Page images
PDF
EPUB

celle des domaines congéables et des complants de nos provinces de l'Ouest. C'était l'application des avis du Conseil d'État qui réduisent à un simple colonage et à un bail ordinaire la concession même perpétuelle partout où est établie la réserve de la propriété du fonds.

Ces deux arrêts se confirment l'un par l'autre ; maintenant il ne peut plus rester aucun doute, et toutes décisions antérieures de la Cour suprême, qui seraient en contradiction avec ces dernières, ne sauraient être invoquées.

Les complants de la Loire-Inférieure n'ont donné lieu qu'au seul arrêt de 1837 qui fixe la jurisprudence. Les affaires de complants du département de la Vendée, portées auparavant devant la Cour de Cassation, étaient mal engagées, péchaient par la forme et ne posaient pas la question de principes qui maintenant est tranchée. La défense, aujourd'hui mieux conseillée, serait toujours sûre du succès, en invoquant, pour la Vendée comme pour la Bretagne, les principes parfaitemeut définis autrefois par le Conseil d'État et qui ont motivé les arrêts de 1833 et 18371. La jurisprudence ainsi fixée se retrouve exprimée par les meilleurs auteurs qui ont écrit depuis cette époque.

[blocks in formation]

« Qu'en conséquence des avis du Conseil d'État du 4 thermidor › an VIII et du 22 messidor an X, il a été décidé que les lois de la › Révolution n'apportent aucun changement aux baux à complant › dans les départements de la Loire-Inférieure, de la Vendée et de > Maine-et-Loire. - - Ledru-Rollin, qui ne peut pas être suspect de partialité favorable pour tout ce qui tient aux anciens usages, dit également dans son Dictionnaire général de Jurisprudence : • Que la décision contenue dans l'avis du Conseil d'État de ▸ l'an VIII, relativement aux baux à complant de la Loire-Infé

1 Nous avons sous les yeux une lettre de M. Bosviel, avocat à la Cour de Cassation, dont l'opinion a une grande autorité, et qui regarde que la jurisprudence de la Cour de Cassation est aujourd'hui pleinement et fermement fixée à l'égard des baux à complant dans le sens que nous venons d'indiquer.

2 Marcadé, t. 2, p. 283.

3 Troplong, Bail à complant, N° 60.

TOME V. 2e SÉRIE.

[ocr errors]

25

rieure, a été étendue aux départements de la Vendée et de Maineet-Loire, et partout en un mot où les clauses des actes caractérisent la réserve de la propriété au bailleur.

Enfin Dalloz, dans son Répertoire général de Jurisprudence, s'exprime ainsi :

< Si la concession de vignes à complant est perpétuelle, elle > constitue, suivant les localités, ou une transmission de propriété » ou une simple transmission de jouissance. Aux termes des avis. > du Conseil d'État de l'an VIII et de l'an X, les lois de la Révolu>tion n'ont apporté aucun changement dans les complants de la > Loire-Inférieure, de la Vendée et de Maine-et-Loire qui, n'opé> rant aucun transport de propriété, doivent être considérés comme > un simple bail ordinaire, sauf la durée. »

Les jurisconsultes éminents que nous venons de citer reconnaissent que les complants continuent à être régis par les usages locaux, suivant les localités, dit Dalloz. Et en faisant l'application des arrêtés du Conseil d'État et de la jurisprudence fixée par la Cour de Cassation, ils n'hésitent pas à nommer ensemble et à placer en première ligne les départements de la Loire-Inférieure, de la Vendée et de Maine-et-Loire, comme devant sans contestation recueillir le bénéfice d'une décision qu'ils ont provoquée et qui repose sur les mêmes usages. Il n'est donc plus possible aujourd'hui d'appliquer aux complants le rachat qui ne concerne que les rentes foncières. La confusion faite par le commentateur Boucheul ne saurait prévaloir contre les textes positifs que nous avons mis sous les yeux de nos lecteurs.

Un commentateur, quelque recommandable qu'il soit, peut se tromper, peut admettre trop légèrement de fausses appréciations, surtout lorsque cette erreur n'entraîne aucun inconvénient à l'époque où elle est commise '. C'est dans les termes mêmes des anciennes concessions, et dans un examen attentif de la lettre et de l'esprit de la coutume, c'est dans l'étude sérieuse des usages et des

1 La Biographie de Michaud, tout en rendant hommage aux écrits de Boucheul, dit qu'on aurait pourtant désiré, dans ses Commentaires sur la Coutume du Poitou, plus de précision, plus de critique et de raisonnement.... Boucheul est mort en 1709.

règles qui ont marqué dans tous les temps la réserve de la propriété, qu'il faut aller chercher le véritable caractère qui distingue les concessions de vignes à complant.

Nous avons interrogé les chartes du Xe siècle et elles nous ont donné la preuve que les concessions de complants contenaient dès leur origine des réserves de propriété.

Nous avons étudié les usages du moyen âge, comparé entre elles ses concessions de terres si nombreuses et si différentes, examiné attentivement la rédaction et la réforme de la coutume au XVIe siècle, et nous avons trouvé partout clairement marqué, et positivement exprimé, le droit de reprendre le fonds des vignes à complants dans de certains cas déterminés, tandis que cette réserve n'existe pour aucune rente foncière de quelque nature qu'elle soit. Enfin, dans le passé, nous avons toujours vu les complants de la Bretagne et du Poitou régis par la même coutume et présentant les mêmes conditions qui les ont mis à l'abri de toute atteinte au moment de la révolution de 1789.

