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une plume? En religion, il est catholique, apostolique et romain, et s'il laisse à son ami M. Louis Veuillot le soin d'asséner aux ennemis de l'Église ces terribles volées de bois vert qu'il applique si bien, il s'entend à merveille à dégonfler, du bout de son épingle si fine et si piquante, les ballons que MM. Renan et consorts essaient de nous faire prendre pour des lanternes. En littérature, il appartient à cette école spiritualiste qui a gardé, des premières et brillantes luttes du romantisme, la haine du convenu et de l'artificiel, mais qui a refusé de suivre les chefs du mouvement de 1829 et de 1830 dans leurs tentatives pour matérialiser la pensée : à la littérature des mots il préfère celle des idées. En politique..... Ici, le Directeur de la Revue, qui est assis à la même table que moi et qui lit Molière, me met sous les yeux cette phrase de notre grand comique Et voilà justement pourquoi votre fille est muette. Je m'incline et je passe.

:

Je ne le ferai pas cependant sans adresser à l'auteur deux ou trois petites chicanes. Et en effet, n'est-ce pas double plaisir de critiquer un critique?

M. de Pontmartin termine un très-beau chapitre sur Mme George Sand et Mile la Quintinie par la citation d'une anecdote, empruntée à un spirituel petit journal, le Nain Jaune, si je ne me trompe. L'anecdote est jolie, mais, venant après des pages pleines de verve, d'éclat et d'éloquence, elle a le tort de faire songer au mot d'Horace : Desinit in piscem.

Ailleurs, dans l'article consacré à Mme Marie Gjertz, l'auteur des Dernières semaines parle d'un maître dans l'art d'écrire un français qui n'est ni celui de M. Hugelmann.... M. Hugelmann, journaliste qni, après avoir eu des malheurs à Bordeaux et ailleurs, a publié, en l'honneur de la IVe Race un dithyrambe in-octavo, est un de ces pseudo-écrivains qui ne recherchent que le bruit et que les vrais écrivains doivent bien se garder d'honorer même de leurs épigrammes. Et puis, n'y a-t-il pas comme une fausse note dans ce nom de M. Hugelmann égaré au milieu d'un morceau consacré à la mémoire de Mme Marie Gjertz, de cette admirable femme, d'un si rare talent et d'une vie si pure?

TOME V. 2e SÉRIE.

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Si nous signalons ces légères taches à M. de Pontmartin, c'est qu'à nos yeux son dernier volume, plus remarquable encore que ses ainés, renferme plusieurs articles, sur M. Louis Veuillot, M. de Lamartine, M. Victor Hugo, MM. Victor Fournel et Édouard Fournier, M. Sainte-Beuve, qui sont des chefs-d'œuvre. Tous ces morceaux sont faits de main-d'ouvrier: M. Émile de La Bédolière et ses dignes collaborateurs sont priés de ne pas se méprendre sur la portée de cette expression et, pour s'en rendre un compte exact, de relire, non, de lire leur La Bruyère, au chapitre des œuvres d'esprit.

En terminant, nous protesterons contre le titre donné par l'auteur à son volume: Dernières Semaines littéraires. Le succès grandissant de ses causeries, les sympathies de plus en plus nombreuses et de plus en plus vives qui l'entourent lui font un devoir de continuer l'œuvre qu'il a entreprise et qui, sous sa forme légère, marquera au premier rang parmi celles qui, dans la lutte engagée à notre époque entre le bien et le mal, ont défendu avec le plus de succès et d'éclat la cause du droit, de la vérité, de l'honneur et du goût.

EDMOND DUPRÉ.

CHRONIQUE.

SOMMAIRE. Le journal à un sou.

A la Caisse d'Epargne. - Pourquoi les Bretons ne sont pas tous des saints. Les cabarets jugés par Mgr de Rennes. Alexandre Lapierre. cierge de la Purification. Nouvelles des arts.

