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Je ne voudrais pas manquer de respect à un vieillard dont l'âge le rapproche de l'illustre Biot; mais je ne puis taire l'impression pénible qu'a produite sur moi sa réponse à M. de Carné. Ce ricanement de trois quarts d'heure au bord d'une tombe, ce persifflage de nos guerres saintes, ces injures à l'ancien clergé de France, ces lazzi pour ce qu'il y a de plus vénérable, ces impertinences envers un confrère; que dis-je! cette apothéose de l'auteur impie, obscène, anti-patriote de la Pucelle, aux pieds duquel il voudrait abaisser les plus belles gloires de notre siècle; cette inspiration voltairienne qui cherche le succès en remuant au fond du cœur les sources d'un rire honteux, cette attitude, ce ton, ce geste, cette voix, cette ardeur impuissante, tout cela m'a inspiré un dégoût que je ne saurais exprimer.

Le chantre des Mules de Don Miguel n'avait-il donc pas d'autre moyen d'amuser le public?

A sa place, au lieu d'une « vile prose » hérissée de qui et de que, j'aurais eu recours à la langue des dieux, comme il dit, j'aurais tiré de mon portefeuille, non pas aucune de mes quatorze tragédies inédites, encore moins un chant de mon poème épique la Franciade, qui est allé, hélas! rejoindre Arbogaste, mais une fable. Il en composait déjà il y a soixante ans, pour charmer les belles dames de Lorient, où il servait << Mars et Vénus » selon une expression classique qui ne doit pas lui déplaire; il s'y est remis, sur ses vieux jours, à la prière de certaines duchesses parisiennes. Assurément, une de ses fables eût été plus du goût du public d'élite réuni au palais Mazarin que sa prose vulgaire et pointue. Qui sait? peut-être ce public eût-il fait au fabuliste octogénaire une ovation semblable à celle obtenue par Voltaire, son idole, au Théâtre-Français, lors de la représentation d'Irène? Et moi, chroniqueur véridique je serais forcé d'enregistrer un madrigal réchauffé à peu près ainsi :

O Viennet, reçois la couronne
Que nous venons te présenter :
Il est beau de la mériter

Quand c'est l'Institut qui la donne.

LOUIS DE KERJEAN.

MME LA DUCHESSE DE PARME.

Le 1er février dernier, à quatre heures et demie de l'après-midi, S. A. R. Madame Louise-Marie-Thérèse de France, duchesse régente de Parme, est morte à Venise, entre les bras de son royal frère, après une très-courte maladie.

Cette mort a eu dans toute la France un grand et douloureux retentissement. Ce n'est pas seulement une princesse qui est morte ce jour-là, mais une vraie fille de France par l'esprit, par la tête et par le cœur. En notre siècle égalitaire, - qui voit chaque jour fabriquer des ducs, des comtes, des marquis et des barons, c'est peu de chose peut-être, aux yeux de certaines gens, d'avoir pour aïeux Philippe-Auguste, saint Louis, Henri IV; mais en tous les siècles et aux yeux des hommes de cœur de tous les partis, c'est beaucoup de se montrer digne de tels aïeux.

Cette gloire on ne peut la refuser à la duchesse de Parme. Sur sa tombe à peine fermée on n'est point réduit à déposer pour hommage de banales formules de compliments ou des flatteries mensongères. Ses actes la louent assez, et il suffit de les rappeler. Qu'on nous permette donc de le faire ici brièvement.

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Orpheline dès le berceau par un assassinat, un autre assassinat la fit veuve à trente-quatre ans (le 26 mars 1854) et duchesse régente du petit état de Parme. Quand on relit, dans l'excellent précis de M. de Riancey, tout ce qu'elle a su y exécuter en cinq ans avec des ressources bien limitées, on reste vraiment étonné de cette prodigieuse et universelle activité.

Il est vrai qu'il y avait beaucoup à faire. Le feu duc s'était malheureusement laissé absorber par une influence anglaise, qui n'avait fait qu'accroître le désordre et les embarras de toute sorte, créés par les événements de 1848. Ainsi, avec un budget de 8,000,000 fr. à peine, il y avait une dette publique de quinze millions et une autre de deux millions et demi à la charge exclusive de la couronne; l'université de Parme, jadis si renommée, était désorganisée, réduite à néant; la liberté municipale, qui est, comme on sait, en Italie la vraie forme de la liberté publique, restait depuis six ans supprimée; les Autrichiens commandaient à Parme comme dans une de leurs provinces, etc.

