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complants dans notre province et qui est constatée par de nombreuses stipulations, et surtout par le droit pour le bailleur de reprendre sa vigne de sa propre autorité, sans être obligé d'appeler le tenancier et sans formalité judiciaire en cas de mauvaise culture. Nous y voyons aussi que le tenancier est soumis à la fixation du ban des vendanges, et qu'il ne peut aliéner, échanger ou modifier en quoi que ce soit les parcelles qu'il cultive sans en avoir obtenu l'autorisation du propriétaire du fief. Tout enfin y fait reconnaître un simple colonage, un mode de culture où la perpétuité du bail est accompagnée de réserves qui maintiennent la propriété du fonds.

Un des baux dont nous parlons et qui est du XVIIe siècle permet au tenancier de cultiver en blé, à la cinquième partie, le tiers de sa concession, tandis que les deux autres tiers doivent rester en vignes, mais le tout est soumis aux mêmes conditions, aux mêmes' réserves formellement exprimées de rentrée en possession en cas de mauvaise culture, et ce bail perpétuel rentre ainsi dans la catégorie ordinaire des complants où la propriété du fonds se trouve maintenue et les conséquences doivent être les mêmes, comme nous le verrons plus tard pour l'affaire Griès. Mais nous avons surtout à nous occuper des complants du Poitou, puisque tout ce qui les concerne s'applique à la Bretagne où ils sont toujours restés dans des conditions complètement semblables.

Examinons donc ce qui est réglé pour les complants à l'article 61 de la coutume du Poitou.

Voici ce que nous y lisons.

Si aucun détenteur tient de son seigneur de fief « vignes qui sont » tenues à complant, et elles sont demeurées à tailler, et de serpe » jusques aux fruits, ledit seigneur les peut de son autorité prendre, » et les fruits d'icelles, sans y appeler le détenteur et icelles vignes > tenir à son domaine, et les bailler s'il voit qu'il soit de faire. >

Ainsi le texte que nous venons de citer donne positivement au bailleur de la vigne à complant le droit de la reprendre de sa propre autorité et sans aucune formalité judiciaire dès que la façon de la taille n'a pas été donnée avant la récolte des fruits.

Il était impossible d'exprimer plus énergiquement le maintien de

l'ancien usage qui réservait la propriété du fonds dans les concessions de complant en assurant le droit de reprise dans de certains cas déterminés.

Cette réserve n'existe dans le Poitou pour aucune rente foncière de quelqune ature qu'elle soit, non-seulement pour le cens et les rentes en argent, ce qui ne peut faire aucun doute, mais aussi pour le terrage ou champart, qui se rapprochait le plus du complant par la redevance d'un e quote-part des fruits, mais qui surtout dans notre province en différait essentiellement par l'abandon plus absolu du fonds de terre et ne devait pas lui être assimilé.

L'article 104 de la coutume du Poitou s'exprime ainsi :

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Quand aucun tient terre à terrage au pays de bocage il doit › à tout le moins avoir emblavé la tierce partie, et l'autre tierce > partie tenir en guerets, et l'autre tierce partie laisser en pâtu› rages. Et au pays de plaine ils doivent emblaver la moitié, et > l'autre moitié avoir en guerets. Et s'ils n'en emblavent jusqu'aux > parties susdites le seigneur en peut demander son intérêt et » l'amende. Mais ne leur peut oter les dictes terres, ne les mettre » en sa main sans le consentement de ceux qui les tiennent. »

La simple comparaison des deux textes suffit pour prouver qu'à l'époque où la coutume du Poitou fut écrite, comme dans les temps plus anciens, la réserve de la propriété du fonds exprimée par une condition de retour existait pour le complant malgré la perpétuité de la jouissance, et n'existait pas pour le terrage. Lorsqu'il s'agit d'un complant, la vigne peut être reprise sans formalités de justice pour un manque de façon prévu, et clairement déterminé. Pour le terrage au contraire la terre doit dans tous les cas rester entre les mains de ceux qui ont reçu la concession, et ne peut leur être ôtée sans leur consentement.

Il reste démontré que dans notre province il y avait une grande différence entre le terrage et le complant. Dans quelques autres parties de la France les coutumes pouvaient placer les terrages ou des concessions de même nature dans des conditions où la réserve du fonds était également stipulée', mais pour ce qui concerne le

1 Dans l'affaire Griés dont nous parlerons plus tard, la Cour de Cassation, par arrêt rendu en 1837, a décidé que les baux héréditaires bien que perpétuels conser

Poitou il faut toujours en revenir aux textes mêmes de notre ancienne coutume qui établissait d'une manière claire et précise que le bailleur peut reprendre sa vigne à complant de sa propre autorité si elle n'a pas été taillée, et que pour le champart la terre non cultivée ne peut être reprise qu'avec le consentement de ceux qui la tiennent.