La mère de Guérin et le
Le général Bedeau et la Roberdière.
Le Legs du colonel, de M. Hippolyte Minier.

-

Je ne commence jamais une chronique, cher lecteur, sans éprouver un certain ennui à la pensée que vous connaissez déjà la plupart des nouvelles dont je veux vous entretenir. C'est, en effet, vous en conviendrez, chose bien disgracieuse de venir, après un mois écoulé, répéter ce que tout le monde a conté, et souvent, hélas ! le redire moins bien qu'on ne l'a dit. Heureux les chroniqueurs quotidiens, ils offrent des primeurs, et la primeur, de quelque façon qu'on l'assaisonne, est toujours bien reçue. Si encore j'étais le chroniqueur d'un journal à un sou, - invention nouvelle et qui fait fureur, je n'aurais pas le scrupule de voler mon lecteur, et je me croirais quitte envers lui du moment que je lui aurais conté les crimes et les suicides du jour, sans oublier les accidents de voitures et les traits de probité.

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Entre nous, si je jalouse aujourd'hui si fort les chroniqueurs des petits journaux, c'est que je voudrais bien pouvoir parler à tous leurs lecteurs du mandement de Mgr l'archevêque de Rennes sur la fréquentation des cabarets. L'administration des contributions indirectes pourrait y perdre quelque chose; je puis affirmer, en revanche, que la personne qui l'achèterait pour un sou, et serait frappée d'une seule de ses considérations, aurait bien placé son argent.

Qui d'entre vous ne s'est souvent affligé des ravages que cause l'ivrognerie dans les villes et dans les campagnes? L'économiste a beau vanter l'épargne, on ne l'écoute guère, et je sais un cabaret qui a pris pour enseigne A la Caisse d'Épargne; caisse d'épargne pour le cabaretier, je n'en doute pas, à moins qu'il n'ait voulu railler ceux qui parlent sans

cesse de moraliser les masses avec l'économie politique. Nous sommes tout les premiers à reconnaître qu'il serait absurde de ne tenir aucun compte de la morale de l'intérêt; pour avoir été défigurée par l'homme, cette morale ne laisse pas d'avoir la même origine que la morale chrétienne. N'est-il pas évident qu'on ne peut nier que la Providence a attaché une sanction matérielle à la transgression de ses commandements? Spécialement en ce qui concerne l'ivrognerie, il faudrait être bien aveuglé pour ne pas la voir dans les misères que cette funeste passion entraîne après elle. La morale de l'intérêt est pourtant inefficace pour la combattre et une seule doctrine peut opérer le miracle de la vaincre. Voilà pourquoi nous saluons avec confiance cette franche entrée en campagne de Mgr l'archevêque de Rennes, dans laquelle la morale humaine vient aider et renforcer la morale chrétienne.

Personne n'est parfait ici-bas, et il semble que le peuple breton doive payer par le déplorable goût des liqueurs fortes son tribut à l'imperfection. Aussi, est-ce avec un légitime orgueil que le prélat aborde de la manière suivante son sujet auprès de ses diocésains :

« Peuple breton, disait, il y a quelques années, un de nos plus vénérables collègues, Mgr Graveran, évêque de Quimper, le jour où tu pourras passer devant un cabaret sans y entrer, tu seras le premier peuple du monde, car sans la fréquentation des cabarets, les Bretons seraient tous des saints. >

Les maîtres de la vie spirituelle enseignent que le plus sûr moyen de se corriger de ses défauts, c'est, indépendamment d'une résistance générale, de s'attacher spécialement à combattre avec soin l'un d'entre eux; à ce compte les Bretons auraient bientôt fait de s'amender, et n'auraient pas même l'embarras du choix de la passion à combattre. Malheureusement, dans cette affaire, la passion n'est pas seule en jeu, et il faut tenir compte des usages, qui font dans les campagnes, des moindres événements de la vie, autant d'occasions de boire, et, partant, de tentations de s'enivrer. Que n'aurait-on à dire des marchés et des foires, et de cette façon de conclure les ventes, si bien racontée par Brizeux : Nous, vers le champ de foire, allons, le nombre augmente,

Et la bruyante ruche en plein midi fermente.

