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nul n'avait encore fait une telle preuve et nul ne pourrait la faire. Il fallait donc faire cette preuve prétendue impossible, et montrer que l'autorité de la certitude traditionnelle était à tort invoquée par M. de Courson en faveur de Conan.

C'est ce que j'essayai de faire, mais incidemment, dès le mois d'octobre de cette même année 1846, au Congrès de l'Association bretonne réuni à Saint-Brieuc. Les résistances que je rencontrai dans un auditoire mieux éclairé et mieux préparé que tout autre à de pareilles discussions, me montrèrent combien était forte encore l'opinion que j'attaquais. Je revins à la charge, l'année suivante, au Congrès breton de Quimper, armé d'un travail plus développé, qui avec quelques modifications est devenu l'article Conan Mériadec, imprimé en 1849 dans la Biographie bretonne de M. Levot1.

M. de Courson ne répondit pas ; j'avais d'ailleurs évité de le mettre en cause nominativement, me bornant à combattre sa thèse. Mais cette thèse fut défendue contre moi, à deux reprises, par M. G. Le Jean, d'abord et dès 1850 dans son livre La Bretagne, son histoire et ses historiens, puis dans un travail spécial plus développé, intitulé: La légende et l'histoire, Conan Mériadec, publié en 1855 par la Revue des provinces de l'Ouest, qui paraissait à Nantes. M. Le Jean se tenait exactement sur le terrain ouvert par M. de Courson, c'est-à-dire qu'il abandonnait sans peine tous les détails légendaires, mais maintenait le fait principal, en l'appuyant sur l'autorité de la certitude traditionnelle; et il combattait l'une après l'autre les raisons par lesquelles j'avais moi-même prétendu combattre la certitude de la tradition relative à l'établissement de 383.

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Suffisait-il donc, pour lui répondre, de faire imprimer la dissertation de D. Le Gallois? Non certes, car le reste à part M. Le Jean, qui pour défendre sa tradition insistait tout spécialement sur l'antiquité du témoignage de Nennius, se fût donné un triomphe des plus faciles en relevant sur ce sujet l'erreur du bénédictin. Fallait-il ne pas répondre du tout? Mais pourquoi? M. Le Jean ne faisait en définitive que reprendre, développer et fortifier autant qu'il était en

1 Mais il est bon d'avertir que cet article, dont je ne pus revoir les épreuves, est criblé de fautes d'impression, qui parfois même dénaturent le sens.

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lui la thèse posée en 1841 et 1846 par M. de Courson. Sa discussion élait bien suivie, sa forme agréable, et ses arguments spécieux sinon solides. Je les savais même en train de ramener à Conan quelques bons esprits. En pareil cas, déserter une discussion que l'on a soi-même provoquée, n'est-ce pas implicitement s'avouer vaincu et, par là même, compromettre la vérité qu'on défend?

Je répondis donc à M. Le Jean. A son livre de 1850 je répondis par une communication faite au Congrès breton de Nantes en 1851; à son article de 1855, par un travail destiné au Bulletin de l'Association bretonne, et qui, par suite de la suppression de cette société, ne parut qu'en 1860 dans la Revue de Bretagne et de Vendée 1. Enfin, la première partie de mon Précis des origines de l'histoire de Bretagne, publiée dans l'Annuaire historique de Bretagne de 1861, contient un résumé de toute cette discussion 2.

Au bout de cette polémique qu'est-il arrivé?

Il est arrivé que personne n'ose plus aujourd'hui soutenir sérieusement ni ce Conan Mériadec ni cet établissement de 383, que personne ne contestait en 1846.

Il est arrivé que M. de Courson, qui, en 1841 et 1846, tenait pour constants et « les établissements faits dans la Gaule au IVe siècle par les Bretons insulaires » et l'existence de Conan comme premier roi de ces Bretons, traite aujourd'hui ce même prince de héros de roman et son prétendu royaume de chimère absolument impossible.

Il est arrivé encore que le même savant, qui en 1841 louait les dissertations de l'abbé Gallet comme « l'un des plus remarquables travaux qui aient été écrits sur les origines d'un peuple, » et qui ne parlait de D. Le Gallois que pour signaler ses « monstrueuses erreurs, sacrifie aujourd'hui sans hésiter « les interminables dis

1 Première série, t. vii, pp. 417-448.

2 Voyez cet Annuaire, pp. 9 16 et 75 à 86; voyez aussi, dans le Bulletin et mémoires de la Société archéologique du département d'Ille-et-Vilaine, année 1862 (pp. 284 à 295), l'article intitulé Observations sur l'état des forces romaines dans la péninsule armoricaine d'après la Notice des dignités de l'Empire, où je réponds à une critique relative à un point de cette polémique.

TOME IV. 2o SÉRIE.

10

sertations » de l'abbé Gallet aux « savantes dissertations et aux

invincibles arguments » de D. Le Gallois.