Boucheul, qui écrivait à la fin du XVIIe siècle, semble, il est vrai, dans ses commentaires sur la coutume du Poitou, faire entre le complant et le terrage une confusion qui est démentie par les citations que nous venons de mettre sous les yeux de nos lecteurs. Le désir de simplifier, de réunir et d'unifier autant que possible les obligations si nombreusés et si variées imposées à la terre et léguées par le moyen âge pouvait influencer l'opinion au XVIIe siècle et faire trop facilement admettre une assimilation qui était réellement en désaccord avec la coutume du Poitou, mais qui à cette époque ne préjudiciait à aucun intérêt puisque les rentes foncières ellesmêmes n'étaient pas alors soumises au rachat. Depuis 1789 une pareille confusion serait dangereuse pour les propriétaires de complants et il est important de la combattre en revenant aux différences exprimées positivement dans le texte même de la coutume.

En poursuivant la comparaison nous retrouvons d'ailleurs cest différences dans la pratique et dans l'application des usages locaux. Ainsi pour le terrage le tenancier récoltait quand bon lui semblait, et n'était tenu qu'à avertir lorsque la récolte était faite pour acquitter la part de fruits dont il était redevable. Les haies et les arbres de son champ lui appartenaient; il restait le maître absolu de sa

terre.

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Pour le complant la situation était bien différente.

Le cultivateur qui devait le complant ne pouvait vendanger qu'au jour fixé par le véritable propriétaire; il était surveillé, dirigé presque comme un fermier ordinaire, et avait l'obligation de payer

vent en Alsace la propriété du fonds. Ce qui prouve que dans ce pays il y avait autrefois pour les terres labourables des baux ayant beaucoup d'analogie avec les terrages, et qui cependant réservaient la propriété du fonds malgré la perpétuité de la jouissance. Le principe admis par la Cour de Cassation s'applique à plus forte raison aux vignes à complant.

le garde de la vigne; les buissons et les arbres qui pouvaient y croître ne lui appartenaient pas. C'était enfin le propriétaire qui payait l'impôt foncier du 20e1. La différence était encore bien plus grande lorsqu'il s'agissait de rentes en argent; par exemple, une vigne soumise au cens pouvait être arrachée et plantée en bois, ou cultivée de toute autre manière par le détenteur qui ne devait que le paiement du cens, et jouissait d'ailleurs en toute propriété, comme bon lui semblait.

Le complant n'avait pas non plus par lui-même le caractère féodal des autres concessions de terres tributaires du moyen âge. Il n'entraînait pas d'obligations de devoirs et de services personnels. Nous en avons déjà donné l'explication que nous trouvons dans son origine moins ancienne que l'organisation primitive des fiefs et arrière-fiefs et dans la translation moins absolue du fonds de la terre. Si, dans un petit nombre de baux écrits, on trouve des expressions féodales, il faut l'attribuer à un sentiment de vanité qui cherchait quelquefois à donner à la plus petite propriété un air de seigneurie; il faut y voir aussi de la part des notaires du temps une simple formule de rédaction. En général les baux écrits ne contiennent rien de féodal, et en stipulant la redevance ne renferment aucune clause de translation de propriété. Les chartes, les baux écrits de concessions de complant sont assez rares. Dans les temps anciens presque toujours on se contentait de concessions verbales et de la garantie des usages locaux. Lorsqu'il y avait des baillettes, elles ne restaient pas entre les mains du propriétaire, mais étaient délivrées aux tenanciers et on comprend que beaucoup de ces pièces ont dû se perdre. Au XVIIIe siècle une autre cause a encore contribué à la rareté des baux écrits. Une mesure de centralisation maladroite et tracassière obligea les propriétaires à ne concéder des baillettes à complant notariées qu'après en avoir obtenu l'autorisation de l'intendant de la province. Beaucoup, pour se soustraire à ces formalités gênantes et qui blessaient l'esprit d'indépendance provinciale, se dispensèrent du bail écrit, et donnèrent seulement des concessions verbales. En Poitou et en Bretagne presque tous

1 Mémoire de M. Bouron,

288 les complants ne reposaient donc pas sur des titres écrits, mais trouvaient leur garantie dans l'usage et dans les règles établies par la coutume. Cette situation est encore aujourd'hui la même.

LES VIGNES A COMPLANT EN POITOU ET EN BRETAGNE.

Nous n'avons pas à nous occuper des complants assez peu nombreux qui existaient dans quelques autres provinces et nous ne savons pas s'ils avaient gardé complètement le même caractère que nous retrouvons dans le Poitou. Nous reproduirons plus loin la décision du Conseil d'État qui admet cette assimilation pour les complants de l'Anjou; pour rester dans les limites que nous nous sommes tracées, nous avons dû nous borner à faire bien connaître les vignes à complant telles qu'elles existaient dans la partie méridionale du comté Nantais et en Poitou. Nous y avons recherché leur origine. Nous les avons suivies à travers les siècles jusqu'en 1789, se développant, grandissant sous l'empire de la même coutume, conservant à toutes les époques les conditions particulières qui les distinguent des concessions purement féodales, et la réserve de la propriété du fonds qui les sépare des rentes foncières.

Il nous reste maintenant à continuer l'étude historique des complants jusqu'à nos jours, et à montrer qu'ils n'ont pas été atteints par les lois de la révolution.

(La fin au prochain numéro.)

E. DU FOUGEROUX.

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