Page images
PDF
EPUB

RÉCITS VENDÉENS.

LE FILS DU GARDE-CHASSE.

Nous avons intimement connu un vieux et respectable professeur qui avait pris sa retraite dans une petite ville de la Vendée et qui se nommait M. Jean-Jacques Brevet. Bien qu'il fût le meilleur homme qui se pût rencontrer, et le plus généreux, et le plus dévoué, comme on le verra par la suite de cette histoire, il ne s'était pas marié, lorsqu'il en était temps; ce qu'il regrettait amèrement, du reste. Ce sujet se présenta une fois dans le cours de nos causeries, et, tout en nous promenant par les allées sablées et bordées de buis de son jardinet: « Ah! mon jeune ami, me dit le bon vieillard avec un ton doucement mélancolique, ah! ne sachez jamais ce que c'est qu'une maison de vieux garçon sexagénaire !... Vous avez sûrement deviné les causes fatales qui m'ont empêché de prendre une compagne : jusqu'à quarante ans, la passion de l'étude a tellement possédé ma tête et mon cœur, qu'il n'y avait plus de place pour aucune autre affection. Vers ce temps-là, je pensai, il est vrai, à me créer une famille; mais une barrière se présenta aussitôt devant moi que je n'osai franchir. J'ai toujours été pauvre; l'Université n'a jamais fait des Crésus de ses très-humbles serviteurs. Je ne pouvais donc prétendre qu'à une femme pauvre comme moi. C'était condamner d'avance à la misère la mère de mes enfants et mes enfants eux-mêmes. Mon parti fut vite pris et mon sacrifice vite accepté je souffrais moins du célibat que je n'eusse souffert

des perpétuelles privations auxquelles les miens eussent été condamnés... Et voilà pourquoi, mon ami, ajouta-t-il en souriant, voilà pourquoi votre fille est muette, comme dit Moliére; pourquoi je passe mes journées à sarcler les mauvaises herbes de ces allées, à bêcher ou à arroser mes fleurs, et mes soirées à relire mes vieux auteurs près de ma gouvernante Ursule, qui file à la lueur de ma lampe... toujours seul et silencieux, à moins que quelque brave ami comme vous ne vienne me surprendre agréablement et causer avec moi du temps jadis, pour parler comme les bonnes gens. »

Nous nous promenâmes assez longtemps sans proférer une parole et plongés dans les réflexions que faisait naître la grave question à laquelle M. Brevet avait touché avec une émotion contenue, mais d'autant plus pénétrante.

a

Tenez, me dit-il tout à coup, en relevant la tête, vous ne me croirez peut-être pas, mais moi, qui n'ai jamais été père, j'ai pourtant eu le bonheur de goûter les douceurs de la paternité, comme si le ciel avait tenu à me dédommager de mon cruel sacrifice.... Il est vrai que ce bonheur s'est tourné en une peine bien amère!... > Comme je le regardais d'un air à la fois surpris et interrogateur, M. Brevet ajouta :

« Je vous parle par énigmes? Eh! bien, venez, mon ami, et si vous avez le loisir de m'écouter, je vais faire passer sous vos yeux quelques pages de mon existence. »>

A ces mots, il me prit sous le bras, me conduisit à une petite tonnelle couverte de clématite qui était adossée au mur du jardin. Nous nous assimes sur le banc de bois peint en vert; M. Brevet tira de sa tabatière de corne et aspira une large prise, puis il commença le récit que l'on va lire et que je transcrivis aussi fidèlement que possible, au sortir de mon entrevue avec le respectable narrateur.

I.

Quand la Révolution de 89 éclata, j'occupais, depuis une quinzaine d'années, la place de professeur de rhétorique au collége

[merged small][ocr errors][merged small]

Montaigu, à Paris. Je m'étais toujours bercé de l'espoir d'y finir ma tranquille existence, car je touchais déjà à la quarantaine, mais j'avais compté sans cette terrible tempête, qui dispersa aux quatre vents du ciel les maîtres et les écoliers. Trois mois s'étaient écoulés, et tous mes efforts pour me procurer un emploi qui me donnât le pain quotidien avaient été sans résultat; mes dernières ressources s'épuisaient, et j'avais, hélas! commencé à vendre mes pauvres vieux livres. Quelle misère quand on en est réduit à demander la nourriture du corps à ces chers et fidèles amis qui vous ont si longtemps fourni celle de l'esprit et du cœur !... Un jour, je venais de lier en un paquet deux ouvrages grecs et un latin trois elzeviers!

et je me disposais à les porter au bouquiniste, lorsqu'un visiteur inconnu pénétra dans ma chambre, si je puis donner ce nom pompeux à la triste mansarde qui me servait de retraite. C'était un député de la ville de Fontenay-le-Comte en Vendée. Chargé par sa municipalité de reconstituer à Paris le personnel du collège communal, où les événements de 89 avaient jeté le désarroi le plus complet, il avait appris par hasard que j'étais en disponibilité, et il venait m'offrir au collège de Fontenay la position que j'occupais au collége Montaigu. Je sais bien, ajouta-t-il gracieusement, que cette offre serait, en tout autre temps, une sorte d'injure faite à votre mérite, et que c'est une bien forte chute que je vous propose là; mais c'est aussi un abri pendant l'orage, et le vivre et le couvert assurés, deux choses, vous ne le savez que trop sans doute et ce disant, il promenait son regard sur mon misérable mobilier, deux choses qui ne sont point à dédaigner par les jours rigoureux où nous vivons. »

[ocr errors]

Comme vous le pensez bien, j'acceptai avec autant d'empressement que de gratitude. Le représentant du peuple, qui était aussi pour moi le représentant de la Providence, - m'avait prié de lui trouver un bon professeur de seconde, le seul qui manquât encore à sa liste. Je m'en chargeai volontiers et je me mis en quête de quelque collègue sans emploi et réduit aux derniers expédients, comme je l'étais la veille.

