Page images
PDF
EPUB

devoit-il croire la parole de l'asne de Balaam, aussi peu que les corbeaux apportassent les vivres à Elie, las et ennuyé au désert. L'Escriture toutefoys dict: Si tacuerint hi, lapides loquentur, qui seroit encore plus difficile à croire. Il advint qu'un jour qu'il se trouvoit en sa ville de Montfort, ceste canne y vint (comme si elle eust voulu se faire voir à cet homme mal persuasible); on le lui vint dire et tout soudain, sans austre accoustrement fors les chausses et pourpoint, de haste qu'il avoit, il se jette hors de table et accourt avec quelques uns des siens, en ladicte église. Ceste canne, sans peur, estoit sortie de l'estang et venue en toute paix parmi le peuple qui lui fendit la voye, se rendant en l'église où elle séjourna et demeura; puis quelque temps après descendit, s'en restournant de mesme qu'elle estoit venue. Il la conduisit à la veue et la suivit jusques à l'estang. Ayant depuis ce temps là entretenu de bien près cet homme, autant de fois qu'on lui en parloit il se taisoit, muet comme la pierre, et ne mettant plus le fait en doubte, il ne s'avança jamais d'en faire jugement, craignant d'un costé la censure des siens et de l'autre estonné par l'évidence de ce miracle, avouant que la canne estoit véritablement sauvage et qu'elle ne pouvoit avoir esté attraite ny apprivoisée par les prestres, comme autrefois il l'avoit dit. »

Plusieurs volumes ont été publiés sur la cane de Montfort. On peut surtout consulter à ce sujet la relation dédiée à Mme d'Andelot, par Louveau, ministre protestant à la Roche-Bernard en 1558. Hay du Chastelet, avocat général au parlement de Bretagne en 1618 et l'un des quarante de l'Académie française, témoigne du même fait dans son histoire de Du Guesclin (livre vi):

« Je me suis trouvé une année par curiosité à la feste de SaintNicolas-de-Montfort qne nous appelons Montfort-la-Canne, à raison du prodige qui se continue tous les ans à la cognoissance publique..... et ay veu cette fameuse canne; mais la foule m'enpêcha de voir si elle laissoit sur l'autel un de ses petits cannetons pour offrande. On rapporte en plusieurs manières l'origine d'une chose si extraordinaire et si incroyable, et peut estre mesle-t-on beaucoup de fables et d'imagination à ce que l'on en raconte. ›

Le P. Barleuf, prieur de Saint-Jacques de Montfort en 1640, rapporte à son tour que « le 27 may 1649, sur les sept heures du soir, la canne et ses cannetons ayant paru dans la rue du fauxbourg qui conduit à l'église Saint-Nicolas, entrèrent de leur propre mouvement dans ladite église, où un grand concours de peuple s'assembla au son des clóches. » Pendant ce temps-lå la cane prit son vol jusqu'aux lambris de l'église, passant et repassant devant le crucifix. Le père Barleuf prit la cane et la tenant sur la main comme un oiseau privé, la faisait voir et toucher à tous ceux qui voulaient, sans qu'elle s'effrayât aucunement. Elle passa la nuit proche l'autel avec ses canetons et pendant la messe que le révérend père célébra le lendemain, plusieurs personnes remarquèrent que lorsqu'il fit les élévations de la sainte hostie et des calices, la cane et ses petits, qui « avoient la queue tournée vers l'autel, se retournèrent jusqu'à la fin de la dernière élévation vers le sacraire. »

Le reste de l'ouvrage du père Barleuf est consacré à l'analyse des procès-verbaux relatifs à l'apparition de la cane, procèsverbaux consignés dans les archives de la communauté de ville et des paroisses de Montfort depuis l'année 1543, et aux exemples des châtiments qu'ont ressentis les téméraires qui ont voulu nuire à cet animal. » Le dernier procès-verbal rapporté dans les registres de décès de Saint-Nicolas est du 9 mai 1739 et signé des recteur, syndic, sénéchal et autres notabilités de Montfort.

