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d'une entrevué avec Duhoux son frère, au bureau du commandant d'armes. Elle consentit aussitôt à m'y accompagner. Là, je la fis asseoir, et, la priant d'attendre qu'on allât chercher son frère, je feignis de donner des ordres à ce sujet.

Un des secrétaires du commandant et moi cherchions à la distraire par notre conversation et à gagner du temps; mais l'infortune est défiante : une demi-heure s'était écoulée, Duhoux ne paraissait pas, et Mme d'Elbée commença à concevoir quelques soupçons qu'un incident imprévu ne vint que trop promptement confirmer. La porte qui donnait sur la voie publique, était restée ouverte, elle remarqua beaucoup de mouvement au dehors on battait la générale, et plusieurs soldats passaient avec leurs armes; elle prêta l'oreille à leurs discours, elle entendit l'un d'eux dire aux autres : « Eh bien ! nous allons donc fusiller le généralissime des brigands? » Aussitôt Mme d'Elbée, que ces paroles n'éclairent que trop sur son malheur, ne peut plus modérer les affections de son âme; elle s'élance dans la rue, sans que je puisse la retenir; dans le trouble et le désespoir qui l'agitent, elle court et ne paraît savoir de quel côté elle doit diriger ses pas. Elle redemande son époux à tous ceux qui se présentent sur son passage. «< On m'a trompée, s'écrie-t-elle, > on vient de me le ravir, pour le mener au supplice. Où est-il? Je > veux le voir, je veux mourir avec lui. »

Cependant, je parviens jusqu'à elle, j'essaie de l'abuser encore : c'est en vain, elle me repousse, me fuit, comme si j'étais son plus cruel ennemi, et arrive seule sur la place d'armes, précisément sous les fenêtres où les représentants repaîssaient leurs féroces regards du spectacle affreux de leurs victimes prêtes à recevoir le coup mortel. Ils la reconnurent, et en me voyant avec elle, ils supposèrent, peut-être, que je l'amenais à leurs pieds, pour y implorer la grâce de son mari, et comme dans tous les cas, sa présence, en cet instant était pour eux un reproche trop pénible pour qu'ils pussent le supporter sans courroux, je les entendis proférer mille imprécations contre moi, et me menacer de me faire fusiller avec elle, si je ne l'éloignais promptement de leurs yeux. Je redouble alors d'instances et d'efforts pour la ramener dans sa maison, mais

c'est inutilement : elle résiste à mes prières, elle refuse même de m'écouter; forte de sa douleur, elle se jette sur les soldats qui forment le carré, au centre duquel est son époux, elle s'obstine à pénétrer à travers leurs rangs; elle veut, répète-t-elle sans cesse, parvenir jusqu'à lui, et périr avec lui. Quoiqu'émus par son désespoir, ces militaires s'opposent à son dessein; quelques-uns même l'écartent avec violence. Enfin, décidé à ne pas la laisser plus longtemps en butte à de mauvais traitements, et à la soustraire, ainsi que moi, à la vue et aux menaces des représentants, j'invoque l'aide d'un officier de ma connaissance. Nous la saisissons chacun par un bras, et malgré tout ce qu'elle peut dire et faire pour nous échapper, nous réussissons à l'entraîner chez elle.

A peine y étions-nous entrés que la fatale décharge de mousqueterie, dirigée contre d'Elbée et ses compagnons d'infortune, vint retentir à nos oreilles et glacer nos cœurs. Le désir ardent de revoir son époux avait prêté, jusque là, à Mme d'Elbée une force surnaturelle, mais ce bruit affreux sembla pour elle aussi le coup de la mort. Je la laissai dans un profond anéantissement entre les bras de quelques dames qui lui prodiguèrent les secours que réclamait son état, et mêlèrent leurs larmes aux siennes, aussitôt qu'elle put en verser.

Cette femme intéressante, dont la vie avait uniquement été consacrée au bonheur de son époux, et qui se serait sacrifiée pour lui et avec lui, se ressouvint bientôt qu'elle était mère : elle osa espérer que les barbares qui lui avaient ravi le père, la laisseraient vivre pour le fils. Cet enfant, encore au berceau, était resté dans les environs de Beaupreau, entre les mains d'une nourrice; et il tardait à Mme d'Elbée de le revoir et de lui dévouer désormais sa triste existence. Vains projets! rien ne put faire révoquer l'arrêt atroce, porté contre elle par les commissaires de la Convention; mais elle ne fut point fusillée le lendemain de l'exécution de son mari, comme le dit Mme de Larochejaquelein; elle fut renfermée dans le château, et n'en sortit qu'au bout de vingt jours pour être conduite à la mort.

Le vaillant et généreux Haxo ne fut pas le témoin de toutes ces

scènes horribles : ce fut assez pour lui d'avoir à gémir de l'inutilité des efforts qu'il fit pour qu'on respectât la vie des royalistes désarmés, sans se voir encore obligé d'être un des spectateurs du massacre qui en fut fait. Le matin du troisième jour de notre entrée à Noirmoutier, il avait repassé le Gouas, à la tête de trois mille hommes, et était retourné à la poursuite de Charette. On ne conserva pour la défense de l'île que deux mille fantassins et canonniers.