En traversant le Palais-Royal, je rencontrai un de mes anciens

et plus chers élèves, qui me jeta les bras au cou et m'embrassa tendrement.

Avant de passer outre, il est nécessaire, mon ami, que je vous mette en quelques mots au courant du passé de mon jeune disciple.

[ocr errors]

Il y avait une fois, comme disent les contes de fées, un brave et digne homme qui habitait une petite maisonnette tapie dans l'un des sites les plus pittoresques de la forêt royale de Marly. Ce brave homme était garde-chasse de son métier et riche de quatre beaux garçons. Il se nommait Blondel. Sa femme n'était pas moins brave et digne que lui, fervente chrétienne, et d'une intelligence, et d'une distinction native bien au-dessus de sa condition. Un jour d'été, au commencement de son règne, Louis XVI chassait dans la partie de la forêt confiée à la surveillance de notre garde. Épuisé par la chaleur et la fatigue, il abandonna un instant la poursuite du chevreuil, et suivi de quelques gentilshommes, il entra dans la maison de Blondel pour se reposer. Le garde-chasse était absent et dans l'exercice de ses fonctions. Sa compagne, tout étourdie d'abord de l'honneur insigne que le roi faisait à leur humble demeure, ne tarda pas à reprendre son sang-froid et ce fut avec une bonne grâce charmante qu'elle offrit l'hospitalité au descendant de saint Louis. Les quatre petits enfants, comme vous l'imaginez sans peine, ne se sentaient pas fort à l'aise et se tenaient à l'écart, ouvrant de grands yeux timides, mais qui ne perdaient rien de cette scène, si nouvelle pour eux. Le roi les aperçut bientôt et faisant approcher l'aîné, Georges, qui comptait environ douze ans, il le caressa et l'interrogea avec bonté. Louis XVI fut charmé de la naïveté piquante des réponses de l'enfant, qui avait une vraie tête de chérubin, et, en partant, il l'invita à venir chercher avec son père, à Versailles, le lendemain, le prix de l'hospitalité qu'il avait reçue dans sa famille.

Ce prix, c'était une pension au collège Montaigu.

Georges Blondel s'y livra à l'étude avec une ardeur admirable, et il eut bientôt réparé le temps perdu. A chaque distribution de prix, il emportait une moisson de lauriers, et fatiguait les mains à applaudir à ses succès.

Je l'attendais dans ma classe avec une certaine impatience, La

[merged small][merged small][ocr errors]

rhétorique, yous le savez, est un peu la pierre de touche des intelligences. Tel élève qui a brillé dans les classes secondaires et qui a été, suivant la locution usitée aujourd'hui, un fort en thème, s'éteint souvent comme une étoile filante, quand il s'agit de tirer ses principales ressources de son propre fonds, de se passer des lisières du rudiment et de la syntaxe, et de voler de ses propres ailes.

Cette épreuve fut tout à l'honneur de Georges.

Son âme, rêveuse et contemplative, son imagination vive et fraîche comme un ruisseau courant dans les bois, l'avaient surtout porté à l'étude assidue des poètes. Ils faisaient sa joie, ses délices. Comme l'artiste qui, en présence d'une belle toile, s'écria: Et moi aussi, je suis peintre! Georges, enflammé par le feu des génies qui le ravissaient, se sentit aussi lui poète un jour. Des ailes lui poussaient; il ne tarda pas à prendre son essor. Il commença par imiter en vers les morceaux d'Homère, de Virgile ou d'Horace qui le frappaient davantage. Il cultivait la muse en secret, mais j'étais son confident, car une mutuelle sympathie n'avait pas tardé à nous lier étroitement. Que je regrette aujourd'hui de n'avoir pas conservé quelques-uns de ses premiers essais!

Je dois ajouter une particularité remarquable et qui achèvera de peindre Georges à l'encontre des âmes spéculatives et poétiques, il était aussi partisan de l'action que de la méditation. Rien n'égalait sa joie quand, aux vacances, il rentrait sous le toit paternel. Il faisait deux parts de ses journées ou bien il errait sous les ombrages de la forêt, un livre à la main, lisant ou écrivant des vers; ou bien, transformé en Nemrod, un fusil au poing, il chassait avec une intrépidité sans pareille; malheur au gibier qu'il ajustait! Son coup d'œil était mortel. Je puis vous l'affirmer pour en avoir été témoin.

Georges Blondel avait achevé ses classes depuis plusieurs années et je l'avais complétement perdu de vue, même avant les grands événements de la Révolution. Cette rencontre fortuite au PalaisRoyal avait donc un grand intérêt pour tous deux.

Le pauvre garçon me raconta la détresse dans laquelle la tempête sociale avait plongé toute sa famille. Son malheureux père avait

« PreviousContinue »