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digne de comprendre et capable d'exécuter dignement la patriotique pensée d'élever une statue à La Tour-d'Auvergne. C'est d'ailleurs un compatriote; il est Breton. C'est au ciseau breton qu'il faut confier nos gloires bretonnes plutôt que d'aller demander leur image à l'industrialisme mercantile des artistes parisiens..... »

Revenant à quelques jours de là sur le même sujet il écrivait ce qui suit :

« Je vous remercie de l'intérêt que vous voulez bien prendre à M. Suc; il en est digne sous tous les rapports. La médaille d'or qu'il a obtenue l'année dernière et les morceaux qu'il vient d'exécuter pour l'exposition de cette année sont une pleine garantie de sa capacité. Déjà fortement impressionné du noble sujet de La Tour-d'Auvergne, il a fait une première esquisse qui m'a semblé fort bien; tâchez d'empêcher le concours; quand on a sous la main un homme capable et que cet homme est breton, il faut savoir l'employer; on ne centralise que trop tous les travaux aux mains des artistes de Paris, et il est urgent de soutenir les hommes de talent qui ont le courage et le patriotisme de rester en province. »

Enfin, après qu'il eut été décidé que la statue du premier grenadier de France serait confiée à M. Marochetti, M. Billault, alors député de Nantes, exprimait dans les termes suivants sa désapprobation et ses plaintes

.....

... Je suis désolé de ce qui se passe pour notre pauvre Suc, et je ne comprends pas comment M. Marochetti peut, usant, ou plutôt abusant de sa fortune, chercher à se créer un titre de préférence par l'offre de travaux gratuits qu'un artiste peu fortuné ne peut pas faire comme lui. Je comprends encore moins que des Bretons ne sentent pas que l'hommage offert par la Bretagne à l'un de ses plus glorieux enfants soit un produit de l'art breton.....

» Ne croyez pas que le tourbillon parisien m'absorbe en entier; il ne m'a pas inspiré d'illusions, je le vois plutôt avec dégoût tant il s'y remue d'intrigues et de sales passions; je suis et je veux rester provincial de cœur et de dévouement, surtout je veux rester Breton; j'aime passionnément notre vieille Bretagne, sa loyauté, sa franchise, toutes les vertus dont ici il n'y a pas même l'ombre »

Nous avons tenu à citer ces passages caractéristiques qui révèlent un coin peu connu ou peu apprécié du caractère de M. Billault et qui répondent trop bien à nos propres pensées pour que nous ayons pu les passer sous silence. Des doctrines tout opposées prévalent à cette heure, nous le savons, au ministère d'État que notre compatriote vient de traverser rapidement. Mais nous ne saurions en douter, si le temps ne lui eût fait défaut, le ministre de 1863 eût tenu toutes les promesses du député de 1838.

On sait que le Conseil municipal de Nantes a décidé qu'une statue serait élevée à M. Billault sur une des places de la ville. De son côté, Vannes a donné à une de ses rues le nom du ministre défunt dont le buste en marbre doit en outre être prochainement placé dans une des salles du Corps Législatif.

Voilà assurément bien des honneurs.

Au moment même où ils étaient décernés à la mémoire du ministre mort en pleine possession de la puissance et de toutes ses dignités, le général Bedeau s'éteignait au sein de Nantes et descendait silencieusement dans la tombe. Il avait répudié pour ses funérailles tout vain apparat, toute pompe militaire, tout discours, s'en rapportant pour son éloge funèbre à l'estime de ses vieux compagnons d'armes et à la justice de l'Histoire. Cœur pieux et esprit chevaleresque, il fut l'homme d'un serment; il sut résister aux séductions des dignités; pour demeurer fidèle à luimême et à l'intégrité de sa vie, il préféra l'Honneur aux honneurs.

Né à Vertou, il fut élève de la Flèche, de Saint-Cyr, de l'École d'ÉtatMajor. En 1836 il partit pour l'Afrique où son courage, son coup-d'œil, son sang-froid le placèrent bientôt au premier rang de nos illustrations militaires.

Il était un des premiers et un des plus brillants de cette glorieuse phalange qui, sur le sol africain, a consolidé et agrandi la conquête de la Restauration.

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Pendant douze années il a pris part à tous les combats, à tous les siéges, à toutes les batailles de l'armée d'Afrique et, maintes fois, son sang a rougi le sol que d'autres cultivent et ensemencent aujourd'hui.