1 Louise-Marie-Thérèse de France, fille du duc et de la duchesse de Berry, était née le 20 septembre 1820, cinq mois avant la mort de son père,

En quelques années tout changea. La régente commença par rétablir la liberté municipale, en vertu de laquelle les habitants de chaque commune rentrèrent dans le droit de choisir directement et les conseillers municipaux, et même les magistrats et administrateurs de la commune.

Elle réorganisa le Conseil d'État, le service des finances. Grâce à une gestion exacte et à de fortes économies dans sa propre maison, elle paya environ sept millions de dette, non-seulement sans mettre de nouveaux impôts, mais même en diminuant les anciens; et avec cela elle ramena son budget à l'équilibre, et puis au-dessus de l'équilibre, puisque celui de 1859 présentait un excédant de recettes de 500,000 fr., soit un seizième du chiffre total. Et savez-vous ce que ces bons Parmesans payaient alors d'impôt par tête? 18 francs, quand on en paie en Angleterre 75, en France 49, quand on en payait déjà 30 en Sardaigne, où ce taux a doublé depuis lors.

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En même temps madame la duchesse régente reconstituait l'université de Parme et lui rendait en peu de temps sa prospérité; elle fondait la banque de Parme, instituait des tribunaux et des chambres de commerce, donnait à l'agriculture toutes sortes d'encouragements, par l'institution de concours, de primes, d'expositions, et même d'un cours triennal de science agricole professé à l'université de Parme, la seule université peut-être qui décerne, après épreuves suffisantes, des diplômes d'agronome expert.

Joignez à cela tout un ensemble d'institutions créées dans l'intérêt des classes inférieures : caisses d'épargne, orphelinats, tout un quartier de maisons ouvrières, construit dans la partie la plus salubre de la ville de Parme aux frais d'une société charitable présidée par la duchesse, etc., etc. Nous avons ici trop peu d'espace pour continuer cette sèche et fort incomplète nomenclature. Un mot seulement de ses rapports avec l'Autriche. Les Autrichiens occupaient le duché depuis 1848. En 1854, quelque temps après la mort du duc, les Mazziniens tentèrent une échauffourée; ayant échoué, ils recoururent au poignard et s'efforcèrent de fonder, par de nombreux assassinats politiques, un vrai régime de terreur. Il fallut recourir à l'état de siége, au tribunal militaire. Dans ce tribunal siégeaient, comme président et comme juge d'instruction, deux officiers autrichiens. Un jour, devant ce tribunal, une grave question s'émut : «Le > conseil de guerre peut-il juger des faits antérieurs à sa création? Un individu, déjà condamné à la peine de mort commuée par grâce en » travaux forcés, peut-il, pour crime antérieur, subir un nouveau juge» ment? » Les officiers autrichiens sont pour l'affirmative, mais la loi de Parme, comme celle de France, exclut la rétroactivité, surtout en matière pénale. Aussi la duchesse, après avoir pris l'avis des meilleurs jurisconsultes, rejette la prétention des Autrichiens. Ceux-ci s'entêtent, em

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barquent dans leur cause le général de Crenneville, commandant du corps d'occupation, puis le maréchal Radetzki lui-même. La duchesse tient bon. Les officiers autrichiens se retirent du conseil de guerre, et peu de temps après, les troupes autrichiennes évacuent le duché de Parme. Mais la duchesse avait amplement pourvu à cette éventualité et par la constitution d'une brave et solide petite armée, et surtout par les bienfaits dont elle ne cessait de combler son peuple.

Car ces bienfaits s'étendaient à tous, sans distinction, et pour le prouver, voici avant de finir un trait qui montre vraiment bien ce que c'est

qu'un cœur de Bourbon. A Parme, comme en beaucoup d'autres lieux, le gouvernement provisoire issu des insurrections de 1848 avait commis ou laissé commettre dans les finances de l'État de grandes dilapidations. Aussi, après le retour du duc Charles III (le mari de Louise de France), les membres de ce gouvernement s'étaient-ils vu condamner par les tribunaux à restituer au trésor un demi-million. En 1854, quand Madame Louise de France prit la régence, ils n'avaient encore versé qu'une partie de cette somme, dont le paiement intégral devait les mettre en un état voisin de la misère. Dès 1855, la régente défendit d'exiger d'eux ce qui restait dû, et en 1857, non-seulement elle les dispensa de solder ce reliquat, mais elle leur fit rendre intégralement tout ce qu'ils avaient payé jusque-là.

