sert l'archevêque breton pour recommander cet ouvrage. La réponse que reçut le colonel Troude à sa demande d'approbation n'était pas moins flatteuse. Que Mer SaintMarc me pardonne d'en reproduire une phrase: elle achèvera de montrer aux Bretons quel cas il fait de leur langue et de ceux qui l'écrivent comme le savant colonel.

<< Portant le plus grand intérêt à tout ce qui peut contribuer à conserver dans notre chère Bretagne l'antique idiôme de nos pères, et, avec lui, nos saintes et patriarcales habitudes, je n'ai pu voir votre pieuse entreprise qu'avec plaisir et reconnaissance. Veuillez bien, mon cher colonel, en recevoir la toute bretonne assurance, avec celle de ma plus tendre estime en Notre-Seigneur JésusChrist. »

Jamais certes, estime aussi haute ne fut mieux placée : la lecture de l'ouvrage de M. Troude et de son digne collaborateur la fera partager à quiconque est en état de juger du mérite d'un livre breton. Ils ont mené à bonne fin une des œuvres les plus difficiles que je

connusse. Leur maître lui-même, Le Gonidec, y avait à peu près. échoué son purisme un peu exagéré, son désir de rendre mot pour mot en breton un original dont le génie est l'antipode du génie celtique, son archaïsme, parfois sans motif sérieux, jettent çà et lå sur sa traduction encore inédite certaines obscurités fâcheuses. Ses deux ou trois prédécesseurs du XVIIIe siècle, dont Marigo a endossé l'œuvre telle quelle, péchèrent par le même défaut, mais en sens contraire, je veux dire qu'ils adoptèrent tout simplement les termes abstraits du texte latin francisés. Au lieu des archaïsmes de Le Gonidec, qui, eux, du moins sont des enfants de la maison et non des intrus, ils offrent des barbarismes parfaitement inintelligibles pour ceux qui n'entendent pas le français. Craignant avec trop de raison, de n'être pas compris de ses lecteurs, Marigo a imaginé de ranger en tête de sa traduction les susdits intrus en ordre de bataille, chacun portant une périphrase destinée à l'expliquer. C'est ainsi qu'il fait défiler agréablement : Amourpropre, Adversité, Componction, Intelligence, Inquiétude, Néant, Répugnance, Sensualité, Vigilance, Zèle (j'en passe et des meilleurs), qu'il paraît tout heureux et tout fier d'introduire en BasseBretagne, et que l'on reconnaîtra facilement, dit-il, quand on les retrouvera plus tard dans son livre. Or, ils y font à peu près l'effet que produiraient dans une pieuse procession bretonne des bourgeois de Paris amenés par un train de plaisir !

Aucun mot de source étrangère ou non naturalisé, aucun mot même breton mais trop vieux pour être compris n'a reçu l'hospitalité de nos deux nouveaux traducteurs. On ne voit chez eux ni intrus, ni barbare, ni masque, ni bouffon. Tout y jaillit du sol, clair, limpide rafraîchissant; tout y est à portée des intelligences les moins hautes. Ai-je besoin de constater que les lois de la syntaxe et du vocabulaire y sont aussi scrupuleusement observées que celles de l'orthographe? L'association des deux auteurs a été des plus heureuses; leur œuvre est le produit achevé de la théorie unie à la pratique. Je ne m'étonne donc pas du succès qu'elle obtient, et de la satisfaction de l'éditeur. Rarement, a-t-il dit, un ouvrage breton s'est vendu en si peu de temps à autant d'exemplaires. C'est, assure-t-il, une vraie

révolution. Et elle ne détrônera personne, ajouterai-je, si ce n'est un méchant auteur.

Je trouve ce succès salué avec un patriotisme éclairé dans le journal l'Océan, de Brest. Pleine justice y est rendue aux deux écrivains bretons; leur livre y est cité avec raison comme un modèle du genre, comme une création en quelque sorte, et l'on n'exagère aucune espérance en ajoutant que l'opinion publique, au rapport de certains juges sévères, ne peut tarder de lui marquer une place honorable parmi les meilleurs écrits en langue bretonne. L'auteur de l'article, qui est lui-même un fort bon juge, aurait pu nommer plusieurs approbateurs distingués, tant de Léon que de Cornouaille, de Tréguier et même de Vannes. La bienveillance générale a augmenté encore à la lecture du livre; et beaucoup de vieilles préventions, je le sais,ont déjà fait place à une sympathie étonnée. Qu'il est loin le temps où la méthode critique qui prévaut aujourd'hui doucement, divisait, — soutenue avec passion et combattue de même, les hommes les mieux intentionnés! Leur querelle me rappelle celle qui eut lieu au XVIIe siècle au sujet des Anciens et des Modernes. Les partisans des uns et des autres finirent par s'entendre en ce point, que si les siècles de Périclès et d'Auguste furent grands, celui de Louis XIV ne le fut pas moins, mais qu'il eut besoin du passé pour piédestal à sa grandeur. Nos modestes écoles bretonnes n'ont point eu de Louis XIV pour les mettre d'accord; c'est le patriotisme qui les a rapprochées; le jour où l'on s'est mis à causer cœur à cœur des graves intérêts communs, causer en breton, la main vite a serré la main.