Après la révolution de 1848 son rôle s'est élevé à la hauteur d'une mission politique. En Février il a.... obéi. En Juin il a versé son sang pour le salut public. A la Constituante comme à la Législative, il a constamment fourni des preuves d'une rare capacité et d'un noble caractère. En décembre 1851, il a été renfermé à Mazas.

Depuis lors, le général Bedeau a vécu dans la retraite. Calme et résigné, tout entier à ses nobles souvenirs et aux célestes espérances, il avait trouvé dans sa foi religieuse, dans la pratique assidue des œuvres de piété un refuge assuré contre les douleurs d'ici-bas, contre les défaillances de l'âme et du cœur, et aussi un préservatif contre ces amertumes et ces ressentiments si naturels à ceux qui ont été précipités, jeunes encore, du faîte des honneurs et du pouvoir.

Des amis dignes de lui l'ont accompagné à son dernier repos. Le général de Lamoricière, le comte Théodore de Quatrebarbes, MM. Dufaure et Lanjuinais se tenaient auprès de son cercueil et, comme nous l'avons dit, les prières de l'Église et les larmes des gens de cœur ont seules payé un tribut de regrets à la mémoire de ce soldat sans peur et de ce chrétien sans reproche.

Général, il est possible que votre statue ne s'élève jamais sur une de nos places publiques; mais il est certain que la Bretagne tout entière vous en a déjà dressé une en son cœur!

— Maintenant, pour compléter cette chronique funéraire, je dois vous parler d'un gentilhomme breton qui vient de finir ses jours à Paris, et

dont la physionomie originale mérite bien quelque attention et quelque souvenir.

M. de Kerhoënt de Kergournadech, marquis de Coëtanfao, appartenait à cette héroïque phalange d'officiers qui brisèrent leur épée en juillet 1830, quand l'émeute des trois jours eut brisé le sceptre du roi auquel ils avaient prêté serment. Pauvres, pour la plupart, ils savaient qu'en refusant de s'enrôler sous le drapeau victorieux, ils marchaient au-devant de la misère.

Mais le devoir et l'honneur ne calculent pas. Les officiers royalistes se firent marchands, industriels, hommes de bureaux, courtiers d'assurances, que sais-je ?

M. de Kerhoënt eut une destinée bizarre. Il s'attacha à M. Alexandre Dumas. Il devint l'ami, le suivant, le commensal assidu de l'auteur des Trois Mousquetaires. H était le témoin de ses travaux littéraires et de ses combats.... singuliers, le porteur de tous ses cartels, le répondant de son honneur.

Étrange fonction, il faut le dire, pour un Kerhoënt de Kergournadech, marquis de Coëtanfao.

Mais grâce à l'immense va-et-vient des révolutions et au travail de déclassement universel qui s'accomplit en ce siècle d'égalité, on en a vu et on en verra bien d'autres !

- Et là-dessus, lecteurs et lectrices de la Revue de Bretagne, permettez moi de vous tirer na révérence et de prendre congé de vous jusqu'au mois prochain. Si ma chronique vous a semblé un peu funèbre et un peu sombre, songez que nous sommes dans le mois des morts et dans la saison des tempêtes.

LOUIS DE KERJEAN.

P.-S. A chacun son instrument. Si les écrivains ont eu leur plume pour réfuter la Vie de Jésus, M. Amédée Menard Breton contre Breton se sert de son ciseau pour la stigmatiser. - Voici le sujet d'un bas-relief inspiré à notre honorable artiste par l'impiété de M. Renan. Il l'a intitulé: Jésus triomphant de l'erreur. Il aurait pu l'appeler aussi bien: Une réprobation bretonne.

L'auteur de la Vie de Jésus, assis dans l'antre des spéculations infernales, compose son déplorable ouvrage sous la dictée du démon de l'orgueil, qui tient sous son bras gauche les œuvres du docteur Strauss et consorts. Aux pieds de l'écrivain s'étale la masse d'or qu'il doit recueillir. Près de lui, Judas, pendu à un arbre, porte sur sa poitrine la bourse contenant le prix du sang; et les chauves-souris agitent leurs ailes dans les ténèbres qui les enveloppent tous trois. Cependant, la personne radieuse de Notre-Seigneur Jésus-Christ plane dans la partie supérieure du bas-relief, et s'élève au ciel, entourée de flots de nuages au sommet desquels est inscrit l'Hosannah qui constate sa gloire et son triomphe.

