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charretier païen à Hercule ou à Bacchus; vis-à-vis du Dieu toutpuissant et très-bon, le chrétien, indigne de ce nom, ne tient pas un autre langage.

Il ne fut jamais de nom plus populaire que celui de la très-sainte Vierge. En passant par tant de bouches, en tant d'occasions vulgaires, il eût été difficile que ce nom béni füt toujours prononcé avec le respect qui lui est dû, mais nous croirions volontiers qu'il ne fut jamais blasphémé. Nous avons entendu des vitturini jurer contre saint Pierre ; nous ne les avons point entendus jurer contre la madone.

S'il était démontré que les malheureux qui ne craignent pas de s'en prendre à Dieu, s'attaquent plus difficilement à Marie, nous l'expliquerions en disant qu'au dessous de l'insensé qui ose provoquer Dieu dans sa toute-puissance, il y a un pire degré de cou pable ineptie et de basse impiété qui n'atteint pas facilement les proportions d'un usage populaire, ce serait de s'attaquer à sa bonté, à sa miséricorde, en attaquant celle qu'il a fait plus expressément la dispensatrice de ses bienfaits!

Dans le fait, si les locutions usitées autrefois, et dont encore aujourd'hui il reste parmi nous plus ou moins de traces, où le nom de la sainte Vierge se trouve impliqué, pèchent quelquefois par une familiarité repréhensible, elles n'indiquent, dans leur acception primitive, aucune intention injurieuse. Elles semblent, au contraire, avoir pour point de départ une prière, une invocation, comme lorsque nous disons: Dieu ! mon Dieu !

Il devient rare, mais il ne l'était pas encore il y a peu d'années, d'entendre répéter, dans un sentiment d'admiration ou seulement de surprise et de bruyante hilarité, ces mots: Jésus! Maria! ou plutôt, comme d'un seul mot: Oh! Jésus-Maria!

Le terme le plus ordinaire longtemps en usage pour désigner Marie était celui de Notre-Dame. Nous ne nous en servons plus qu'en parlant de nombreuses églises élevées en son honneur par la piété de nos pères. Nous le faisons sans prendre garde à la signi fication de ces mots et beaucoup de nos lecteurs s'étonneront de nous entendre dire qu'en les prononçant il nous semble voir se

relever sous nos yeux tout un monde religieux et chevaleresque, tout un monde où la pensée de Marie se présentait sous une couleur de loyale fidélité autant que de confiance et d'amour.

Notre-Dame, c'est-à-dire notre dame, notre maîtresse à tous, la dame par excellence du vrai chevalier, qu'elle portait à d'héroïques combats, la première dame du pauvre paysan attaché à la glèbe. Les Italiens disent la Madonna; c'est à peu près le même sens, mais c'est moins bien, leur point de départ est aussi une invocation, ma Donnal ma Dame; invocation plus personnelle et, ce semble, plus affectueuse, mais aussi moins sociale. Nos pères disaient : Notre Dame! comme nous disons: Notre père, notre seigneur !

Cette simple exclamation, dam! est un dérivé de Notre-Dame; elle alleste, dans sa diffusion, combien a été générale et facile l'invocation à Marie. Quant à la preuve, elle nous a été donnée par quelques vieillards que personnellement nous avons entendus se servir encore de cette forme Tredam! Quelques autres l'abrégeaient et disaient seulement: Tré qu'ils employaient surtout pour marquer l'étonnement, dans un sentiment de joie plutôt que de peine.

Les uns et les autres ne comprenaient très-probablement plus la valeur primitive de leurs expressions. Dans les générations qui nous ont immédiatement précédées, comme de nos jours, pour nos paysans, Marie est la bonne Vierge; ils le disent comme ils disent le bon Dieu, ne séparant pas, pour ainsi dire, l'un de l'autre. Ils semblaient ainsi avoir le sentiment de cette grande vérité de la coopé ration de Marie à l'œuvre de son divin Fils en tout ce qui concerne notre salut et la dispensation de la grâce. L'on peut encore entendre des vieillards répéter cette locution usitée dans leur jeunesse Merci le bon Dieu! Merci la bonne Vierge ! On l'intercale dans les phrases avec le sens de Grâce à Dieu ! en rapportant un événement heureux et surtout si l'on vient d'éviter quelque malheur.

Il existait, particulièrement dans nos campagnes, une poésie qui attribuait à la bonne Vierge tout ce qui dans la nature apparaît sous une forme gracieuse, avec un caractère de pureté, comme

ayant une influence bienfaisante. Les yeux de la bonne Vierge, c'est ou le myosotis ou la véronique, dans l'un ou l'autre cas une jolie petite fleur bleue, à laquelle s'attache un emblème d'affection ou de bon souvenir. Les fils de la bonne Vierge, ce sont ces légers flocons de toile d'araignée, blanchis sous l'action de la rosée, qui volent dans nos champs à la fin de l'été, et lorsqu'ils se répandent, on dit que la bonne Vierge file. Une plante du genre des cédums, qui, arrachée et suspendue à la charpente de la maison, continue de verdir et de pousser des racines, c'est l'herbe de la bonne Vierge; elle sert à écarter du logis toute action malfaisante. - La voie lactée est quelquefois connue sous le nom de chemin de la bonne Vierge.

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D'autres dictons sont moins heureux; vient-il à pleuvoir sans que le soleil soit voilé par les nuages, quelques-uns disent que la bonne Vierge boulange. Les mots de cette nature jetés sur le ton de la plaisanterie plutôt qu'adoptés avec aucune teinte superstitieuse, devaient se multiplier autant que les fantaisies de ceux qui les disaient; quelques-uns sont restés; ils attestent, et c'est toute leur importance, qu'en toutes choses la Sainte Vierge était présente à la pensée.

