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pairs, ni aux succès de fureur des mauvais livres, non à rien de de tout cela en vérité. Au surplus, le voilà qui s'arrête devant la sarcleuse et qui lui dit quelques mots.

Tu n'as pas de bon sens, Barbane, avec ta rage de tout sarcler, à ton âge; ya-t-en te reposer sur le banc du foyer; je suis sûr que l'on a besoin de toi à la cuisine.

Discours inutile, Barbane sarcle de plus belle, et comme elle n'y voit pas clair, elle arrache bonnes et mauvaises herbes, oignons et vinette, carottes et seneçon.

Pauvre vieille! murmure M. Thomé (comme on disait), en s'éloignant, elle périra sur le carré, le sarcloir à la main. Alors il s'approche de Madame de Kerestin:

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Ma chère Louise, il est temps de faire rentrer votre fille je sens le frais du soir, la rosée, le serein.....

Croyez-vous, Thomé? Elle s'amuse tant, la chère petite! regardez-la un peu triste, cependant, depuis la mort de sa cousine Marie, que nous désirions tant élever avec elle.... C'est pourquoi il faut beaucoup la distraire, mon ami.....

Sans doute, sans doute, vous avez bien raison, Louise; aussi, quand je vous vois la gronder pour ses devoirs, cela me fait franchement de la peine.

Allons, mon ami, laissez-moi conduire notre petite Louisa; vous êtes trop bon, Thomé, vous me la gâteriez à la fin, je veux que ma fille..... Allons, qu'est-ce donc ?

Maman, maman, le facteur, une lettre, Paris, très-pressée.
Petite curieuse, va, donne vite.

Mon enfant, ajoute Mme de Kerestin, il ne faut jamais crier ainsi à tue-tête quand on apporte une commission à son père, et surtout se bien garder de lire l'adresse des lettres.

Pourquoi, maman?

Parce qu'il y a là un petit commencement d'indiscrétion...... Comprends-tu ?

Pas très-bien, maman.

- Je vais te l'expliquer.

Grande nouvelle, grande nouvelle, approchez tous ! voyons,

nous n'avons pas de temps à perdre...... Allons donc, Jacques, presse-toi plus que cela, que diable ! la chose est importante, et je ne veux pas le recevoir comme un premier venu, avec rien que le

pot au feu; d'abord demain matin au petit jour.....

De grâce, mon ami, m'expliquerez-vous ?....`

— Tout à l'heure, ma chère, permettez, c'est moi qui commande dans les grandes circonstances: dès ce soir, Barbane, il faut tuer trois poulets, un dindon, deux canards; ils seront plus tendres..... Allons, à l'instant, marche, plus vite que cela.... et toi, Jacques....

Mais enfin, Thomé, avez-vous perdu la raison?

Pas le moins du monde, ma chère, mais la joie, l'étonnement..... Quoi! tu ne devines pas ?

--

Non.

Tu ne sais pas qui nous allons recevoir chez nous, au Merzer, après-demain, là, ici, à notre table ?

Je ne sais, et à moins que ce ne soit monseigneur l'évêque de Quimper, je trouve votre enthousiasme assez singulier.

- Hein! que dis-tu ?... Il est vrai, je n'avais pas songé que la visite d'un évêque serait encore plus importante.... mais, n'importe, me voilà calmé; lis toi-même la bonne lettre de ce cousin que j'aimais tant autrefois; lis, tu verras.

J'ai lu, mon ami, et tout au contraire, je trouve que M. Brizan vous annonce sa visite ou son passage d'une façon assez cavalière.

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Ah! ne vas-tu pas te susceptibiliser à présent? Mais c'est un camarade qui m'écrit à la hâte, un cousin, un député.... Comprends

tu?

Que me fait votre député, s'il n'a pas d'autre recommandation à notre estime? et d'où vient-il? que veut-il ? pourquoi ce voyage dans nos montagnes, chez des parents éloignés, inconnus, qu'il n'a jamais recherchés avant ce jour ?

C'est mon cousin, je ne sais trop à quel degré ; une vieille tante lui a laissé deux ou trois métairies du côté de Landerneau; il vient les visiter sans doute, et nous fait l'amitié de faire étape chez nous,

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Bien obligée.

Et puis, vois-tu chère femme, c'est un ancien camarade de collége; nous avons passé de bonnes années ensemble, chez les bons pères de Sainte-Anne-d'Auray. Depuis, il est vrai, je n'ai guère entendu parler de lui; il est allé, je crois, faire son droit à Paris, et moi je suis venu défricher quelques arpents dans les montagnes. N'importe, je ne puis recevoir froidement un ancien camarade que je tutoyais jadis, un cousin, un député d'un département du centre, à ce que je crois; car il a fait son chemin, lui, tandis que moi..... moi, j'ai planté mes choux.....

Thomé, ce que vous dites là n'est pas bien, mon ami; n'avez-vous fait que planter vos choux? En vérité vous êtes sévère pour vous-même; heureusement que ni le recteur, ni les pauvres de la commune ne sont de votre avis..... et vos fermiers qui vous bénissent à cause de l'aisance que vous leur donnez, et vos serviteurs qui vous adorent, et votre femme et votre fille, que vous aimez tant, et vos amis que vous obligez tous les jours.... En vérité vous oubliez vos meilleurs titres à l'estime de tous ceux qui vous connaissent.

