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vengeance particulière. C'est en vain que l'on adressait au duc de Vendôme des plaintes comme celle-ci, par exemple : « Certains » portantz qualitez de gentilshommes et qui les suivent et assistent, » allant, venant et séjournant en ladicte ville et forsbourgs de » Lamballe, tant aux jours de foires et marchés qu'autres, après » avoir beu et yvrongné, font et apportent plusieurs troubles et » scandales publicz, jurant et blasphémant le saint nom de Dieu, » battent, tuent et offensent tant à coups d'espées que aultrement > plusieurs des habitantz et aultres personnes, troublent et em>> peschent le repos et traficq publicq. »

M. de Vendôme songea à réprimer ces désordres, lorsqu'il s'aperçut qu'il était temps de faire sa soumission. Au commencement d'août 1614, le sénéchal de Lamballe, Olivier Bertho, reçut des ordres formels à cet égard; c'était peu avant l'arrivée à Nantes du roi et de la régente qui venaient faire l'ouverture des Elats (16 août). Depuis le mois de mai, César de Vendôme voyait avec une certaine anxiété « la file perpétuelle des gens de guerre marchant du côté de la Bretagne » forcer la cour à envoyer dans cette province un régiment de Suisses, le régiment de Rambures, et six compagnies de chevau-légers; moyennant 100,000 livres et une amnistie, il était disposé à rentrer dans le devoir.

Le 30 août, étant à Derval, M. de Vendôme mandait au capitaine Budes de La Combe de licencier plusieurs compagnies, à commencer par la sienne; il devait faire choix de cent gardes et renvoyer les autres dans leurs foyers, « les contentant le plus » possible de belles paroles. » La Combe avait la mission assez délicate de leur prouver que l'argent qui était disponible devait être employé à indemniser les particuliers volés ou pillés; le prévôt devait se charger de convaincre par des moyens plus énergiques ceux qui fermeraient l'oreille aux belles paroles.

Cependant les Etats de Bretagne voulant mettre fin aux troubles qui, depuis si longtemps, ruinaient la province au profit d'ambitions particulières, demanda au roi la démolition des fortifications de Lamballe et de Moncontour. Cette requête fut accordée avec une certaine restriction; on devait démolir simplement les travaux exécutés depuis six mois. M. de Vendôme, craignant que, sous

prétexte de raser les travaux neufs, on ne démolit complétement son château de Lamballe, envoya le capitaine La Combe aider du Hirel à surveiller l'exécution des ordres royaux.

Le 1er septembre, le roi étant à Angers, désignait un exempt de la compagnie des gardes pour aller, accompagné du sieur Louët Peschart, conseiller au parlement de Bretagne, procéder à la démolition des châteaux de Broons, Lamballe et Moncontour. Ces deux commissaires, avec une forte escorte sous les ordres du sieur de Saint-Luc, vinrent s'établir à Lamballe, laissant voir des dispositions peu rassurantes. Du Hirel, soutenu de la noblesse des alentours et de 120 hommes qu'il avait fait entrer dans la place, défendit le terrain pied à pied, de manière à ne pas désobéir au roi, et à laisser démolir le moins possible. Dans cette circonstance, Du Hirel fit preuve de tact, de prudence et de fermeté, alors que son maître ne lui avait donné que des instructions assez vagues'. De même, quand le maréchal de Brissac voulut abattre les fortifications qui se liaient à la collégiale et dominaient la rue du Val, ainsi que le centre de la ville, Du Hirel protesta; le parlement ordonna de poursuivre, mais, le 16 octobre, le duc de Vendôme obtenait des lettres-royaux qui lui permettaient de conserver ces murailles dont la construction remontait évidemment au duc de Mercœur 2.

La soumission de M. de Vendôme n'était pas franchement offerte; en août 1615, sous un prétexte de préséance, il se rendait en Guyenne, faisait de nouvelles levées d'hommes, rappelait à lui ses anciennes bandes, et, tout en protestant de sa fidélité, à la fin de janvier 1616, il se rapprochait de la Bretagne. En février, avait lieu sa jonction avec le prince de Condé.

1 Dans une lettre du 22 septembre, le duc de Vendôme écrivait à Du Hirel, entre autres choses: « Je loue votre prudence en tout ce que vous avez faict pour la démo>»lition des nouvelles fortifications de Lamballe. et vous remercie que cette prudence » ait esté accompagnée d'affection envers moy. » Dans une lettre du mois suivant, on trouve ce passage: « Comme vous avez commencé est de laisser entièrement exécuter » la commission du Roy, et si on entreprend de l'excéder, empeschez par bonne voie » et sans main mise qu'on ne fasse plus que sa volonté. »

2 Nous avons sous les yeux une lettre de Louis XIII, adressée le 31 juillet 1615 à Du Hirel, qui donne des détails intéressants sur l'animosité que le Parlement de Bretaigne laissait voir contre M. de Vendôme. Les intentions du roi étaient que le château restat clos, et que les habitants concourussent à la garde de la ville.

