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avaient été exposées et développées dès la fin du XVIIe et le comment du XVIIIe siècle, dans les ouvrages manuscrits ou imprimés de dom Lobineau et de dom Le Gallois. C'est donc à ces savants moines que nous avons emprunté les thèses elles-mêmes 1. Mais tout en exposant ces thèses, nos doctes Bénédictins ne les avaient pas toujours démontrées d'une manière complète, et, d'ailleurs, après les systèmes contraires mis en avant, soit par l'abbé Gallet, soit, de nos jours, par M. Bizeul, les anciens arguments étaient devenus insuffisants. M. de la Borderie a donc repris la démonstration de ces thèses, au point de vue des exigences de la critique et de la controverse actuelle, et il s'est efforcé de les asseoir d'une façon inattaquable sur des textes et des arguments nouveaux, pour la plupart, et dont plus d'une fois nous avons cru pouvoir faire usage, puisque, après tout, et sur les points principaux, nous soutenons l'un et l'autre la même doctrine. Cela posé, nous nous plaisons à reconnaître que c'est M. de la Borderie qui a eu le premier l'idée d'employer, dans la discussion de nos origines, le texte si décisif de Procope (Guerre des Goths, I. Iv, ch. 20.), qui attestent tout à la fois la dépopulation de notre péninsule et l'importance numérique des immigrations venues de l'île de Bretagne, et qui permet de faire bonne justice du système ultraromain de M. Bizeul. Ajoutons que c'est encore M. de la Borderie qni a nettement fixé les limites des petits royaumes ou comtés bretons du VIe siècle (Cornouaille, Domnonée, Léon, Browerech, etc.), à l'aide de textes ou inédits ou nouvellement employés dans ces questions, et que c'est une nouvelle réfutation du système de monarchie bretonne unitaire, issu des rêveries de Geoffroy de Montmouth et restauré ensuite par Gallet, avec tout l'appareil d'une discussion scientifique. M. de la Borderie a aussi publié, le premier, et appliqué à la question de l'origine des diocèses domnonéens

1 On pourra s'en convaincre quand nous aurons publié les mémoires de dom Le Gallois. 2 Parmi les textes inédits citons, entre autres, ceux qu'il emprunte aux vies manuscrites de saint Guénolé, de saint Hervé, de saint Gunthiern, de saint Judicaël; voyez, d'ailleurs, Bulletin archéologique de l'Association Bretonne, t. 111, 2o partie, pp. 85 à 107 et 160 à 177; et l'Annuaire de Bretagne de 1861, pp. 137 à 159.

(Dol, Saint-Brieuc, Tréguer et Aleth'), un texte important relatif à la juridiction épiscopale de saint Samson, et qui, comme nous l'avons dit dans nos Prolégomènes (p. cci), « donne la clef de >> toutes les difficultés qu'on s'est plu à entasser au sujet de la › métropole de Dol. »

Nous avons encore au même auteur plusieurs obligations analogues', auxquelles nous ne prétendons assurément pas nous soustraire; mais, tout en les reconnaissant volontiers, il nous sera sans doute permis de faire observer que la partie de nos Prolégomènes à laquelle peuvent s'appliquer les remarques précédentes, est loin de former, par son étendue ou autrement, la portion la plus considérable de notre travail.

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AURÉLIEN DE COURSON.

1 Ainsi, dans la Défense d'un diplôme du roi Erispoë publié en 1853 par le Bulletin de l'Association Bretonne (t. IV, 2o partie, pp. 161-172), M. de la Borderie avait prouvé, à l'aide des mêmes arguments employés par nous (Prolegomènes, pp. CCLXIV-CCLXVI), que les rois bretons du IXe siècle, au moins depuis Nominoë, usaient de sceaux, contrairement à l'opinion admise jusque-là, qui n'en faisait remonter l'usage en Bretagne qu'au duc Alain Fergent, c'est-à-dire, à la fin du XIe siècle. M. de la Borderie a aussi retrouvé dans les débris des archives du chapitre de Nantes, et nous a ensuite communiqué, le curieux pouillé de ce diocèse, de 1287, publié par nous, pp. 507-516 de notre édition du Cartulaire de Redon.. Nous avons en outre mis à pr. fit, du même auteur, diverses notices de géographie féodale, entre autres, sur le comté de Porhoët, le régaire de Tréguier, etc., toutes matières traitées, d'ailleurs, dans des opuscules imprimés, avec le nom de l'écrivain.

Le titre donné à cet article pourrait faire croire que le Directeur de la Revue et M. de la Borderie sont deux personnes différentes; il n'en est rien; M. de la Borderie conserve toujours la direction de ce Recueil. (Note de la Rédaction).

RÉCITS VENDÉENS.

LE FILS DU GARDE-CHASSE.*

IV *

Près de deux années, poursuivit le bon vieillard, s'écoulèrent pour Georges et Marguerite avec une rapidité qui tenait du prodige. Absorbés par leurs mutuelles tendresses, ils n'avaient pas conscience de la fuite du temps. Ils étaient l'un à l'autre un monde toujours beau, toujours nouveau. On eût dit que, renfermés dans une île déserte, les bruits extérieurs ne parvenaient pas jusqu'à eux et qu'ils ne soupçonnaient pas qu'en dehors du cercle étroit de la famille, il existât d'autres choses, d'autres êtres, d'autres intérêts.