Cependant nul marché ne tient que si l'un tape
Dans la main, et que l'autre à son tour y refrappe;

Il faut fendre la presse, et dans un cabaret
Boire ensemble, ou l'accord mal formé se romprait.
Durant une heure ( ainsi l'usage le demande),

Pour un verre de cidre, on chicane, on marchande 1.

Pour un verre de cidre! Brizeux était trop l'ami des Bretons pour con

1 Les Bretons, marché de Kemper.

venir qu'ils buvaient de l'eau-de-vie, et un tout petit hémistiche est la seule concession qu'il fasse à la fidélité de son tableau :

Disputes d'hommes soûls, plaintes d'estropiés.

C'est aussi parce qu'il aime les Bretons, et qu'il a, lui, mission pour les guérir, que Mgr Saint-Marc va droit au mal, et se demande « qui pourrait décrire toutes les maladies qui ont leur source dans l'abus qu'au cabaret l'on fait du cidre, du vin, et surtout de l'eau-de-vie, l'eau-devie, véritable poison, qui mériterait bien mieux le nom d'eau de mort et que notre antique langue bretonne a si justement appelée vin de feu, guin ardent, puisqu'il exerce dans l'organisme du corps humain qu'il dévore et consume les mêmes ravages qu'y exercerait le feu lui-même. » L'ivrognerie ne compromet pas seulement la santé et la fortune, elle est encore en Bretagne la cause de la plupart des crimes : « Que ditesvous pour votre défense sur les bancs de la cour d'assises. Ah! vous ne cherchez pas, comme tant d'autres, à nier votre culpabilité et à tromper vos juges, vous vous contentez d'implorer leur pitié par cette phrase à la fois si naïve et si vraie Que voulez-vous que je vous dise, Messieurs, je sortais du cabaret, j'étais chaud de boire, je ne savais ce que je faisais. > Malheureusement la place nous manque pour citer encore le saisissant tableau que trace le mandement de la mort en état d'ivresse; et nous ne doutons pas que cette peinture ne fasse une vive impression sur les populations si religieuses auxquelles elle est destinée.

Quelque puissants que soient les cabaretiers, si nous en jugeons par les flatteries qu'on leur adresse à de certains moments, on n'accusera toujours pas Monseigneur de chercher à capter leurs bonnes grâces. Ils pourront trouver leur part dans le mandement, mais on ne la leur fait pas. En attendant que tous les Bretons soient des saints, on ne contestera pas que, du moins, beaucoup d'entre eux aient été des héros. Le nombre de ceux que nous connaissons est déjà grand sans doute, mais combien sont morts en emportant avec eux le souvenir de leurs exploits! Grâce à une intéressante notice de M. le curé du Boupère (Vendée), on se souviendra d'Alexandre Lapierre, mort récemment en cette commune, l'âge de quatre-vingt-huit ans. Les vers que ce héros a inspirés à mon ami Émile Grimaud ne me dispensent pas de vous donner quelques détails

sur ce vaillant soldat.

Alexandre Lapierre avait dix-huit ans lorsqu'éclata l'insurrection vendéenne. Il suivit d'abord M. Baudry d'Asson et servit tour à tour dans l'infanterie, dans l'artillerie et dans la cavalerie, exposant sa vie avec une bravoure qui allait jusqu'à la témérité. Souvent il se jeta seul dans la mêlée et ne dut son salut qu'à son sang-froid, et, il faut bien le dire aussi, à une chance persistante. Il se plaisait surtout à ces malices de guerre, où l'on fait de l'esprit en exposant sa vie, à ces espiègleries

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