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dont la lecture suffit à Arthur Young pour lui faire entreprendre le voyage de France'. Dans le pays de Nantes, le comte de Galwey popularisait la pomme de terre, et deux négociants, Montaudouin de la Touche et Espivent de la Villeboisnet, l'un anobli, l'autre gentilhomme, fondaient une société d'agriculture. A Rennes, par qui était écrit le Manuel à l'usage des Laboureurs bretons? Encore par un membre de cette aristocratie corrompue et affolée: Pinczon du Sel des Monts, lequel fondait, en outre, ce qui était chose plus rare, deux manufactures, l'une de toile, l'autre de dentelle. Le nombre des gentilshommes pauvres qui labouraient eux-mêmes leurs champs était très-grand en Poitou et en Bretagne. Loin de se croire déshonorés, ils plantaient fièrement leur épée au bout du sillon; et quand venait la réunion des États, pour notre province, ils s'y présentaient dans les vieux habits de leurs pères, sans que personne songeât à leur fermer la porte, tant il était peu admis que travailler fût déroger 2.

Venons maintenant à M. Perdonnet, qui s'est chargé, dans la séance du 31 janvier, de donner à l'aristocratie le dernier coup. M. Duruy l'avait présentée fainéante; M. Perdonnet nous la montre, à son tour, ignorante : « Il y a trois siècles, dit-il, au temps de François Ier, l'ignorance était grande. Le premier gentilhomme de France, à cette époque, le connétable de Montmorency, ne sachant écrire, plongeait ses cinq doigts dans l'encre et les appliquait sur le papier. C'était là sa signature. De là le mot griffe.

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L'historiette est assurément fort jolie; mais ce qui ne l'est pas moins, c'est la bonne foi de M. Perdonnet qui la répète. Que M. Perdonnet se rassure: j'ai, en ce moment, sous les yeux une

1 Mémoire sur les défrichements et Pratique des défrichements, par Louis-FrançoisHenri de Menou, marquis de Turbilly.

2 Disons même que les gentilshommes pauvres n'étaient pas les seuls à mettre la main à l'œuvre. L'amiral Duchaffault, qui était riche et fort riche, prenait, sans hésiter, les manchons de la charrue, au retour de ses glorieuses campagnes. Il quittait alors son habit, raconte M. Dugast-Matifeux, et l'accrochait aux branches d'arbres. Les gens de campagne qui passaient devant ce vêtement en l'air auquel pendait le cordon rouge de commandeur de Saint-Louis, ne manquaient jamais, les femmes, de lui faire une révérence, et les hommes, de lui tirer leurs chapeaux.» Duchaffault, marin, laboureur, dans les Annales de la Société Académique,

signature du connétable, que veut bien me communiquer mon trèsérudit ami, M. de Wismes. Elle est certifiée par M. Marchegay, l'un de nos paléographes les plus connus, c'est-à-dire qu'elle est parfaitement authentique. Eh bien! je déclare que rien n'y rappelle cinq doigts barbouillés d'encre. Loin de là, cette signature est parfaitement lisible, avantage que n'ont pas toujours les nôtres. La chose est même d'autant plus remarquable, qu'il y existe deux abréviations. Une barre au-dessus du dernier jambage de l'n supplée le t, et la liaison de l'y prend, au courant de la plume, la forme du c. Il est impossible de voir un mouvement de main plus aisé et plus sûr. Que M. Perdonnet se donne, au reste, la peine d'ouvrir un catalogue quelconque d'autographes et il y trouvera indiquées des lettres ou des signatures d'Anne de Montmorency. Qu'il aille à la Bibliothèque impériale; qu'il vienne à Serrant où sont aujourd'hui les papiers de Thouars, et on lui en montrera tout autant qu'il sera nécessaire pour consoler son orgueil patriotique.

