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mon cher Henri de Courcy', m'écrivait-il le 9 janvier 1862, le Féli de ces belles années où Bruté était son ami, Teyssère son conseiller et Carron le guide de tous les grands actes de sa vie. Je ne crois pas qu'il se soit trompé sur la place que Dieu lui destinait dans l'Eglise. Ce ne fut pas un intrus dans le sacerdoce; mais les mieux appelés peuvent, jusqu'au dernier jour, être des déserteurs. C'est la qualification que je donne, en frissonnant, à ce malheureux (comme l'appelait l'abbé Jean) qui avait bien reçu autant ou plus que son frère, mais qui n'a point persévéré jusqu'à la fin. ›

Je le répète, ces observations ont un grand poids, et cependant nous nous rappelons les paroles de l'abbé Jean, du frère de ce malheureux; nous pourrions invoquer celles de ce malheureux luimême : « Ce n'est sûrement pas mon goût que j'ai écouté, écrivait-il à sa sœur, en me décidant à reprendre l'état ecclésiastique; mais enfin il faut tâcher de mettre à profit cette vie si courte. Ce qu'on donne à Dieu est bien peu de chose, rien du tout et la récompense est infinie 2. »

Aujourd'hui enfin nous savons ce que Lacordaire pensait et disait de celui qui fut son ami et son maître. - «On m'accuse d'être impitoyable envers lui, écrivait-il en 1834; si j'avais jamais découvert dans le cœur de l'abbé de La Mennais, une seule larme vraie, un seul sentiment d humilité, ce quelque chose de touchant que donne le malheur, je n'aurais pu le voir et y penser sans être attendri jusqu'au plus vif de mes entrailles. Quand nous étions ensemble et que je croyais découvrir en lui de la résignation, des sentiments dénués d'orgueil et d'emportement, je ne saurais dire ce qu'il me faisait éprouver. Mais ces moments ont été bien

1 C'est dans le Correspondant (t. XXXIII, p. 344,) qu'Henri de Courcy a exprimé son opinion: « Il fallut, dit-il, lui faire une sorte de violence pour le déterminer à s'engager irrévocablement dans le sacerdoce... La vocation du jeune prêtre lui manqua dans le moment le plus solennel; c'est par condescendance qu'il ne sut pas reculer franchement en arrière, dans une voie où l'imagination seule l'avait entraîné, et il est permis de regretter qu'on l'ait influencé dans une si grave détermination. C'est surtout à l'abbé Carron que revient la responsabilité... »

2 Citée par M. Blaise dans son Essai biographique.

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et tout ce dont je me souviens porte un cachet d'opiniâtreté

et d'aveuglement qui tarit ma pitié1».

Pas un seul sentiment d'humilité ! N'est-ce pas tout dire ?

2

La correspondance de Lacordaire contient sur La Mennais d'admirables pages tout imprégnées du sentiment catholique. A ses yeux, le grand crime de La Mennais, c'est son mépris pour l'autorité pontificale et pour la situation douloureuse du Saint-Siége... « Il a blasphêmé, dit-il, Rome malheureuse; c'est le crime de Cham, le crime qui a été puni sur la terre, de la manière la plus visible et la plus durable, après le déicide. Malheur à qui trouble l'Église ! Malheur à qui blasphème les Apôtres! La destinée de l'Église est d'être victorieuse encore. Les temps de l'Antéchrist ne sont pas venus. M. de La Mennais n'arrêtera pas, par sa chute, ce mouvement formidable de la vérité. Sa chute même y servira 2 ». Lorsqu'il apprend la mort du malheureux, cette mort sans principes, sans certitude, sans amis, suivie d'une mémoire qui demeure dans la chrétienté comme un poids éternel, et qu'il se rappelle le temps où il le vit entouré d'une jeunesse florissante, bon et heureux, son âme succombe d'étonnement. Lacordaire avait déjà dit ce mot admirable: La lumière vient à qui se soumet comme à l'homme qui ouvre les yeux. Il le répète aujourd'hui sous la forme d'un conseil à l'adresse de son jeune correspondant : « Soyez toujours bien doux et bien humble, mon cher enfant; tout se répare avec ces deux vertus, rien ne répare leur absence ».

3

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

(La fin à la prochaine livraison.)

1 Lettres à des jeunes gens, p. 225. — Il est juste de dire que Lacordaire ne con nut La Mennais que bien depuis son entrée dans le sacerdoce. Ses paroles n'en sont pas moins très-graves; les grandes qualités ne s'oblitèrent pas en un jour.

2 Lettres à des jeunes gens, p. 225.

3 Lettres à des jeunes gens, pp. 220 et 228.

DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES.

Fouilles de Noirmoutier.

Substructions

Chapelle de Saint-Hilaire.
gallo-romaines Emplacenient de la chapelle de Notre-Dame de
Toutes-Joies à Nantes. Bulletin de la Société d'archéologie de la
Loire-Inférieure. La Tombelle de Kercado (Morbihan).

Grâce à l'heureuse initiative de M. Jules Piet, qui prépare avec un soin tout particulier la réimpression des Mémoires de son père, un nouveau jalon vient d'être planté pour la carte gallo-romaine de notre pays. On l'a dit et répété avec raison, c'est dans le sol qu'il faut chercher à reconstituer l'histoire effacée de la civilisation gauloise et gallo-romaine; c'est du sein de la terre qu'il faut exhumer les traces, encore nombreuses, de ces âges oubliés et dont les monuments surgissent, comme à l'envi', de toutes les parties de la France.

