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» Lorsque les Bleus revinrent de la poursuite, ils eurent à se battre » contre cette poignée de braves gens, qui se firent tous hacher » sur leurs canons. Pierre Bibard, seul, couvert de vingt-six bles>sures, fut emmené prisonnier. Comme il était bien vêtu (car il » était riche alors), on le prit pour un chef d'importance. Déposé et » gardé à vue dans un grenier, il y resta presque nu et en butte aux plus mauvais traitements. Huit jours après, les Vendéens se pré» sentèrent de nouveau devant Fontenay. Dès que l'attaque eut » commencé, le soldat républicain qui surveillait le malheureux » Bibard se mit à l'accabler de menaces et d'invectives, et tournant >> sans cesse contre lui sa baïonnette, jurait de le tuer si la ville était » prise. Cependant, inquiet et regardant à diverses reprises par la » fenêtre, il oublia un instant son fusil. Le prisonnier, presque » mourant, se traîna vers l'arme, la saisit, et contraignit son fa>> rouche geôlier à se retirer. Après la prise de la ville, ce méchant > homme, confronté avec Bibard, attendait en tremblant l'arrêt de » mort qui devait suivre des plaintes trop fondées sur la conduite » inhumaine et brutale dont il se sentait coupable. Mais le brave › Bibard, déposant tout ressentiment, loin d'accabler son ennemi » par le récit de ses torts, demanda et obtint qu'on le mît en liberté, » puis lui dit à voix basse : Souviens-toi que je t'ai pardonné pour l'amour de Jésus-Christ.... >

Pendant que l'héroïque Bibard témoignait publiquement à Georges sa gratitude, une sinistre nouvelle se répandait parmi les groupes de Vendéens, dont chaque minute accroissait le nombre: on n'avait pas retrouvé Marie-Jeanne ! Les républicains entraînaient Marie-Jeanne dans leur fuite !... Alors vous eussiez vu tous ces hommes, Georges à leur tête, se précipiter, comme des fous, à travers la grande rue, et gagner la sortie de la ville, du côté de Niort. Que leur importait leur éclatante victoire, s'ils perdaient leur trésor le plus précieux, leur Marie-Jeanne vénérée!...

Il était temps qu'ils arrivassent à la rescousse : une lutte acharnée était engagée déjà entre les vaincus et quelques paysans, parmi lesquels on distinguait un officier, Forêt, monté sur un cheval de

1 Mémoires de Mm la marquise de La Rochejaquelein, 6o édit. note des pp. 173

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gendarme, et qui distribuait les coups de sabre avec une ardeur qui commençait à s'épuiser, tandis qu'un autre Vendéen, serrant le canon béni entre ses bras, se laissait mutiler sans vouloir lâcher prise. A la vue du renfort que Georges précédait, les républicains s'intimidèrent et, la rage dans le cœur, abandonnèrent enfin une proie dont la perte ils le sentaient bien ! — équivalait pour eux à une seconde défaite.

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Vous connaissez les détails de la scène si nouvelle qui suivit ; mais ce n'est rien de les lire dans les froides pages de l'Histoire; ah! si vous aviez entendu Georges nous les raconter, nous peindre l'enthousiasme, le délire dont furent saisis les paysans à l'aspect de Marie-Jeanne reconquise; les pleurs qu'ils versaient, les cris d'allégresse qu'ils poussaient autour d'elle, puis les apprêts du retour triomphal : les buissons d'aubépine dépouillés de leurs rameaux fleuris, les rubans apportés de toutes mains pour orner la bienheureuse pièce; puis la rentrée en ville, au son des cloches lancées à toutes volées et au milieu des flots de Vendéens, s'agenouillant au passage de Marie-Jeanne, comme ils l'eussent fait à une procession solennelle du Saint-Sacrement. Cette religieuse et suave idylle, succédant tout à coup aux scènes meurtrières, ravissait son cœur de chrétien, échauffait son imagination de poète.

Il ne se lassait pas non plus d'admirer et de nous vanter l'intrépidité, la douceur, la grandeur d'âme de ses compagnons d'armes. Quelles représailles exercèrent-ils contre leurs ennemis, durant les trois jours qu'ils passèrent à Fontenay: ils brûlèrent des assignats ou s'en firent des papillotes; ils allumèrent un feu de joie avec le bois de la guillotine; ils soumirent leurs prisonniers à un supplice que l'on n'avais encore jamais appliqué : ils les réunirent dans la grande prairie, et là ils s'amusèrent à les tondre comme des agneaux, pour les reconnaître et les punir, s'ils reprenaient les armes contre eux; puis ils leur rendirent la liberté; enfin, ils rouvrirent l'église de Notre-Dame, fermée depuis trop longtemps, et, agenouillés humblement sur les dalles, ils chantèrent au Dieu des armées, au Dieu proscrit par ceux qu'ils combattaient, un Te Deum d'actions de grâces!

TOME IV. 2e SÉRIE,

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- Les voilà, s'écriait Georges, les voilà ces hommes que l'on prétend flétrir du nom de Brigands! tant il est vrai que tout est bouleversé, révolutionné, dans notre pauvre France!...

