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hommes élus ou choisis avec soin, dont les comptes très-réguliers et très-détaillés contenant les dépenses de l'église et de la commune étaient annuellement et publiquement contrôlés par les habitants dûment convoqués, et même rétribués 1, pour assister à cette session, sans préjudice de la surveillance des vicaires généraux en tournée comme l'atteste leur visa apposé, à chaque exercice, sur nos registres de Béré.

Puisque nous voilà incidemment engagés dans cette voie rétrospective, combien d'autres garanties contre les abus du pouvoir contenaient nos anciennes coutumes! Énumérons-les brièvement.

La très-ancienne coutume permettait à tout plaignant et à tout accusateur, en matière criminelle, de porter sa plainte devant la barre ducale. On échappait ainsi à toutes les juridictions féodales inférieures, pourvu qu'on s'y prît dès l'introduction d'instance, car l'appel au criminel n'existait pas.

En matière civile, au contraire, l'appel d'une cause de 5 sols passait par tous les degrés de juridiction, et pouvait être portée des siéges ducaux au parlement même, c'est-à-dire au grand jury breton ".

Enfin, si c'en était ici la place, il nous serait facile de prouver que les institutions représentatives de la Bretagne comparées, du XIIe au XVI siècle, avec celles de l'Angleterre étaient aussi complètes et aussi régulières que celles de la Grande-Bretagne à cette époque. L'ancien parlement breton était, comme nous l'avons dit, le grand jury du duché où les causes civiles et criminelles pouvaient toutes aboutir. Nul impôt ne pouvait être levé sans être consenti par lui. Ce privilége fut constamment avoué et reconnu par les ducs qui, plus respectueux du droit national que les rois d'Angleterre, ne montrèrent jamais de mauvais vouloir à cet égard. Il est évident pour nous que si la Bretagne avait conservé son indépendance, son droit personnel, qui avait les mêmes sources que celui des AngloSaxons, se serait développé de la même manière, et que l'épanouissement complet de ce droit, arrêté tout court par l'annexion, aurait

1 C'est une des dépenses portées aux comptes de Saint-Jean.
2 Vid. La très-ancienne coutume, ch. 135. Hevin, consults., p. 6, 8 et 9.

été celui-là même qui existe chez nos voisins d'Outre-Manche. Il ne faut jamais oublier que le fantôme de l'ancienne constitution bretonne, évanoui à la fin du dernier siècle, ne vivait plus de sa vie propre depuis trois siècles. Tous les rudiments, tous les principes de développement que contenaient nos institutions primitives avaient été non-seulement arrêtés dans leur croissance, mais refoulés et comprimés par l'invasion d'un droit voisin et contraire. Cette réaction est même facile à constater dès le XVe siècle qui précéda l'annexion, Je n'en citerai qu'un exemple qui a justement trait à ces cités épiscopales dont nous parlions tout à l'heure comme de petites républiques bourgeoises placées sous la protection de leurs chapitres et de leurs administrations paroissiales. Les rois de France, afin de préparer les voies à l'annexion, avaient adopté un excellent système qui consistait, surtout, à nier l'indépendance de la Bretagne vis-à-vis de la France, et des ducs vis-à-vis de leurs puissants voisins. Un des arguments favoris employé principalement par Louis XI, et que nous trouvons recommandé à ses ambassadeurs par ce rusé politique consistait à affirmer que les ducs de Bretagne n'étaient pas souverains dans leurs villes épiscopales, que les évêques passaient avant eux, ce qui dans l'ancien ordre hiérarchique excluait la souveraineté réelle. Louis XI renonça plus tard, il est vrai, à cette argumentation, mais il ne le fit qu'après avoir semé à son profit des germes de dissension entre les ducs et leurs évêques, germes qui se développèrent, à Nantes principalement, sous le règne de notre dernier duc, et contribuèrent beaucoup à ébranler l'unité et l'indépendance bretonne, à la veille du jour où la consistance nationale allait devenir le principal élément de résistance contre l'ambition d'Anne de Beaujeu, digne fille de son père, pour son jeune frère et pupille Charles VIII. Je m'arrête, il en est temps; n'ai-je pas déjà, je le crains sérieusement, dépassé toutes les bornes de l'induction en essayant de faire sortir de ces deux vieux registres des marguilliers de Saint-Jean-de-Béré ni plus ni moins que nos titres de noblesse armoricaine?