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Franchement, je ne pensais pas avoir tant de qualités; mais, ne te fâche pas, et je me proclame un grand homme.

Un grand homme! Oh! non pas, Dieu nous en préserve! car un grand homme est à l'étroit dans sa maison; sa femme, sa prosaïque épouse l'ennuie bientôt, ses enfants le fatiguent, les soins de son intérieur lui sont fastidieux; il ne songe qu'à se répandre au dehors, et cherche dans les assemblées bruyantes le bonheur qu'il ne trouve plus au foyer domestique; il ne conserve pas dans son cœur le culte du pays; heureux s'il n'oublie pas, pour n'y plus revenir, la piété et la religion de ses pères!

En disant cela, Mme de Kerestin n'était plus la même sa simplicité ordinaire avait fait place à une sorte de grandeur naturelle qui semblait, au reste, convenir à la noblesse de ses traits et de son caractère; car, sous le costume plus que démodé, sous l'aspect antique de la bonne ménagère de campagne, Mme de Kerestin cachait un noble cœur, un jugement droit, une charité au-dessus de sa

modeste fortune. Son mari possédait également une partie notable de ces belles qualités du châtelain breton; mais chez lui la bonté l'emportait toujours sur l'esprit. Depuis longtemps dominé à son insu par la supériorité bienveillante et presque inaperçue de sa femme, il avait, autant par habitude que par affection, accepté ce joug si cher à son âme aimante et faible; joug d'autant plus aimable que l'épouse ne se l'avouait pas complétement à elle-même, et qu'elle ne perdait aucune occasion sérieuse de mettre en relief la douce autorité de son mari.

Elle reprit avec plus de douceur :

Pardonne-moi, cher Thomé, si je t'en dis autant sur ce sujet, bien nouveau pour nous; mais, vois-tu, ton enthousiasme pour ce cousin député m'a fait une impression que je ne puis te dissimuler. Enfin, puisque tu le désires, à présent que je t'ai dit tout ce que j'en pensais, je vais me mettre, comme toi, en quatre pour fêter l'arrivée de monsieur Brizan.

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A la bonne heure, et console-toi, sa grandeur ne m'éblouira nullement s'il ne le mérite pas; cependant je ne veux pas qu'il puisse dire qu'en Bretagne on ne sait pas donner à un parent une franche et cordiale hospitalité. Ainsi donc, à la besogne, et tordons le cou à la moitié de la basse-cour; car je veux inviter à dîner, avec mon cousin, le recteur et le maire de Ploudiry. Qu'en penses-tu?

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Cela me paraît convenable, puisque nous recevons un tel personnage; mais, gare à lui, car le recteur est un homme de beaucoup de sens, et, franchement, il y en a peu dans cette lettre que je tiens entre les mains.

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Le lendemain, il y eut branle-bas de combat au manoir du Merzer. Les pauvres habitants de la basse-cour y payèrent un large et sanglant tribut; le vieux Jacques fut dépêché en toute hâte à la

ville, avec la carriole et la vieille Cocotte, pour y quérir force provisions, verres de cristal el assiettes de porcelaine; tout cela se trouvant étrangement ébréché, fêlé, fumé, dans les vieux buffets du manoir. Mais Landerneau est une ville de ressources et Jacques y fit des merveilles; à tel point, qu'à son retour, sur les deux heures, lorsque le bon châtelain eut soigneusement déballé toutes les provisions, il parut satisfait, émerveillé, et s'écria:

Diable, si monsieur mon cousin n'est pas content, il sera joliment difficile !....

Le reste de la journée se passa en apprêts de toutes sortés, en allées et venues, en courses au bourg de Ploudiry pour menues fournitures, puis chez le recteur et M. le maire de la commune, personnage important, jadis bon paysan, mais qui, depuis sa promotion, faisait de prodigieux efforts pour se travestir en bourgeois, toujours brave homme au fond, sauf un vernis ridicule à la surface, de plus fort actif, surtout quand il s'agissait de conclure un bon marché de toiles ou de fil; nageant entre deux eaux, entre le manoir du Merzer et la sous-préfecture de Brest; serviable et dévoué quant au reste, mais avide de gloire administrative. Aussi reçut-il l'invitation à dîner au manoir avec une satisfaction qu'il manifesta sur le champ, en faisant mander le secrétaire de la mairie, ancien cloarec1 de trente ans au moins, sergent d'église ou bedeau et sonneur de cloches à Ploudiry, où la loi du cumul n'était guère respectée à cette époque, tisserand de son état et braconnier par-dessus le marché.

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Sais-tu, Bideau, lui dit le maire, que je dîne demain au manoir avec un député de Paris?

Je ne dis pas non, Iann.

Le maire s'appelait Iann Postik, et en Basse-Bretagne le secrétaire de la mairie traite avec lui de puissance à puissance.

-Sans doute, reprit le maire, mais comprends-tu, Bideau ? avec un député de Paris, un homme qui cause devant le Roi, tous les jours!

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