Le commandement, promis d'abord à l'adjudant général Mangin, officier d'un mérité distingué, fut donné au général Jordy que sa blessure condamnait pour quelques mois au repos. En même temps, un chef de bataillon, nommé Potier, fut chargé du service de la place.

Le séjour des représentants avait été marqué par trop d'injustices et de cruautés, pour qu'il ne fût pas permis de désirer leur départ. Ils l'annoncèrent enfin; mais avant de l'effectuer, comme si ce n'eût été assez du dégoût et de l'horreur qu'inspiraient leurs actes sanguinaires, pour en perpétuer le souvenir, ils eurent la ridicule prétention de le consacrer, en donnant à notre île le nom de la faction dont ils étaient les agents. Bouin avait reçu d'eux le nom de l'infâme Marat, ils imposèrent à Noirmoutier celui de la Montagne.

NOTICES ET COMPTES RENDUS.

JEANNE-MARIE ROLLAND.

« Je réponds, nous écrit notre excellent collaborateur M. Hippolyte Violeau, à un désir exprimé par le chroniqueur de la Revue de Bretagne et de Vendée. Je lis, en effet, à la dernière page de votre dernier numéro :— « Un des lauréats des prix Monthyon, Mlle Jeanne-Marie Rolland, est de >> Morlaix, et nous aimerions à vous dire quels actes de vertu lui ont » mérité cette récompense, si le rapporteur, M. Saint-Marc Girardin, » n'avait pas cru devoir s'en épargner le récit. »

>> Or, comme je suis parfaitement en mesure de vous renseigner, je me fais un plaisir de vous adresser la petite histoire de Jeanne-Marie Rolland. C'est tout simplement la copie d'une pièce écrite en novembre dernier pour être envoyée à l'Académie, et qui, signée par plusieurs habitants de notre ville, a eu l'heureuse chance que vous connaissez. »

L'Académie Française décerne, chaque année, quelques-uns de ses prix de vertu à des domestiques demeurés fidèles à la détresse de leurs maîtres, et qui au lieu d'en recevoir des gages, n'épargnent aucun sacrifice pour les secourir. C'est un dévouement de ce genre que nous avons à raconter; l'Académie jugera s'il mérite une récompense.

Jeanne-Marie Rolland, née à Morlaix (Finistère), le 15 décembre 1803, a passé quarante années de sa vie au service de la famille L.... Le chef de cette famille était un pauvre horloger dont le travail suffisait à peine à l'entretien de deux jeunes enfants et d'une

femme paralytique. Étendue sur un lit qu'elle ne pouvait quitter, celle-ci trouva, pendant trois ans, dans le dévouement de Jeanne, les soins que réclamait son infirmité et la sécurité que lui donnait la bonne direction du petit ménage confié entièrement à la jeune servante. Veilles infatigables, renoncement complet à toute rémunération pour diminuer la gêne inséparable de la maladie chez l'ouvrier, rien ne coûta à l'excellente fille qui reçut les derniers soupirs de sa maîtresse et voulut l'ensevelir elle-même. Deux orphelins restaient à élever, et dans l'âge de la force, quand elle aurait pu si facilement rencontrer ailleurs une condition profitable à ses intérêts, Jeanne, toujours sans autre rétribution que sa nourriture, borna son ambition à remplacer de son mieux la mère absente. Ici nous pourrions multiplier les détails, mais à quoi bon? Il nous semble qu'en disant que la fidèle domestique fut, en effet, une mère d'adoption pour ceux qu'elle aimait, nous avons indiqué sommairement les soins les plus assidus, les attentions les plus délicates, et cette abnégation de toutes les heures qui fait la vraie

mére.

Cependant les enfants grandirent, se marièrent, quittèrent Morlaix, et M. L..., qui venait lui-même de prendre une autre compagne, continua sa vie de travail attristée par de nouvelles épreuves. Jeanne ne l'avait point abandonné, et de 1840 à 1854, les maladies fréquentes de l'horloger ayant augmenté encore la gêne de la maison, la pauvre fille sacrifia pour aider ses maîtres une somme de 160 francs provenant d'un héritage inattendu. De cet héritage elle n'avait voulu rien réserver, sinon une croix d'or, souvenir de famille, une camisole de laine et un vêtement neuf. La camisole, en 1854, elle s'en dépouille pour couvrir M. L..., qui se plaint du froid sur son lit de mort, et le vêtement, la croix d'or même, elle les vend, un peu plus tard, pour secourir la veuve et une petite fille chétive née du second mariage de l'ouvrier.

Maintenant ce n'est plus la pauvreté, c'est la misère! Un moment, pendant qu'on s'occupe de l'inventaire, Jeanne, qui n'a jamais rien reçu pour ses services, espère qu'on lui donnera au moins deux années de ses gages, et que cette somme, elle aura la conso2e SÉRIE.

TOME IV.

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