A Noirmoutier, l'ancienne île d'Her (Heri monasterium), que les habitants appellent encore Nermoutier, des pierres levées, des tumuli, etc., attestent la présence des populations primitives de la Gaule dans une contrée dont l'aspect agréable et pittoresque convenait si bien à leurs croyances et à leurs mœurs; mais rien n'y indiquait le passage des siècles qui suivirent la conquête de Jules César. Maintenant une réalité s'est fait jour, et les substructions. découvertes à la fin du mois d'août, promettent, lorsqu'elles auront été explorées dans leur ensemble, une page intéressante pour les annales de l'île, pendant la période de l'occupation romaine, et probablement aussi pour l'époque carolingienne.

Non loin du Vieil, village que la tradition désigne comme étant le lieu le plus anciennement habité, se trouve un champ situé jadis, à ce que l'on prétend, au centre même de l'île. On le nomme SaintHilaire, parce qu'une chapelle dédiée à l'illustre évêque, y fut élevée vers le milieu du VIIe siècle par Ansoalde, l'un de ses successeurs sur le siége de Poitiers. Trois chirons ou tas de pierres, dont le nom et la présence sont presque toujours de sûrs indices de ruines, marquaient l'emplacement de la chapelle.

C'est là que M. Piet, aidé de MM. Charrier, E. Richer, Marionneau, etc., fit ouvrir des tranchées qui bientôt rencontrèrent les fondations du temple mérovingien, sillonné, de temps immémorial, par la pelle du laboureur, car à Noirmoutier on ne se sert pas de la charrue. Dans l'enceinte reconnaissable de l'édifice sacré, on trouva trois cercueils monolithes, couverts de pierres plates, pleins de terre eț contenant les ossements des corps qui y avaient été déposés.

A quelques mètres au nord de la chapelle, les ouvriers découvrirent des fondations nombreuses, attestant qu'un assez vaste ensemble de constructions a existé dans cet endroit, l'un des points les plus élevés de l'île, d'où l'on aperçoit l'embouchure de la Loire et toute la baie de Bourgneuf. Parmi ces murs, dont les débris se profilent en tous sens, on reconnut les restes de bains gallo-romains. Le côté extérieur de l'un de ces murs a même conservé intactes ces légères rainures tracées dans l'indestructible ciment romain, et qui figurent si bien les assises égales du petit appareil; rainures que nous avons pu observer dans les fragments de l'aqueduc d'Arthon et dans les ruines de Rezé (Loire-Inférieure). De larges briques avec leurs doubles rebords, des ardoises, des fragments de vases en terre rouge, dite de Samos, des débris de verres, des morceaux de chaux aplatis sur une face et ornés sur cette même face de peintures nuancées par des lignes bleues, rouges, vertes, grises, etc., bois de cerfs, fonds d'amphores, une plaque de plomb formée de trois morceaux soudés ensemble, et ayant eu primitivement des destinations différentes, ce que démontre la variété de leur ornementation, peut-être des débris de cercueils confirment la haute antiquité de ces murailles ruinées, et révèlent l'existence de

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bâtiments romains antérieurs à l'établissement mérovingien de Saint-Hilaire.

Pas une médaille, pas une monnaie n'a été mise au jour par cette exploration que M. Piet se réserve de reprendre et de compléter l'été prochain. Nous tiendrons les lecteurs de la Revue au courant de son résultat.

A Nantes, aussi, trois ou quatre squelettes ont été récemment exhumés, sous les fondations d'une maison en reconstruction, située en face de l'Hôtel de Ville. De là grande rumeur, comme il est facile de le penser, parmi les bonnes femmes et les faiseurs ou les faiseuses de nouvelles du quartier, dont plusieurs, avec la bonté et la modération qui les caractérisent, donnant carrière à leur imagination, parlaient de vol, de disparition mystérieuse, d'assassinat, etc., et arrangeaient déjà quelque histoire lugubre et lamentable. Cependant l'une de ces commères ferma bientôt la bouche à ses voisines en leur apprenant qu'au temps de sa petite jeunesse, elle avait été à la messe dans une vieille chapelle qui existait là avant la grande Révolution; que cette chapelle avait nom NOTRE-DAME-DE-TOUTESJOIES, et était surtout fréquentée par les jeunes veuves qui allaient y pleurer leur pauvre défunt. En 93, ajoutait-elle, - désignant ainsi la Terreur, on y ramassait les brouettes, les pelles et les pioches qui servaient aux gardes nationaux, quand, pour se délasser d'une nuit de garde, ils allaient remplir l'office de terrassiers et de fossoyeurs, au cimetière de la Bouteillerie, où se trouvaient entassés en si grand nombre les corps des Vendéens massacrés, que de leur nom de brigands le cimetière fut appelé le Grand Brigandin.

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La chapelle, en effet, a réellement existé, et l'on pouvait facilement encore en reconnaître les traces dans le rez-de-chaussée de la maison qui vient d'être démolie. C'était un prieuré conventuel dépendant de l'abbaye de Redon, jusqu'en 1625, époque à laquelle il fut cédé aux Pères de l'Oratoire. Des droits nombreux, 900 livres de revenu, toutes charges payées, une juridiction importante, y étaient attachés. Différentes personnes marquantes avaient été enterrées là, et les ossements dont nous venons de parler sont peutêtre ceux de Jehan Gautier, connétable de Nantes, décédé en 1486;

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