Vers cette époque, il écrivait à Du Hirel de recevoir au château de Lamballe et de protéger le sieur de la Roche-Giffart, poursuivi par M. de Montbarot, et lui enjoignait de ménager la noblesse du Penthièvre, « à laquelle il va peut-être faire un appel. » Les comptes de Du Hirel, datés de 1617, indiquent des armements qui étaient commencés, puis suspendus pendant cette période; en décembre 1615, on mettait une garnison de quarante-cinq hommes dans le fort construit au rocher de Verdelet; le 13 mars suivant, Alain Thomelin s'y logeait avec ses soldats, se disant envoyé par le sieur de Kerveno, et s'y maintenait, malgré les protestations de Du Hirel, jusqu'au mois de mai.

Le duc de Vendôme, ayant été compromis dans la conspiration du prince de Chalais contre Richelieu, fut emprisonné pendant quatre mois et perdit son gouvernement. Les Etats de Bretagne. saisirent cette occasion pour demander la démolition complète des places fortes qui lui appartenaient; le 30 juillet 1626, Louis XIII ordonnait la démolition complète des forteresses de Lamballe, de Moncontour, de Guingamp et d'Ancenis, et, en 1649, le duc de Vendôme recevait une indemnité de 330,000 livres à cause de la destruction des « chasteaux de sa femme. »

« Le mardy 15 septembre 1626, dit le chanoine Jean Chapelain » dans sa Chronique, on commença à démolir le château jusqu'au » samedy 28 novembre dudit an, pendant lequel temps le maréchal

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de Thémines, gouverneur du pays, fist son entrée à Lamballe. »

ANATOLE DE BARTHÉLEMY.

SOUVENIRS DE LA RÉVOLUTION.

LA PRISE DE NOIRMOUTIER

ET LA MORT DE D'ELBÉE.

Le récit qui va suivre n'est point inédit, mais on conviendra qu'il s'en faut de bien peu. Voici, en effet, comment M. Piet, l'auteur des Mémoires laissés à mon fils, d'où nous le tirons, s'exprime dans un Avis aux détenteurs de cet ouvrage :

Je crois devoir prévenir que je n'ai imprimé ces Mémoires qu'au nombre de seize exemplaires qui, si, comme je l'espère, mes intentions sont remplies, devront, dix ans après ma mort, être répartis ainsi qu'il suit:

» Un pour la Bibliothèque de Paris.

» Un pour celle de Nantes.

> Un pour celle du département de la Vendée.

» Un pour celle de la ville des Sables.

>> Des douze autres exemplaires, quatre resteront à mes enfants, et huit seront donnés par mon fils à huit chefs des principales familles de cette île. Je prie ces derniers, ainsi que leurs descendants, de vouloir bien les conserver dans notre pays pour lequel seul ils peuvent être de quelqu'intérêt. Je ne leur ferai pas l'injure de supposer que la valeur qu'ils attacheront à mon ouvrage consiste jamais dans autre chose que ce qu'il renferme de curieux et d'utile; cependant, s'ils comptaient pour rien les matières qui en sont le sujet, je leur ferais observer qu'en raison du petit nombre des exemplaires qui en existent, il n'en est pas un dont les frais d'impression n'élevent le prix au moins à cent francs. »

TOME IV. 20 SÉRIE,

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Une particularité curieuse à noter, c'est que M. Piet n'a pas seulement écrit (de 1806 à 1807) les Mémoires laissés à mon fils, mais encore qu'il les a composés et imprimés de sa propre main, à Noirmoutier, durant un espace de vingt ans (1806-1826). On s'en étonnera moins, lorsqu'on saura qu'il était ouvrier dans une imprimerie, quand éclata la Révolution. Il s'enrôla dans les volontaires du bataillon des Ardennes, et le hasard de la guerre l'amena en Vendée, où il assista en qualité de capitaine, aide-decamp du général Dutruy, à la prise de l'île de Noirmoutier, en 1794. — 1] s'y établit, s'y maria, y exerça la profession de notaire, et y finit ses jours, entouré de la considération et de l'estime générales.

Les Mémoires laissés à mon fils forment un volume in-40 de 680 pages, et portent pour épigraphe :

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Outre les souvenirs personnels de l'auteur, ce livre renferme des recherches topographiques, statistiques et historiques sur l'île de Noirmoutier, qui en doublent l'intérêt. On le lit avec agrément; mais nous regrettons la complaisance que M. Piet a mise à narrer en détail à son fils, et par suite à toute sa descendance, les bonnes fortunes et les aventures galantes auxquelles il s'est trouvé mêlé. En somme, on emporte de cette lecture une impression très-favorable à l'auteur. « J'étais bon et sensible », dit-il quelque part; les pages que nous nous plaisons à citer prouveront qu'en parlant ainsi, M. Piet ne se vantait pas. ÉMILE GRIMAUD.

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Aussitôt que la mer permit le passage du Gouas, le général Haxo qui commandait l'expédition, le général en chef Thureaux, les représentants du peuple et les autres généraux dont ils étaient accompagnés y entrèrent à la tête de deux mille hommes. Je faisais partie de cette colonne, et j'étais loin de prévoir en cet instant que j'abordais aux lieux où je devais terminer ma carrière militaire, ой bientôt époux et père, j'allais pour toujours fixer mes destinées. La révolution peut se comparer à une trombe qui, soulevant à la fois des milliers d'hommes, les fait tournoyer comme la poussière des champs, et rejette chacun d'eux bien loin de la place qu'il occupait.

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