Deux décisions solennelles du Conseil d'État ont expliqué en vertu de quels principes l'existence des complants de la LoireInférieure, de la Vendée et de Maine-et-Loire restait assurée.

Depuis cette époque, soixante-dix années se sont écoulées, et sous tous les gouvernements qui se sont succédé l'administration a appliqué les décisions du Conseil d'État de l'an VIII et de l'an X. Dans la Vendée et dans la Loire-Inférieure l'État a reconnu le véritable propriétaire des vignes à complant en ne s'adressant qu'à lui pour le paiement de l'impôt foncier et des droits de mutation. Cette propriété se retrouve et sert de base dans les partages, dans les ventes, dans les nombreuses transactions qui ont eu lieu depuis près d'un siècle. Elle est admise enfin par le consentement général et elle est arrivée jusqu'à nous sans autre trouble que quelques rares difficultés entre parties intéressées. La jurisprudence qui d'abord ne semblait pas complétement fixée, ne peut maintenant laisser aucun doute depuis les arrêts de la Cour de Cassation de 1833 et de 1837, et nous avons vu quelle est, à cet égard, l'opinion, de nos principaux jurisconsultes,

Si tous ces motifs de sécurité et de stabilité que nous avons développés et que nous résumons en terminant, ne suffisaient pas pour rendre inattaquable la situation des possesseurs de vignes à complants de la Vendée et de la Loire-Inférieure, il faudrait admettre que la propriéte foncière tout entière, telle qu'elle est restée après les épreuves de 1789, peut aussi être remise en question. Le rachat lui-même ne paraîtrait qu'une atteinte déguisée qui jetterait le trouble dans l'esprit des populations et soumettrait à de nouveaux et redoutables ébranlements l'édifice qui a encore besoin d'être raffermi; enfin, pour nous servir des énergiques expressions d'un récent arrêt du tribunal de Bastia, « il ne serait ni juste ni équi> table d'aggraver les effets de la loi de 1790 par une extension qui > tendrait à renouveler le jubilé de la Révolution . »

La France moderne, en acceptant l'héritage de 1789, n'a pas reçu la mission d'aggraver ses rigueurs; mais de maintenir et de rassurer tout ce qui n'a pas été frappé, de conserver les liens trop peu nombreux qui peuvent rattacher le présent au passé et de rendre enfin à la propriété, telle qu'elle est restée après ces terribles épreuves, la sécurité et la protection qui lui sont dues. L'obligation devient encore plus grande quand ce qui a été épargné s'accorde parfaitement avec l'utilité générale et les intérêts des temps nouveaux. Les complants qui existent aujourd'hui dans la Vendée et dans la Loire-Inférieure ne peuvent pas être suspects de féodalité. Tous les baux qui en contenaient la moindre trace ont été frappés et ont disparu depuis longtemps. Les concessions qui sont arrivées jusqu'à nous restent donc maintenant comme autrefois un simple colonage également avantageux pour le propriétaire, qui assure la bonne culture de sa terre sans se dessaisir du fonds, et pour le colon qui y trouve la garantie d'une jouissance perpétuelle

1 Arrêt du tribunal de Bastia, du 13 décembre 1860. A Bastia, comme dans l'affaire Griès, il ne s'agissait pas de vignes, mais de terres données à colonage perpétuel avec réserve du fonds. Le principe était ainsi le même que pour les complants, et le tribunal a décidé, se fondant sur la jurisprudence fixée par la Cour de Cassation, qu'un colonage à partage de fruits même perpétuel, avec condition de reprise en cas de mauvaise culture, ne saurait être assimilé à une rente.

[ocr errors]

et sans trouble, à la seule condition de payer la portion de fruits convenue et de ne pas s'exposer à être dépossédé pour cause de mauvaise culture. Partout où la vigne peut être cultivée les concessions de complants offrent le moyen le meilleur et le plus productif d'utiliser le sol et d'appeler les classes les plus pauvres à la participation de la jouissance et des profits de la terre. Espérons qu'une entière sécurité sera donnée de plus en plus aux anciennes concessions et encouragera des concessions nouvelles.

Nous avons cru qu'il était utile d'appeler l'attention des lecteurs sérieux sur les titres primitifs, sur les textes de l'ancienne coutume du Poitou, sur tout ce qui marque dans le passé le véritable caractère des complants de la Vendée et de la Loire-Inférieure. Nous avons écrit consciencieusement l'histoire des complants, depuis leur origine jusqu'à nos jours, et nous y avons trouvé la preuve qu'ils n'ont jamais été confondus avec les rentes foncières, et que même après la révolution de 1789 ils restent assis sur des bases aussi solides que celles de tous les autres modes de la propriété à notre époque.

Nous ne pouvions placer cette étude sous un meilleur patronage que celui d'une Revue si utilement consacrée à la recherche des vieux souvenirs et à la défense de tous les intérêts de la Bretagne et de la Vendée.

E. DU FOUGEROUX

Ancien représentant.

« PreviousContinue »