M. Perdonnet continue : « Deux siècles après, au siècle dernier, les gentilshommes n'étaient guère plus instruits. Quelques-uns, sans doute, faisaient exception, tels, par exemple, MM. de Montesquieu et de Voltaire. » Quelles que soient les prétentions de la noblesse, elles ne peuvent aller jusque-là. Voltaire gentilhomme! M. Perdonnet oublie un mot: gentilhomme de la chambre ! C'était un titre que l'illustre philosophe avait très-humblement sollicité, afin de pouvoir, dans l'occasion, faire queue à la cour ‘.

Je le répète M. Perdonnet est à la tête de l'Association philotechnique et polytechnique qui se charge de donner une instruction supérieure aux ouvriers et de démanteler la citadelle de l'ignorance; j'emprunte ses paroles. Tout cela est assurément très-bien; mais, en vérité, est-ce qu'un peu de science pourrait nuire?

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

1 Ce fut pour obtenir ce titre qu'il écrivit la Princesse de Navarre, et se fit, suivant son expression, bouffon du roi à cinquante ans. (Lettre à Cideville. 31 janvier 1745.)

TOME V. 2e SÉRIE,

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LE CHEVALIER DES TOUCHES

CHEF D'ESCADRE.

Sous Louis XVI, le Bas-Poitou comptait au nombre de ses nobles enfants le chevalier des Touches, chef d'escadre, l'émule des du Chaffaut, des d'Escoubleau de Sourdis, des Grimouard, des La Roche-Saint-André, toutes familles de vieille souche poitevine qui, depuis près d'un siècle, se distinguaient à l'envi dans la marine française. Consacrons donc quelques pages à la mémoire de ce vaillant officier, si digne d'occuper une place d'honneur parmi les illustrations de notre province.

-

de

Le Bas-Poitou a vu naître et s'éteindre la famille Sochet des Touches, dont nous trouvons les titres les plus anciens dans les manuscrits du savant bénédictin dom Fonteneau, déposés à la bibliothèque de Poitiers: « Nicolas Sochet, procureur fiscal à Mortagne-sur-Sèvre, en 1567. Honorable homme Jehan Sochet, sieur de la Chazoulière, en 1586. Noble homme, le même Jehan Sochet, en 1594. Jehan Socket, seigneur de Puy-Chauvet, jet du fiefs Sauvagères, en 1600. Louise Sochet, Nicolas epouse de Nicol de la Ville de Fé olles en 1605. Sochet, écuyer, sieur de la Chazoulière (ou Charulière) et de Villebouin, en 1610. Jehan Sochet, écuyer, sieur du Vau, de Nesdes, de Belleville, etc., en 1630. Louis Sochet, écuyer, assesseur criminel au siège de Poitiers, en 1634. - René Sochet, chevalier, en 1653. - Haut et puissant René Sochet, seigneur de Goutery, en 1659. René Sochet, écuyer, notaire-secrétaire du Roy, de la couronne de France et de ses finances, conseiller du

1668.

Roy, en 1666. Julien Sochet, écuyer, sieur de Villebouin, en René-Philippe Sochet, écuyer, sieur des Touches et du fief de Laurière, 1726. »

Nous voyons aussi dans le journal de Le Riche, page 477 : « Le 23 mai 1610, Nicolas Sochet, sieur de Chazoulière et de Villebouin, a été installé maire dans la bonne ville de Poitiers'. » Ce même Nicolas épousa une fille du célèbre Scévole de Sainte-Marthe, écuyer, conseiller du Roi, président et trésorier-général de France en Poitou. Son fils Jehan Sochet portait le titre d'écuyer, sieur du Vau, et son petit-fils, René Sochet, obtint la charge de notairesecrétaire du Roi, de la couronne de France et de ses finances. Il portait les titres de chevalier et conseiller du Roi, et fut envoyé en 1654 à Fontenay-le-Comte, alors capitale du Bas-Poitou, en qualité de capitaine et gouverneur de cette place pour le Roi de France. Le nouvel administrateur forma une association pour le desséchement d'une partie des marais du Bas-Poitou, dite le marais l'Evêque. Messire René-Philippe Sochet, écuyer, sieur des Touches, petit-fils du gouverneur, s'allia à une des plus riches familles de la noblesse poitevine; il épousa, le 1er juillet 1723, à Luçon, demoiselle Antoinette de la Ville de Férolles, dame des Dorides, qui lui donna trois fils l'aîné mourut célibataire; le deuxième, prêtre, remplaça son oncle des Dorides, comme chanoine au chapitre de la cathédrale de Luçon; ce fut le troisième qui devint chef d'escadre.