Quelle peut être, d'ailleurs, l'utilité de ces retours vers un passé si loin de nous? Comment le rattacher au présent? Ai-je la folle ambition de rappeler les morts à la vie? Non sans doute,

Je me souviens de m'être arrêté un jour, un soir, sur le dernier champ de bataille de la Bretagne indépendante, sur cette bruyère où, le lundi 28 juillet 1488, elle livra son dernier combat pour le droit personnel. La place en est indécise, et aucun monument ne la désigne à la piété du voyageur. Son regard cherche en vain quelque vieille croix de pierre dressée sur la tombe de ces six mille fils de la Bretagne morts en luttant contre un droit étranger. La plupart de leurs noms sont même inconnus. N'ont-ils laissé après eux que des femmes prêtes à entrer dans une autre famille et à porter un autre nom? Non, sans doute, et cependant hormis le vers rauque, mais attendri, du Barzaz-Breiz, traduit récemment en prose française, aucun poète breton, que je sache, ne s'est inspiré de leur courage malheureux. Brizeux lui-même, pourquoi cette inspiration ne lui est-elle pas venue? a oublié de coudre sur sa poitrine la croix noire des champions de Saint-Aubin. Son chant nous aurait touchés jusqu'aux larmes. Il aurait pu l'intituler : « Quia vate

carent. »

Après un si long oubli, qui oserait reprendre leur querelle? Nous vivons cependant, je le sais, dans un temps favorable à ces sortes de tentatives. Les nationalités se réveillent sur toute la surface de l'Europe. Elles soulèvent courageusement la pierre de leurs tombeaux, dût cette pierre retomber plus lourde sur quelquesunes d'elles. L'étude attentive de l'histoire, l'examen de ses origines, les ballades et les chants nationaux avec leur naïveté remise en honneur, les chroniques et les légendes racontées au foyer domestique, les vieux monuments dessinés et parfois restaurés, ont ravivé dans le cœur des peuples le respect de leurs ancêtres. La muse, je veux dire l'ange de l'histoire ne serait-il autre que celui de la résurrection, et le céleste archiviste attaché, dès sa naissance, à chaque nation pour en recueillir les gestes, voyant sa plume d'airain arrachée violemment de ses mains, a-t-il saisi et embouché la trompette qui rappelle les morts à la vie?

Peut-être aussi les nations modernes dans leurs aspirations, si souvent contrariées, vers la liberté, se sont-elles aperçues que celles d'entre elles qui avaient rasé et démoli jusque dans leurs fondements la maison de leurs pères, avaient été moins heureuses

dans leurs reconstructions que celles qui avaient conservé quelques pans de la demeure de leurs ancêtres. Il est certain, du moins, que cette liberté si ardemment convoitée, s'est évadée, en plein jour, de presque tous ces temples aux colonnades et aux péristyles grecs construits pour elle, et qu'à l'étonnement de beaucoup elle ne s'est établie à demeure que dans ces édifices gothiques qu'il n'est point impossible, paraît-il, de réparer, de compléter et d'accommoder à son goût. N'est-ce pas à travers les meneaux et les verrières de Westminster qu'elle a vu passer tant de constitutions aussi perfectibles qu'éphémères ?

est

Que ces leçons profitent aux peuples qui ont conservé leur indépendance, ou qui l'ont perdue hier et pleurée. La nôtre, hélas, anéantie sans retour, je ne dis pas sans compensation. Près de quatre siècles, qui souleverait ce fardeau! pesent sur elle. Nous sommes entourés de choses étrangères, et imprégnés des idées du droit romain qui nous a vaincus deux fois à quinze siècles d'intervalle. Le glaive de ces champions du droit personnel qui disaient fièrement Mon épée et mon droit, ou bien encore, ma maison est ma forteresse, fût-elle couverte de chaume, ce glaive a été brisé à Saint-Aubin et les débris, rongés par la rouille, que le laboureur en retrouve n'ont ni poignée, ni pointe, ni tranchant, objets d'antiquité à placer dans un musée!