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H. DE LA VILLEMARQUÉ,

Membre de l'Institut.

NOTICES ET COMPTES RENDUS.

DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES.

De tous côtés les découvertes abondent, les documents surgissent, et la patiente exploration des archéologues porte le flambeau de la science dans l'obscurité qui pesait sur les anciens âges. De Jérusalem, l'infatigable et savant M. de Saulcy a rapporté des dessins et des données importantes sur les substructions du temple de Salomon, et le cénotaphe intact de l'un des anciens rois de Juda échappé aux violateurs de la royale nécropole, mais que les yeux exercés de l'antiquaire français ont bien vite deviné. A Ninive les fouilles sont riches et fructueuses. A Constantine, la Société archéologique annonce que cette contrée renferme de nombreux monuments dits celtiques. Les dolmens, les menhirs, les tumulus, les allées couvertes se retrouvent là en aussi grande quantité qu'en Bretagne, la terre éminemment classique de ces antiques constructions. A Rome, le sol des jardins Farnèse rendra sans doute quelque chef-d'œuvre de la statuaire antique. En Suisse, M. Troyon continue avec succès ses explorations des cités lacustres, et dans notre France la carrière est si vaste, l'ardeur si grande, les ouvriers si nombreux, qu'il est impossible de les citer tous.

Près de nous, cependant, nommons l'abbé Cochet qui, dans son rapport sur les opérations archéologiques du département de la Seine-Inférieure (1862-1863), embrasse les temps pré-historiques avec leurs informes outils en silex à peine dégrossi; l'époque gauloise avec ses statères d'or et ses hachettes en bronze; l'ère galloromaine avec ses édifices, ses sépultures, ses monnaies, ses produits de toutes sortes; la période franque ou mérovingienne avec

ses armes en or, en argent, en fer damasquiné, ses bijoux aussi riches que variés; le moyen âge et ses souvenirs. En Vendée M. l'abbé Ferdinand Baudry, curé du Bernard, marchant à grands pas sur les traces de l'éminent archéologue normand, nous déroule la longue série des pièces composant le mobilier funèbre des Celtes et des Gallo-Romains, patiemment extraites des fosses de Troussepoil (tria podia, trois hauteurs). Des fosses identiques ont été explorées par M. le comte de Pibrac à Beaugency et M. F. Parenteau à Rezé. Le premier vient, tout récemment encore, de reconnaître à SaintEuverte d'Orléans, un cimetière du moyen âge au-dessous duquel existaient des sépultures des premiers temps chrétiens, superposées elles-mêmes à des tombes païennes. Grâce à l'heureuse initiative et au zèle éclairé de l'administration municipale, qui avait mis à sa disposition un certain nombre d'ouvriers, M. le comte de Pibrac a recueilli des objets d'un haut intérêt qu'il se réserve d'étudier et de faire connaître.

Dans le Morbihan, M. le préfet et MM. Lefebvre et René Galles ont fouillé avec une rare habileté le tumulus du Manné-er-H'roëk (montagne de la fée), à Locmariaquer. Là se sont rencontrées cent six celtæ, quatre-vingt-treize en tremolithe, treize en jade, des grains de colliers, des pendeloques, un magnifique anneau en jade vert, etc. Mais la trouvaille la plus importante est une longue pierre de granit portant sur une de ses faces des signes légèrement gravés en creux, inscription hiéroglyphique suivant les uns, caractères d'une langue inconnue, suivant les autres.

A Rezé, cette mine inépuisable d'antiquités gallo-romaines, les restes d'un établissement de bains ont été mis à jour par les travaux de reconstruction de l'église paroissiale. A Guérande des tombeaux viennent d'être découverts, et Ancenis, enfin, à l'autre extrémité du département, a fourni, au commencement de l'année courante, son contingent archéologique par lequel nous terminons cette trop rapide énumération.

Le 26 janvier dernier, l'instituteur primaire de cette petite ville voulant transformer en jardin une partie de la cour de son école, située sur l'emplacement de la chapelle des Cordeliers, découvrit un caveau dans l'intérieur duquel il aperçut deux bières en plomb. L'une, celle de gauche, renfermait un squelette de femme assez bien conservé, dont l'épitaphe suivante révélait le nom et la qualité :

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