Cependant le ciel s'assombrissait de plus en plus sur nos têtes, et l'orage était près d'éclater.

Il éclata, en effet, vers la fin du mois de janvier 1793, et je serais bien impuissant à vous rendre l'impression que le coup de tonnerre de la mort du roi produisit sur ce malheureux Georges. Il était anéanti; il ne pouvait se faire à l'idée d'un tel crime, d'une telle abomination.

Voir la livraison de septembre, pp. 184-199.

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Ce sinistre éclat de la foudre l'avait complétement réveillé. Lui qui auparavant me négligeait quelque peu, il me recherchait désormais, pour se livrer devant moi à toute l'indignation que soulevait dans son âme l'assassinat juridique du 21 janvier. << Où allonsnous, mon ami? me disait-il, où allons-nous ? je vous le demande. Une nation qui trempe ainsi ses mains dans le sang innocent, n'estelle pas abandonnée de Dieu, n'est-elle pas à tout jamais réprouvée, comme cette affreuse nation juive?... Je le sais bien, ce n'est pas la vraie France qui a commis cet attentat, inouï dans ses annales; mais pourquoi la France des honnêtes gens a-t-elle laissé quelques monstres le perpétrer sous ses yeux ?... Il n'y a donc plus d'hommes parmi nous, puisque nul n'a crié à l'assassin, et ne s'est soulevé, et n'a écrasé ces reptiles qui jettent, comme la bave, la honte, l'infamie, sur un royaume tout entier, et qui impriment, pour l'éternité, une telle ignominie à son front!... » Puis, de la colère généreuse passant à l'attendrissement : « Ce bon, ce noble, ce généreux monarque !... que serais-je sans lui? Un pauvre manœuvre assurément. Sans lui, je n'aurais jamais eu le bonheur de vous connaître, vous, mon second père, et ce disant, il me pressait les mains le bonheur de rencontrer cette autre moitié de moi-même je n'aurais jamais aimé Marguerite!... O mon roi! ô mon bienfaiteur ! il vous ont tué comme le plus vil des criminels, mais vous n'êtes pas mort pour moi ; vous vivrez toujours dans ce cœur qui n'oublie pas. Votre royale et souriante image y demeurera gravée tant qu'un souffle l'animera! >

Et des larmes lui venaient aux yeux. Je m'efforçais de le calmer. Son indignation, si légitime du reste, m'eût beaucoup effrayé en d'autres temps; mais je me reposais naturellement sur la jeune épouse du soin de l'endormir et de la charmer.

Je n'étais pas le seul à recevoir les confidences de Georges : la Muse les partageait avec moi. Comme le vieil ami, elle avait été un peu abandonnée depuis l'automne de 1790. Il lui revenait aussi, plus ardent, plus passionné que jamais. Sa poésie, jusque-là tendre, sentimentale, prit un accent tout nouveau; la flûte champêtre se transformait en clairon. Il ajoutait, comme l'a dit un poète, il ajou

tait à sa lyre une corde d'airain. Plus de stances élégiaques; l'iambe, l'iambe seul, était capable de répondre à l'état actuel de son âme, et d'en satisfaire l'irritation vengeresse. Il le maniait comme une lanière pour sangler, comme une épée pour frapper ses irréconciliables ennemis, les auteurs de la mort de son roi bien-aimé, et comme une massue enfin, pour les écraser dans la boue et les pousser ensuite aux gémonies.

Combien je regrette, ajouta M. Brevet, en me montrant son portefeuille, de n'avoir pas là quelques-unes de ces mâles inspirations, fruits de cette haine vigoureuse du crime. Je n'oserais pas affirmer que vous les eussiez mises sur la même ligne que les iambes immortels inspirés à André Chénier par les mêmes événements :

Mourir sans vider mon carquois,

Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange,

Ces bourreaux, barbouilleurs de lois,

Ces tyrans effrontés de la France asservie,

Égorgée !

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mais je m'assure que vous ne les eussiez pas trouvées trop indignes du chantre de la Jeune Captive, du défenseur de Louis XVI, car je me souviens que ces distiques véhéments me remuaient jusqu'au fond des entrailles.

Telles étaient les dispositions d'esprit et de cœur de Georges Blondel, quand, vers la mi-mars, le bruit se répandit à Fontenay que dans le Bocage on refusait de tirer à la milice et que l'on se soulevait çà et là.

Un jour, Georges entre comme un fou dans mon cabinet de travail, et il me raconte, avec une éloquence qui sentait la poudre, les premiers et surprenants exploits de Cathelineau, que j'ignorais encore.

Enfin, s'écrie-t-il en terminant, voilà donc des hommes!... que Dieu les conduise, que Dieu les soutienne, et la France est sauvée !...

Il avait toujours l'œil et l'oreille au guet, et il recueillait, avec une avidité fébrile, la moindre nouvelle, le plus petit détail qui eût trait à l'armée catholique et royale.

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