Charles-Dominique Sochet était né à Luçon, le 7 octobre 1727. Suivant la vieille tradition de la noblesse française, le jeune Sochet consacra les plus belles années de sa vie au service de son pays. Il entra dans la marine royale. Les grades ne s'acquéraient que lentement dans cette savante et honorable carrière. A l'âge de quarante ans, Charles Sochet ne portait encore que les épaulettes de capitaine des vaisseaux du Roi. Unique représentant du nom, le marin, quelques années plus tard, crut qu'il était temps de songer à se donner des héritiers.Vers 1770 — il avait alors quarante-trois ans,

il épousa demoiselle N.... Mauras d'Hervy, d'une fort ancienne famille qui habitait Luçon. Le bonheur conjugal ne fut pas pour lui

1 portait d'argent à trois merlettes de sable. Devise: Pro Rege et Patriâ,

de longue durée; cette jeune femme mourut pendant l'absence de son mari, laissant un enfant en bas âge.

Le cœur affectueux du marin ressentit de ce coup aussi cruel qu'imprévu une douleur profonde; mais l'amour de son état, une noble ambition et un secret instinct qui lui faisait pressentir qu'une guerre prochaine pouvait lui fournir l'occasion d'attacher quelque gloire à son nom, le décidèrent à se séparer de son enfant qu'il laissa aux soins de la famille de Mauras.

Ses prévisions ne tardèrent pas à se réaliser. L'année 1775 venait d'agiter le Nouveau-Monde. L'Amérique du Nord avait levé contre la domination tyrannique des Anglais le drapeau de l'indépendance et proclamé Washington chef de la milicé nationale.

L'année suivante (1776), le congrès des provinces révoltées, sentant sa faiblesse devant le colosse britannique, tendit les bras à la France, que la vieille haine de sa rivale et les aspirations naissantes du libéralisme ne disposaient que trop à une accueil favorable. Il y eut, dans toutes les classes du peuple français, un entrainement irrésistible pour les insurgés américains. Le roi Louis XVI, malgré sa répugnance instinctive à soutenir une insurrection et à exposer ses troupes au danger d'aller puiser des idées de révolte dans ce foyer incandescent, venait de céder au courant de l'opinion publique; il consentit a reconnaître l'indépendance des colonies de l'Union et signa avec elles un traité d'alliance et de commerce.

Ce n'était rien moins qu'une déclaration de guerre à la formidable Angleterre. Louis XVI, il est vrai, venait de reconstituer une brillante marine, commandée par des officiers distingués et impatients de se mesurer avec les éternels ennemis de la France.

Une flotte fut confiée aux talents du chevalier de Ternay. Elle complait dix bâtiments de guerre : le Conquérant, de 74 canons; le Jason, de 64; l'Ardent, de 64; le Duc-de-Bourgogne, de 80; le Neptune, de 74; le Romulus (frégate), de 44; la Provence, de 64; l'Eveillé, de 64; l'Hermione (frégate), de 32; le Fantasque (flute), de 22. En tout, 582 bouches à feu.

Déjà les hostilités étaient commencées. L'amiral anglais Cornwallis avait envahi la Caroline du Nord et ravageait les côtes de la Virginie, à la tête d'une flotte nombreuse. Le chevalier de Ternay par ordre

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