On a fait une belle photographie de cette nouvelle réfutation; elle se vend, à Nantes, chez M. Bazelais, rue Boileau, 16, au prix de 5 francs. Avis aux anti-renanistes.

LES VILLES DE BRETAGNE.

MONTFORT-SUR-MEU.

La ville de Montfort, bâtie au confluent du Meu et du Garun, est moins connue par elle-même que par ses possesseurs qui ont joué un grand rôle dans l'histoire. Elle fut fondée en 1091 par Raoul, sire de Gaël, qui prit le nom de Montfort conservé par ses descendants. Raoul, après avoir accompagné Guillaume de Normandie à la conquête d'Angleterre en 1066, fut gratifié par ce prince de l'ancien royaume d'East-Angle comprenant les comtés de Norfolk et de Suffolk. Il signe en conséquence: Radulphus comes Estangliæ. Robert Wace l'a célébré dans son roman de Rou:

Et Raoul y vint de Gaël

Et maint Breton de maint chastel

Et cil devers Bréciliant

Dont Bretons vont souvent fablant.

Raoul épouse Emma, fille de Guillaume de Breteuil, comte d'Herefort, et forme, en 1074, avec Roger de Breteuil son beau-frère, le projet de détrôner Guillaume le Bâtard, alors occupé dans le Maine, et de partager entre eux l'Angleterre. Leurs mesures étaient si bien prises que sans l'évêque de Worcester qui se porta avec une armée entre les troupes confédérées pour les empêcher de se réunir, la cause de Guillaume eût été fort compromise. Raoul se réfugie alors dans Norwich, où il est assiégé pendant trois mois. Il résistait vaillamment; mais, voyant qu'il n'était pas secouru, il laisse à sa femme le soin de prolonger la défense de sa forteresse et court chercher des TOME IV. 2e SÉRIE.

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renforts en Danemark, tandis que le conquérant est obligé de repasser la mer, pour venir l'assiéger en personne.

Vaincu, ses biens d'Angleterre confisqués, Raoul de Montfort n'est point abattu pour cela. De retour en Bretagne dès 1075, il se joint aux seigneurs bretons qui faisaient la guerre au duc Hoël, et sa seule présence, dit dom Morice, leur valait une armée.

En 1085 il arrête à Dol le roi d'Angleterre qui ne peut l'y forcer, et lui enlève son bagage évalué à plus de 15,000 mille livres sterling; puis part avec sa femme et son second fils Alain pour la première croisade, en 1096, fait encore ses preuves de vaillance au siége de Nicée, et y meurt chrétiennement en 1097 (in við Dei pænitens et peregrinus, dit Orderic Vital). Raoul II, sire de Montfort, fils et successeur du précédent, qualifié par Orderic Vital audaci athleta, ne dégénéra pas. En 1117 il accourut au secours du roi Henri pour défendre la Normandie investie par Louisle-Gros, le comte d'Anjou et le comte de Flandres, et défia, dans le château de Breteuil, toutes les forces de la France. Quoiqu'il eût fait ouvrir toutes les portes de Breteuil, pas un Français n'osa y entrer. Le roi Henri lui demanda la main de sa fille Amice, pour son fils Richard auquel elle fut fiancée; mais Richard, ayant péri dans un naufrage, Amice épousa Robert, comte de Leicester.

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Raoul de Montfort assista à la réconciliation de l'Église de Redon en 1127, fut excommunié, en 1133, pour avoir usurpé les biens de l'abbaye de Saint-Méen, et mourut en 1142.

Il est inconcevable que ces grands batailleurs, qui résument si bien leur époque, aient été oubliés dans toutes les biographies même bretonnes, tandis que les plus obscurs écrivains y tiennent tant de place.

Raoul II laissait pour fils aîné d'Havoise de Hédé, Guillaume, marié à Amice de Porhoët, qui forma le projet de fonder une abbaye auprès de son château. Après avoir cherché un endroit convenable, il n'en trouva pas de plus propice qu'une plaine au nord des buttes de la Harelle, auprès de la rivière du Meu, à un kilomètre au sud-est de Montfort. La première pierre du monastère, créé pour six chanoines réguliers de l'ordre de Saint-Augustin, fut posée en 1152 et saint Jean de la Grille, évêque de Saint-Malo, en consacra l'église

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