Mais le sang n'est pas de l'eau, et l'espace d'une dizaine de générations n'a pas suffi pour le refroidir tout à fait dans nos veines. Il ne faudrait donc pas nous tenir un compte trop sévère de nos tendances lorsqu'elles s'inspirent de ces vieilles franchises, de ces antiques réalités traditionnelles, et lorsque nous plaçons le berceau de nos neveux trop près, au gré de quelques uns, du tombeau de nos pères. Si l'image dont nous nous servions tout à l'heure n'est pas usée, ne pourrions-nous pas dire : l'ange qui, assis près du berceau de notre nationalité, fut chargé, dès l'origine des temps, des annales de la Bretagne autonome a interrompu, il est vrai, son œuvre depuis plus de trois siècles. Moins heureux, ou plus patient, que quelques uns de ses frères il n'embouchera probablement qu'à la fin des siècles la trompette qui réveille les morts, mais, dans sa TOME V. 2e SÉRIE, 15

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longue oisiveté, qui pourrait lui défendre d'agiter doucement ses ailes sur nos fronts endormis et d'y susciter des rêves conformes à la fierté de nos pères?

Un dernier regard sur les archives de Saint-Jean. Remarquons en passant que les titres concernant la fondation de Béré et les archives particulières de cette église nous ont fourni la confirmation d'une double opinion émise par le savant et regrettable Augustin Thierry dans son Histoire de la formation et du progrès du TiersÉtat : « Les traditions du droit romain, dit-il, et de gouvernement municipal conservées dans toutes les provinces de la Gaule ne subsistèrent pas dans l'Armorique..... Deux de ses villes, Nantes et Rennes, ont pu seules retenir quelque chose de la municipalité gallo-romaine. Pour les autres et surtout pour les simples bourgs, la municipalité traditionnelle fut un régime à la fois ecclésiastique et civil, où l'église paroissiale était le centre de l'administration et où le conseil de fabrique remplissait l'office de conseil commun1. ▸

Cette opinion, munie d'un si haut témoignage, doit enfin, il nous semble, mettre à tout jamais les archives municipales de Chateaubriant à l'abri des revendications ministérielles et préfectorales.

A mi-voie de la ville à Saint-Jean on rencontrait le couvent de la Trinité dont l'église gothique s'ouvrait comme une station pieuse pour la foule qui suivait cette voie sacrée chaque dimanche, chaque fête, et surtout à chaque événement de famille accompagné d'une consécration religieuse. Ses hauts murs de clôture bordaient la route jusqu'au presbytère de Béré, et l'ombre même qu'ils projetaient en été sur la voie poudreuse était un bienfait pour la foule pieuse qui la suivait. Cette fondation complétait l'ensemble des édifices religieux de Béré, et c'est à ce titre que nous en parlerons brièvement. Ce prieuré avait été fondé le 3 septembre 1262, par Geoffroy, quatrième du nom, descendant de Briand et d'Innoguent. C'était ce rude soldat de la foi, dont parle Joinville. Parti pour croisade avec saint Louis il combattit, fut fait prisonnier et revint en France avec le roi, qui voulut payer sa rançon, après avoir, par reconnaissance, fleurdelysé ses armoiries. Son retour inattendu

la

1 T. I, p. 76, édition Furne. Comme en Bretagne autrefois, la commune en Angleterre a conservé la forme paroissiale et religieuse,

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