s'emparait de tout mon être, quand je pensais que cette tête si belle, si intelligente, si aimée, allait peut-être rouler sur l'échafaud !... Dès la pointe du jour, j'entrai dans la maison de M. Dumont. Le sommeil ne l'avait pas plus visitée que la mienne. On y avait veillé pour deux motifs: la blessure, plus grave qu'on ne l'avait supposé d'abord, demandait des soins assidus; quant à l'autre cause, ai-je besoin de vous la dire? Tout le monde, excepté le malade, qu'il fallait ménager, avait été instruit, la veille, du grand coup qui nous frappait. Je le vis bien à mon entrée, qui causa un redoublement de douleur. La pauvre Marguerite vint se jeter dans mes bras, et tel était son désespoir que je tiens la minute qu'elle passa à sangloter sur ma poitrine pour une des plus cruelles que j'aie vécues. Je vis bien, à l'effrayante altération de son visage, que la secousse avait été terrible. M. Dumont reposait. Il fallait profiter de ce répit, et, du reste, nous n'avions pas une minute à perdre : il était trop constant pour nous que la justice révolutionnaire n'aimait pas les lenteurs. Nous tînmes donc rapidement conseil. Nous nous avouâmes que nos chances de succès étaient de beaucoup diminuées par l'incapacité d'agir où se trouvait réduit le chef de la famille; aimé, considéré comme il l'était dans la ville, il aurait, sans doute, réussi à retirer son gendre du péril. A son défaut, l'on décida que Marguerite et moi, nous ferions, en nous recommandant de son nom, lés démarches qu'il eût pu faire lui-même. Vous raconterai-je toutes nos visites, tous nos entretiens, pendant deux interminables jours, avec les hommes les plus influents de Fontenay, soit en dedans, soit en dehors de la municipalité? Ce détail serait long et fastidieux. Il vous suffira de savoir que nous échouâmes partout. Les cœurs, glacés par la crainte de se compromettre, refusaient de céder à un mouvement de généreuse pitié, car il était impossible qu'ils ne fussent pas attendris par la chaleur des supplications et l'éloquence des larmes de Marguerite. En désespoir de cause, nous finîmes par nous adresser au général Chalbos lui-même. Il ne voulut rien nous promettre, disant que le tribunal militaire serait appelé bientôt à juger la question; il ne nous dissimulait pas que le cas lui semblait fort grave, et que, moins que jamais, la République était disposée à tolérer dans son sein les traîtres et les réactionnaires. Du reste, le dossier du citoyen Blondel était loin de plaider en sa faveur plusieurs dénonciations. l'accusaient formellement de nourrir des sentiments ultrà-royalistes, sentiments dont il aurait été infecté dès le berceau, puisqu'il était le fils d'un ci-devant serviteur de Capet. Nous rentrâmes, le cœur navré, et nul de nous, pas même M. Dumont, que l'on avait enfin dû avertir, ne conservait plus la moindre lueur d'espoir : nous pleurions sur notre jeune ami, comme sur un mort déjà descendu dans la tombe. (La suite au prochain numéro.) ÉMILE GRIMAUD. POÉSIE. UNE NOCE BRETONNE.* Je n'inventerai pas, je raconte, et souris Peindre ainsi, ce n'est pas éblouir, c'est charmer! Peindre ainsi, c'est donner la vie à la matière ! Voyez ! -L'église est vieille et le portail, sculpté Jeanne sort de l'église avec Yvon. Tous deux Tableau de M. Saint-Germain, acheté par le Ministère d'Etat.-Exposition de 1863. Il est beau; Jeanne est belle. Elle a seize ans, lui vingt. Yvon porte l'habit d'un riche Bas-Breton. Il est le fils du maire et l'honneur du canton. Yvon tient dans ses mains le petit doigt d'enfant Elle porte un habit de soie et de drap d'or, Mais ce regard charmé qu'il dérobe à l'amour, Les mendiants sont là, sachant bien qu'on leur donne, Prières et saluts et vœux, contre l'aumône. La noce est arrêtée un instant sur le seuil UNE NOCE BRETONNE. En dehors du parvis, un enfant radieux, Ainsi qu'un écureuil craintif, mais curieux, Est monté dans un arbre, et, pour mieux voir, se penche. Ce qui me plaît le plus, peut-être, c'est l'enfant On dirait que son œil baissé couve une flamme, Là-bas, tout le village est debout: on attend, O temps de l'humble joie et des chastes plaisirs, Mais nous ne perdrons pas le don du souvenir : Mme AUGUSTE PENQUER. Brest, juin, 1863. 283 |