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héroïques qui ont rendu nos zouaves si célèbres. Aux Quatre-Chemins, Lapierre avait décidé de la victoire en se postant seul sur le flanc des républicains; abrité par un arbre il s'était mis à tirer sur eux; leur attention ayant été entraînée de ce côté, il y eut de l'hésitation dans leurs rangs, et ils abandonnèrent le terrain. Après la défaite de Chollet, Lapierre était resté pour protéger la retraite, ce qui explique qu'il ne fit pas la campagne d'outre-Loire. A la fin de la guerre, enrôlé de force dans les armées de la République, il alla en Irlande avec Hoche, à Saint-Domingue avec le général Leclerc; deux fois prisonnier des Anglais, il obtint enfin son congé en 1806. Quoiqu'il fût couvert de cicatrices, il n'avait jamais été blessé grièvement. « Lapierre, lisons-nous, dans la notice de M. l'abbé Augereau, combattit avec courage sous deux drapeaux, mais n'aima jamais que le premier; c'est pourquoi il ne mit aucun soin à conserver ses états de service sous la République et sous l'Empire. > Voilà ce qui peut s'appeler une vie bien remplie.

Tout ce que ce passé a de glorieux ne doit pas nous faire oublier que, naguère encore, c'était en Bretagne que le Saint-Père, faisant un appel à la chrétienté, trouvait le plus grand nombre de cœurs courageux disposés à se dévouer à sa cause. Plusieurs succombèrent dans le triste engagement de Castelfidardo, et de ceux-là quelques-uns portaient des noms illustres. Cependant, chose frappante, celui d'entre eux qui est aujourd'hui le plus célèbre était un humble jeune homme qui s'appelait Louis Guérin. Né de simples artisans, il était entré au séminaire, où il s'était fait apprécier plutôt par ses vertus que par l'éclat de son intelligence. Parti avec joie pour l'armée pontificale, heureux d'offrir sa vie pour une sainte cause, personne ne dit qu'il s'y soit distingué par de grands faits d'armes; il fut brave de cette bravoure simple qui ne craint ni ne recherche le danger. Blessé à mort, avant de succomber il trouva dans sa belle âme des accents sublimes qu'il épancha dans quelques lettres que tout le monde a lues; voilà tout, et la célébrité qu'il n'avait pas cherchée semble vouloir s'attacher à son nom. Pourtant il n'était pas seul pieux et brave, dans cette phalange glorieuse qui succomba sous les coups des Piémontais; plusieurs, eux aussi pieux et braves et appartenant à de puissantes familles, ont en apparence fait tout ce qu'a fait Louis Guérin. Le regret de leurs parents et de leurs amis n'a pas abandonné ceux-là, mais le public, sans cesser d'honorer leur mémoire, ne se presse pas autour de leurs tombeaux. Ce n'est pas la première fois que pareille chose arrive. Souvent n'a-t-on pas vu le peuple mû par un secret instinct commencer par user de ses genoux la pierre qui recouvrait celui dont l'Église, après examen, devait constater la sainteté? Toujours est-il que, récemment à Rome, Pie IX a voulu que la mère du jeune zouave fût l'objet d'une distinction particulière; et, cette année, le cierge qu'il a coutume d'offrir à une princesse, le jour de la

Purification, a été pour Mme Guérin, bien heureuse, on se l'imagine, d'avoir reçu pareil honneur.

Une renommée dont l'éclat ne surprendra personne, c'est celle du général Bedeau. Dans notre ville, si justement fière d'un tel homme, le silence éloquent qui, à ses funérailles, se fit autour de sa tombe, ne pouvait durer longtemps. Voici déjà que dans un petit écrit intitulé: Souvenirs de la Roberdière, M. Marionneau vient de poser l'une des premières assises du monument que l'histoire élèvera un jour à la gloire de l'habile général qui sut être aussi un grand citoyen. La Roberdière, jadis petit manoir de la famille Bedeau, est une propriété située dans le canton de Vertou. C'est là que naquit le général, le 19 août 1804, ainsi que l'établit l'auteur avec des documents authentiques. Rien n'est plus utile que de recueillir promptement les détails qui se rapportent à la vie d'un homme célèbre, surtout quand on joint, comme l'a fait M. Marionneau, à la description du lieu de la naissance, une étude complète sur la généalogie de la personne. Quoique nourrie de faits, cette brochure est fort courte, l'auteur ayant voulu, nous dit-il, demeurer simple chroniqueur de village.

Je m'aperçois que jusqu'à présent je n'ai presque parlé que des morts. Je ne le regretterais pas, si, au nombre de mes oraisons funèbres, il se trouvait par bonheur que j'eusse fait celle de l'ivrognerie en Bretagne. Mais les vivants ont aussi droit à notre attention, et la Revue, nous osons le penser, n'est un cimetière pour personne. La Bretagne et la Vendée ne produisent pas que des braves, et c'est à M. Baudry, artiste vendéen, que vient d'être confié la décoration du foyer du nouvel Opéra à Paris. Ce choix si intelligent ne sera pas moins approuvé des amis des arts que celui qui vient d'être fait à Nantes de MM. Thomas et Marionneau pour faire partie de la commission du Musée. M. Thomas est un jeune architecte qui a fait en Mésopotamie de magnifiques études scientifiques et artistiques, et nous avons peut-être besoin de dire que M. Marionneau est le même que celui dont nous venons de parler et qui partage son temps entre l'étude de l'histoire et la pratique de l'art.