Après ce que nous avons dit et quoique nous en ayons dit si peu on concevra aisément que Madame la duchesse de Parme fût adorée de son peuple. Jamais sa popularité n'avait été si grande qu'en 1859, à la veille de la guerre d'Italie. Aussi le parti démagogique ne put rien contre elle. Un instant, le 1er mai 1859, il crut bien l'avoir contrainte å quitter Parme. Mais la princesse s'était seulement éloignée pour conduire ses enfants en lieu sûr. Au bout de trois jours, elle rentra triomphalement dans sa capitale, aux cris d'allégresse de ses fidèles soldats et de la population tout entière.

Dans la formidable guerre qui s'apprêtait, il n'y avait pour elle qu'une ligne honorablement possible, la neutralité. Elle s'y attacha résolûment. Cette neutralité, on le sait, ne fut pas respectée; sans déclaration de guerre, une des grandes armées belligérantes envahit son état. Elle dut céder à la force. Mais voici ce qui reste acquis à l'histoire c'est que Madame, ramenée en triomphe à Parme par ses sujets (le 1er mai), n'en fut chassée (le 9 juin) que par l'étranger.

Depuis lors, réfugiée en Suisse, au bord du lac de Constance, au château de Warteg, elle ne vécut plus que pour sa famille et surtout pour ses enfants, mais d'ailleurs toujours Française de cœur ce qu'on s'explique sans peine et, ce qui étonne davantage, Française aussi de mœurs, de goûts, de grâces et de manières.

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« Tous ceux qui ont eu l'honneur de présenter leurs hommages à Madame la duchesse de Parme (dit un écrivain que nous aimons à citer, M. L. de Gaillard) ne se lassent pas de vanter l'agrément de ses relations et cette franchise d'abord, qui est le premier prestige des princes de bonne race et qui à première vue leur gagne les cœurs.... De tant de qualités charmantes et fortes, de tant de mérites éminents de cette grande princesse, il ne nous reste, hélas! que le triste et déchirant souvenir. La mort a tout pris.... Mais ce qui restera de Madame la duchesse de Parme, ce qui doit dominer les plus douloureuses impressions, c'est l'exemple de sa vie, l'accueil fait à la nouvelle de sa mort, c'est le spectacle d'une << fille de France » laissant à l'histoire, en mourant loin de la patrie qu'elle aimait tant, le renom d'une chrétienne accomplie, d'une femme exquise, d'une mère sublime, et d'une princesse libérale ! »

Nous ne pouvons mieux terminer qu'en nous associant de tout cœur à ces sentiments.

Des services funèbres pour l'âme de cette illustre femme ont déjà eu lieu ou auront lieu dans les principales villes de France, entre autres à Grenoble, à Bordeaux, à Arras, à Saint-Brieuc, à Rennes, à Nantes, etc. A Paris, l'autorité ecclésiastique a refusé la permission nécessaire pour la célébration d'un service solennel. Pourtant cet honneur avait été accordé à la mémoire du comte de Cavour, rapprochement, ce semble, fort instructif, et qui dispense de toute réflexion.

ARTHUR DE LA BORDERIE.

- L'abondance des matières nous force à remettre à la livraison prochaine une notice sur M. de Coux, récemment décédé à Guérande. La Revue répondra aux vœux de tous ses lecteurs en consacrant cet hommage à la mémoire d'un aussi vaillant défenseur de la religion, qui, depuis de longues années, s'était fait notre compatriote.

- Nous sommes heureux d'annoncer que, par arrêté du 8 janvier dernier, M. F.-M. Luzel, l'auteur même du récit d'Hénora Lestrézec, a été chargé par M. le Ministre de l'Instruction publique d'une mission littéraire dans le département des Côtes-du-Nord, à l'effet d'y rechercher et d'y recueillir les Mystères bretons, manuscrits ou imprimés, qui peuvent s'y trouver.

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