Le monde a pris d'autres allures; il laisse peu de place, au milieu de ses sollicitudes positives ou passionnées, aux idées fraîches et naïves, aux souvenirs dont nous venons de recueillir des traces près de s'effacer; mais autant que jamais, notre divine Mère a ses fidèles qui ne l'oublieront pas, et dans un temps où la dévotion du mois de Marie, née d'hier, a pris le développement que nous lui voyons, où l'archiconfrérie de son cœur immaculé a été fondée, où tant de braves soldats ont porté sa médaille sous le feu de l'ennemi, dans un temps où le privilége sans pareil de la conception immaculée a été proclamé un dogme de l'Église, — moins connue du grand nombre, Marie ne sera pas moins honorée; c'est pour l'avenir qui nous attend le plus solide fondement de nos espé

rances.

H. GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT.

L'ACADÉMIE FRANÇAISE ET LES PRIX MONTHYON.

Paris, 3 Juillet 1863.

MONSIEUR LE DIRECTEUR,

Chaque année, comme personne ne l'ignore, l'Académie française inaugure solennellement la classique saison des distributions de prix, devançant, ainsi qu'il lui appartient, les autres institutions ses rivales, à commencer par la Sorbonne, la première de toutes. Ce jour-là, les dieux retraités des lettres daignent distribuer au talent et à la vertu quelques miettes dorées de leur immortalité; car, rivales à la fois de M. Véron, le Mécène de la littérature, et de M. le maire de Nanterre ou de Salency, l'Académie française a le doux et beau privilége de récompenser ici-bas la vertu et le talent, en attendant la vie future et la postérité. C'est dans cette circonstance mémorable qu'il est beau de voir le septuagénaire M. Villemain prodiguer chaque année les restes d'une voix qui ne tombe point et d'une ardeur qui ne s'éteint jamais. C'est à ce professeur émérite qu'il appartient surtout, les copies des concurrents corrigées, de leur assigner les places qu'ils ont obtenues dans la composition. C'est une tâche dont il s'acquitte avec un infatigable zèle, avec une impétuosité militante toute juvénile et dont les saillies ont laissé sur plus d'un livre d'ineffaçables traces et dans l'esprit de plus d'un écrivain de durables souvenirs.

Longtemps l'Académie française réserva surtout ses faveurs aux œuvres douceâtres et fastidieusement morales des émules de Berquin et de Bouilly, à des recueils de contes enfantins, à des historiettes bien sages, bien vertueuses, incapables de faire parler d'elles. On eût dit d'unc distribution de prix dans une école de village. C'est à peine si les vertes broderies de M. le secrétaire perpétuel, le magister du village académique, parvenaient à dissiper l'illusion. Je ne crois pas m'avancer beaucoup en affirmant qu'aucun des actes de vertu que l'Académie récompensait d'une main, n'avait été inspiré par la lecture de l'un des livres

qu'elle couronnait de l'autre. Outre que plusieurs des vertueux lauréats ne savaient pas lire (ce qui, par parenthèse, doit furieusement troubler l'entendement du Siècle, ce farouche pourfendeur de l'obscurantisme, cet infatigable apôtre du progrès et des lumières), ces livres, écrits avec du lait doux, n'étaient, en vérité, susceptibles d'inspirer aucun acte héroïque.

Depuis quelques années, l'infusion d'un sang plus jeune dans les veines du vieux corps académique, a amené une heureuse innovation en provoquant un intelligent élargissement dans le cadre du concours. Aujourd'hui, l'histoire et la philosophie peuvent disputer au roman, si longtemps sans rival, ou à peu près, la faveur de voir proclamer par l'illustre corporation leurs œuvres utiles aux mœurs. C'est un progrès. Il est cependant encore un point (et c'est à notre époque l'un des plus importants), qui est laissé systématiquemeut en dehors de la lice.

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O vous qui, venant de donner le jour à un livre lentement et péniblement élaboré, rêvez, dans les illusions toujours si douces de l'amour paternel, de voir les palmes académiques verdir de leurs reflets les tranches du nouveau-né, prenez garde! Avant de lui faire affronter l'épreuve, passez-le page à page, ligne à ligne, au creuset de la plus rigoureuse critique, dans le but de découvrir s'il ne s'y serait pas glissé par hasard quelque parcelle de venin scientifique. Que si vous venez à en surprendre quelques traces, prenez le deuil de vos illusions et pleurez sur vos espérances mises à néant. Mais, objecterez-vous peut-être, mon livre n'a nullement la prétention d'apporter à l'Académie, pour l'en faire juge, des théories scientifiques inédites, des systèmes tout frais éclos; ses visées sont infiniment plus modestes, et il n'aspire qu'à l'humble titre de simple propagateur. Vaines objections, vous dis-je votre livre qui, s'il se fût contenu dans les bornes d'une honnête et sage ignorance, eût peut-être été jugé digne de l'une des palmes destinées aux œuvres utiles et morales, ou, tout au moins, eût vu la lice s'ouvrir devant lui, s'en verra

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exclu à priori comme le plus immoral et le plus inutilę. Eh! quoi, contribuer à vulgariser des fait intéressants, des découvertes nouvelles serait inutile? Chanter les merveilles de la création et les louanges du Créateur, est-ce donc faire œuvre immorale? mais extra-académique, assurément.

Immorale, je ne sais,

<< Plusieurs de mes collègues de l'Institut, nous disait dernièrement un » académicien célèbre, en sont encore, par rapport à la science, au » point où, dit-on, en étaient jadis, certains seigneurs relativement aux > lettres : ils ont pour la science une aversion méprisante et se vante› raient volontiers de ne pas savoir signer leur nom en géologie, en anthropologie ou en physique. Mais, ajoutait-t-il, la science progresse

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