Une bonne nouvelle pour finir notre ami M. Hippolyte Minier vient de remporter à Bordeaux un nouveau succès plus éclatant encore que les précédents, avec une comédie en trois actes, le Legs du Colonel; je regrette fort que le manque d'espace m'interdise de vous faire de cette pièce de longues et nombreuses citations; quant à un compte rendu de l'intrigue, je n'ose l'essayer, ayant mainte fois reconnu que les plus jolies comédies en vers étaient celles qui perdaient le plus à être résumées. Le poète qui, dans Jérôme Cassolard, avait si spirituellement flagellé un ridicule, doit être félicité d'avoir cette fois flétri un vice, un véritable vice, la fausse philanthropie. Ce caractère demandait autre chose qu'un drame ou un vaudeville; il fallait qu'une comédie - et M. Minier vient de

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nous la donner

marquât au front ces gens qui pratiquent la doctrine

résumée par ces paroles de Giboulot, le philanthrope hypocrite :

Et faisons tout le bien qui peut nous enrichir.

Pour qui sait du réel dégager l'utopie,

C'est une mine d'or que la philanthropie.

LOUIS DE KERJEAN.

La page suivante nous arrive au dernier moment. Nous la publions de suite, pour qu'elle coincide avec la mise en vente de l'édition populaire de la Vie de Jésus.

BIOGRAPHIE D'ERNEST RENAN, par MM. Adolphe de Carfort et Francis Bazouge. Brochure in-8°. Paris, Charles Douniol.

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L'an dernier, parlant aux lecteurs de la Revue d'un petit ouvrage de M. de Carfort, à côté de quelques réserves de pure érudition, qui témoignaient de la sincérité de mes éloges, je mettais en relief, avec bonheur, les excellents sentiments dont l'Histoire de Lannion portait partout l'empreinte, et je disais que ce début était déjà plus qu'une promesse.

M. de Carfort me donne fort heureusement l'occasion de revenir sur ces éloges, pour n'y plus mêler, cette fois, aucune réserve. La biographie du Breton si fatalement célèbre qu'il vient de publier, en collaboration avec un autre Breton, qui est aussi un débutant, si je ne me trompe, est un travail excellent, et c'est, en même temps, les jeunes auteurs l'affirment dès la première page, « une protestation au nom de la foi de nos pères outragée, au nom de l'antique foi bretonne, inébranlable comme les rochers de la péninsule armoricaine. »

Tout le monde connaît aujourd'hui les grandes lignes de cette vie; MM. de Carfort et Bazouge ajoutent à ce que l'on savait, une foule de détails pleins d'enseignement. Puis ce qu'il y a de meilleur en ceci, c'est que jamais leur brochure ne prend le caractère d'un pamphlet diffamatoire. Tout est raconté avec une tristesse grave, et tout porte le cachet de la sincérité.

Il était utile de recueillir ainsi tous les faits qui se rattachent à l'auteur d'un livre monstrueux, auquel l'indignatiou des chrétiens a été forcée de faire une trop grande célébrité; il était surtout utile de recueillir ces faits sans passion, sans diatribes; plus tard, lorsque le calme se sera fait autour de ce nom, et cela tardera peu, les moralistes tireront de cette vie de profitables. leçons; ils pourront montrer par un nouvel et solennel exemple que la foi, qui survit aux passions farouches et purement instinctives, est tuée d'un coup par l'orgueil à froid, et surtout par l'orgueil le plus froid et le plus égoïste, celui qui trouve moyen de se développer sous un froc: Superbia mentis.

S. ROPARTZ.

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C'est comme cela, mon cher Rosmar, et je répète qu'un gentilhomme est un triple sot d'entrer dans la robe, et que l'autre poète latin, qui a dit :

est un mauvais plaisant.

Cedant arma toga,

JEAN ROSMAR.

Il me semble pourtant, maître, que si vous êtes regardé à juste titre comme une des illustrations de la magistrature, dans un pays

TOME V. 2e SÉRIE.

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où la magistrature a un patron comme le glorieux saint Yves, et compte des sénéchaux comme M. d'Argentré; la robe ne vous a pas été ingrate, et vous a rapporté, sinon suivant vos grands mérites, au moins dans la mesure du possible, honneurs et profits; car enfin, vous êtes docteur en droit et conseiller du Roi notre sire. RAOUL CLEAUROUX.

Pur titre, à mettre en vedette au haut d'une bande de parchemin!

JEAN ROSMAR.

Vous êtes, très-réellement au moins, sénéchal de Lamballe.

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Item, sénéchal de Coatmalouen, ordre de Citeaux; item, sénéchal de Sullé; item, pour ne pas finir par un et cætera, sénéchal de messieurs les nobles bourgeois de Guingamp.

JEAN ROSMAR.

De plus, procureur fiscal de Guingamp.

RAOUL CLEAUROUX.

Oui, et je suis le premier à confesser que c'est beaucoup trop de charges pour un pauvre homme :

Clitellas dùm portem meas!

JEAN ROSMAR.

Tout le monde sait bien au contraire que ces charges sous le poids desquelles un homme ordinaire succomberait peut-être, ne suffisent pas encore à votre vaste esprit, à votre science profonde, à votre insatiable ardeur, et l'on vous voit tous les jours soutenir, comme avocat, les plus lourdes causes aux barres royales de la province et, souvent, mission plus honorable encore, choisi comme

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