En 1761, l'étang qui coulait sous le château et qui servait de retraite à la cane fut desséché; il est aujourd'hui remplacé par de belles prairies, la cane ne paraît plus, l'église de Saint-Nicolas elle-même a disparu, et la croyance populaire déjà bien affaiblie ne tardera pas à s'éteindre à son tour.

Eglise de Coulon. Coulon vient du latin collum, sous-entendu montis (pente de la montagne). Cet édifice était effectivement bâti sur la pente du coteau qui est au midi de Montfort. Coulon portait dès 1152 le titre d'église paroissiale, ainsi qu'on le voit par le Cartulaire de Saint-Jacques (in Parrochia Collum). Démolie en 1809, son emplacement planté d'ormeaux sert de pâture.

L'abbaye de Saint-Jacques fut fondée, comme nous l'avons dit, en

1152 par Raoul II, sire de Montfort. Son église fut reconstruite par Raoul le Molnier, abbé de Saint-Jacques, mort en 1332. Il ne reste de cette époque que la façade occidentale dont le portail et la fenêtre qui le surmonte accusent le XIVe siècle, ainsi que les arcades des transepts. Plusieurs barons de Montfort furent inhumés dans l'intérieur de cette église, ainsi qu'un sire de SaintBrieuc de Mauron et Thomas de Québriac, personnages qui vivaient au XIVe siècle; le dessin de leurs pierres tumulaires nous a été conservé dans le recueil de Gaignières à la bibliothèque impériale. Le dernier titulaire du monastère de Saint-Jacques fut Claude Fauchet, prédicateur du roi, puis évêque constitutionnel et député du Calvados à la Convention nationale, décapité en 1793 comme fédéraliste. Les bâtiments de l'abbaye sont occupés aujourd'hui par des religieuses Ursulines.

Hôpital Saint-Lazare.

C'était une léproserie créée pour les croisés qui avaient rapporté la lèpre de leurs expéditions en Terre-Sainte. Lorsque la lèpre eut disparu de ce pays, cette maison devint un prieuré dont les biens furent affectés aux pauvres. Cet établissement a été transformé en ferme, mais sa chapelle existe toujours. Relevée en 1706 par le père Montfort, elle n'a conservé d'une époque reculée qu'un autel en pierre soutenu par un massif angulaire, qui pourrait remonter au XIIIe siècle, et une pierre sépulcrale portant, dessinée au simple trait et encadrée dans une ogive trilobée, la figure d'une femme vêtue d'une cotte et d'un manteau, la tête nue et les mains posées à plat sur la poitrine. Autour de la pierre règne l'inscription suivante en caractère du XIVe siècle :

+ CI EST ESTAICE: LA TESTUE : EN:

PARADIS SOIT: RECEUE L'AME: DE:

ELLE E MISE: OU: REIGNE: DE: CLARTÉ :

Cette dame devait appartenir à la famille de Dom Guillaume Le Testu, qui plaidait au parlement général tenu à Vannes en 1451

[ocr errors]

contre Bertrand Pillet, sieur de la Salle, de la paroisse de Bréteil ; c'est tout ce que nous avons trouvé sur le nom de Testu.

Usages et curiosités.

A côté des prérogatives de la communauté de ville de Montfort, qui députait aux Etats généraux de la province depuis 1614, régnaient celles antérieures et supérieures du seigneur haut-justicier dont les fourches patibulaires élevées à six poteaux avec ceps et colliers annonçaient au loin la puissance. M. de la Borderie nous apprend que les propriétaires du lieu de la Poulanière, en Coulon, étaient tenus de fournir à la seigneurie « és jours qu'exécution est faite d'aucun cas criminel en la ville de Montfort, deux harts de chêne, l'une torse à droite et l'autre à revers. »

Cette obligation fut plus tard changée en raison de l'adoucissement des mœurs en un chapeau de fleur de cherfeil (chèvrefeuille) sauvage qui devait être présenté aux officiers de Montfort, à l'issue des premières vêpres de la fête de Saint-Jean-Baptiste, à la passée (entrée) du cimetière de Saint-Jean-de-Montfort à peine de saisie du fief.