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Je n'ai pas d'expressions, mon ami, pour vous rendre les sentiments qui nous animèrent tous pendant ces trois journées des 25,26 et 27 mai. Nous ne voulions pas songer à l'avenir; nous savourions la félicité du présent; nous nous tenions en extase le mot n'est pas trop fort devant notre jeune héros. Cette semaine, passée à l'air libre et consacrée aux occupations guerrières, avait suffi pour réveiller complétement en lui l'homme d'action et pour communiquer un nouveau genre de beauté à sa physionomie plus mâle. Cette transformation pouvait se comparer à celle dont parle Mme de la Rochejaquelein, quand elle dit de Henri, au moment où il se décide à se mettre à la tête des paysans, qu'il prit tout à coup cet air fier et martial, ce regard d'aigle, que depuis il ne quitta plus.

M. Dumont se sentait guéri de sa blessure comme par enchantement; Mme Dumont, aidée par Laure, s'ingéniait à composer des repas capables de dédommager son cher enfant des privations de la prison et de la frugalité du bivouac. Quant à l'épouse, quant à Marguerite, elle n'était plus reconnaissable. La mélancolie, qui voilait son regard, s'était dissipée comme un nuage au souffle d'une brise d'été. Ses joues pâlies avaient retrouvé la fraîcheur et la coloration de ses meilleurs jours. Comme la fleur, si vous me permettez une image poétique, comme la fleur dont elle portait le nom, elle souffrait et dépérissait sous l'influence de rayons trop désséchants; mais une rosée bienfaisante l'avait ranimée soudain, et sa tête s'était relevée, plus vivante, plus radieuse que jamais.

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Je vous le disais tout à l'heure, et je vous le répéterai, pour vous résumer d'un mot notre situation morale à tous : le ciel était véritablement descendu parmi nous!

(La fin à la prochaine livraison).

EMILE GRIMAUD.

LES VIEILLES TRAGÉDIES FRANÇAISES.

PYRAME ET THISBÉ.

Deux fois, au XVII siècle, le sujet de Pyrame et Thisbé a été mis sur la scène française avec un grand succès d'abord en 1617, par le poète Théophile, puis en 1674, par Pradon.

La pièce de Pradon, servilement coulée dans le moule classique, développe bien moins la donnée de la Fable que les propres inventions de l'auteur, pauvres inventions!

L'œuvre de Théophile a cet avantage, que deux de ses vers au moins sont connus de tout le monde, grâce à Boileau, qui, dans la préface de l'édition de ses œuvres donnée en 1701, s'avisa d'écrire ces lignes :

<< Veut-on voir combien une pensée fausse est froide et puérile? » Je ne saurais rapporter un exemple qui le fasse mieux sentir que >> deux vers du poète Théophile, dans sa tragédie intitulée Pyrame et »Thisbé, lorsque cette malheureuse amante, ayant ramassé le poi> gnard encore tout sanglant dont Pyrame s'était tué, querelle ainsi >> ce poignard :

» Ah! voici le poignard, qui du sang de son maître

» S'est souillé lâchement. Il en rougit, le traître!

>> Toutes les glaces du Nord ensemble ne sont pas, à mon sens, » plus froides que cette pensée. Quelle extravagance, bon Dieu! de » vouloir que la rougeur du sang, dont est teint le poignard d'un

!

> homme qui vient de s'en tuer lui-même, soit un effet de la honte » qu'a ce poignard de l'avoir tué! »

Ainsi, ces deux vers possèdent, depuis deux siècles, l'immortalité du ridicule qui, par un effet très-naturel, s'est vite étendue à toute la pièce d'où ils sont tirés. Les biographes de Théophile disent bien que, malgré ce distique, la pièce ne manque point d'un certain mérite, ni même, çà et là, de vers bien frappés. J'avais lu plusieurs fois cette assertion sans en tenir compte, jusqu'à ce qu'enfin, un de ces derniers soirs, le hasard m'ayant remis entre les mains les œuvres de Théophile, j'ai voulu voir par moi-même ce qu'il en était. A tout le moins, pensais-je, bonne ou mauvaise, cette pièce ne peut guère manquer d'avoir quelque chose d'original. Au pisaller, elle a certainement le mérite d'être un jalon important dans l'étude de notre littérature dramatique, puisque tous les historiens de notre théâtre rapportent qu'elle eut sur la scène un très-grand succès, et fut même considérée comme la tragédie française la plus régulière qu'on eût jouée jusque-là.

Après avoir lu cette pièce, il m'a semblé bon de la faire connaître, au moyen d'une analyse détaillée, où j'ai pris soin d'insérer un nombre de vers (tant bons que mauvais) assez grand pour permettre d'apprécier le fort et le faible du style dramatique de Théophile.

Ce n'est point une réhabilitation que j'entreprends, pas même, je le crains, un simple chapitre d'histoire littéraire; c'est, si l'on veut, le feuilleton dramatique dont les critiques du lundi auraient pu saluer la première apparition de Pyrame et Thisbé, si l'an de grâce 1617 eût été, en fait de gazettes, aussi favorisé que nous.

Pyrame et Thisbé est une tragédie en cinq actes et en vers; mais, Dieu merci, les actes ne sont pas longs.

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Thisbé se promène seule dans le vaste jardin de sa mère, et charmée de la liberté que lui donne la solitude, elle entame un monologue où elle exprime à la fois ses sentiments sur l'amour en général et sur Pyrame, son amant, en particulier :

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