Și je suis pour quelque chose dans ces changements, ma campagne contre Conan n'a pas été inutile.

Si, au contraire, c'est D. Le Gallois qui a tout fait, que n'opéraitil donc cette conversion dès 1841! Il m'eût épargné bien de l'encre et bien du papier, perdus contre ce malheureux Conan.

ARTHUR DE LA BORDERIE.

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NOTA. M. de Courson m'adresse encore plusieurs autres critiques dont quelques-unes méritent d'être relevées. 10 Il fait une note tout exprès dans ses Éclaircissements (Cartul. de Redon, p. CCCLXXII), pour s'unir contre moi à M. E. Morin, qui avait critiqué l'appréciation donnée par moi des forces romaines existant dans notre péninsule, au commencement du Ve siècle, d'après la Notice des dignit's de l'Empire. J'ai déjà répondu à M. Morin, par conséquent à M. de Courson, dans le Bulletin de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, an 1862, pp. 284 à 295. – 20 Sclon M. de Courson je me serais trompé en regardant comme probable que les Bretons restèreut maîtres de la ville de Vannes depuis la fin dų VIe siècle jusqu'au milieu du VIIIe (Cartul. de Redon, p. xx). J'ai répondu par avance aux arguments invoqués contre mon opinion; voir Annuaire historique de Bretagne de 1862, pp. 213-215. 30 M. de Courson fait une note, à la p. LXXX de ses Prolégomènes, qui a pour tout objet de prouver que je me suis encore trompé en avançant que le nom d'Armorique cesse de paraître dans l'histoire après Fortunat et le concile de Tours de 567; il cite la Vie de S. Éloi, écrite par S. Quën au VIIe siècle, qui met encore la ville de Limoges dans l'Armorique. Mais M. de Courson n'a pas pris garde que je parle uniquement du nom d'Armorique appliqué au Nord-Ouest de la Gaule, région où on ne peut apparemment comprendre Limoges; voir Annuaire historique de Bretagne, an. 1861, pp. 109-110.

A. DE LA B.

1

POÉSIE.

LES BRUITS DU MONDE.

A M. LE DOCTEUR ROQUET, DE NANTES.

Dans ma solitude profonde
Résonnent d'effrayants échos.
Est-ce la mer, est-ce le monde,
Qui viennent troubler mon repos?
Mais la mer n'a plus de tempête,
Et le nautonnier sur sa tête
N'entend plus gronder les autans.
C'est donc le monde qui bouillonne
Et dont la lave tourbillonne
Comme aux cratères des volcans '.

Oui, c'est le monde qui s'agite
Et qui tente un suprême effort,
C'est lui qui rugit et palpite
Sous les étreintes du Dieu fort;

C'est l'homme, hélas! l'homme lui-même,
Qui veut ravir le diadème.

Au front divin de son auteur,

Puis, s'appropriant son empire,

Il veut s'asseoir, en son délire,

A la place du Créateur.

1 La France retentit encore de l'Avertissement solennel que Mer Dupanloup vient d'adresser à la jeunesse et aux pères de famille, sur les attaques dirigées contre la religion par quelques écrivains de nos jours.

Les jours sont arrivés, disent des voix menteuses, Où de l'humanité les croyances trompeuses

Vont s'engloutir dans le tombeau ;

Il faut aux temps nouveaux des croyances nouvelles;
Il faut, pour éclairer les routes éternelles,
La clarté d'un autre flambeau.

» Les dogmes sont vieillis, la foi se fane et s'use;
Croire, n'est qu'un vain mot dont l'ignorance abuse
Pour abêtir l'esprit humain.

Encore un peu de temps, et la raison humaine
Sur l'esprit et le corps recouvrant son domaine
Va frayer un autre chemin.

» Dieu n'est rien, Dieu c'est tout, c'est cette ombre qui C'est la terre et le ciel, c'est le temps, c'est l'espace, [passe, C'est un souffle, une haleine, un son;

C'est la sève et le sang, c'est le grain de poussière,
C'est l'univers enfin, c'est la nature entière
Tressaillant d'un divin frisson,

> Cache toi, cache toi dans ton ciel solitaire,
Dieu cruel qui te fis adorer sur la terre;
L'homme n'a plus besoin de toi.

Il reconnaît ses droits, et son intelligence
Ne veut plus s'abaisser à craindre ta vengeance.
Lui seul est Dieu, lui seul est roi. »

Et j'entends ces voix murmurantes
S'unir en criant: « Détruisons! >>
J'entends des foules délirantes
Répondre en hurlant: «Renversons!

» Oui, du temple ébranlé renversons les portiques,
Secouons, secouons les colonnes antiques,
Effaçons, supprimons les bizarres pratiques
Du fanatisme et de la peur. »

Puis, voyez tout à coup cette foule absorbée;
La voilà, la voilà tout entière courbée

Sous son sacrilége labeur.

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