Le chapeau était ensuite porté sur la Motte-aux-Mariés, près la contrescarpe du fossé du Pas-d'Aune, où toutes les mariées de l'année devaient se trouver réunies, sous peine de 60 sols d'amende, pour danser et chanter chacune leur chanson, ayant à tour de rôle le chapeau de chèvrefeuille sur la tête.

Le seigneur était obligé de fournir cent fagots ou bourrées pour faire un feu de joie pendant que la danse s'exécutait. A la fin de cette cérémonie, les mariées étaient toutes tenues d'embrasser le seigneur ou son procureur fiscal et le chapeau de chèvrefeuille était laissé à la dernière mariée. Les châtelain, prévôt et sergent de Montfort étaient exempts de tous fouages et subsides, à cause de leurs offices. Un autre officier exempt de fouages était le grenetier du grenier à sel de Montfort, établi dans la rue de la Saulnerie. Il en était de même des habitants des bois et forêt de Coulon, vulgairement appelés princiers, c'est-à-dire gens du prince. La forêt de Coulon était au XVe siècle un des cantons de la forêt de Paimpont,

fameuse dans les chroniques sous le nom de Brocéliande. On trouve sur la lisière de la forêt près du village de la Chapelle-ès-Oresve, un menhir renversé, de 3 mètres 55 de haut, dit le grès de SaintMéen, en mémoire d'une tradition populaire, qui rapporte que saint Méen y aiguisa sa hache et que l'ayant ensuite balancée, il la lança en l'air en disant : Où ma hache tombera, saint Méen bâtira.

Ce menhir est ombragé par un magnifique et vieux hêtre, mais bien inférieur par sa grosseur et par son âge au chéne au vendeur, situé à l'extrémité sud de la forêt et qui mesuré au-dessus de sa base, a 8 mètres 33 centimètres de circonférence. Ce doyen des arbres de la forêt n'est plus qu'un vieillard qui dépérit peu à peu et la foudre n'a pas peu contribué à achever sa décrépitude. Cependant il a encore un port majestueux et peut passer pour le roi de tous les arbres de la contrée. Les ventes aux criées avaient lieu sous ce gros chêne, d'où lui est venu le nom de chêne au vendeur, et une assemblée célèbre s'y tenait de temps immémorial.

L'aspect du pays change au sud de Montfort; le Meu se borde de coteaux plus élevés, il arrose dans son cours de grasses prairies encadrées de collines fertiles en partie boisées, dont les moissons et les bouquets d'arbres offrent à l'œil une perspective variée. La forêt de Coulon sur la rive droite du Meu est aujourd'hui séparée de la forêt de Paimpont par les communes d'Iffendic, de Talensac et de Monterfil coupées de cours d'eau, de vallons et de collines où se développaient il y a peu d'années encore les nappes d'eau de plusieurs étangs. On y remarquait notamment la magnifique pièce d'eau de Carray aujourd'hui desséchée et convertie en prairie, laquelle se reliait à l'étang de Penhoët, dominant les ruines du château de Boutavan, à l'étang de l'Aulne se dégorgeant dans une longue vallée jusqu'au-dessous des hauteurs abruptes du Valbuzet, enfin vers l'ouest aux étangs de Trémelin et du Kass.

Ce pays est en outre décoré d'anciens châteaux, dont les plus importants sont : la Chasse, Tréguil, le Breil, la Bédoyère, le Bois-de-Bintin, le Houx et Monterfil.

POL DE COURCY.

« PreviousContinue »