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frappait à la porte de l'hôtel Brizan. Le portier le reconnut et lui remit un plit cacheté, et comme M. de Kerestin, avant de l'ouvrir, demandait à monter sans retard chez le député, qui devait l'attendre avec l'exactitude de la loi, le portier lui dit alors :

Monsieur le député est sorti à une heure pour se rendre au Château, où il était mandé.

Sorti? mais c'est impossible!

:

Si fait, Monsieur, c'est possible; au reste, si Monsieur veut se donner la peine de lire, peut-être que Monsieur verra..... Il n'était que trop vrai la lettre de Brizan à son cher cousin l'informait qu'un avis du ministre l'avait appelé sur le champ au château.... qu'il en était d'autant plus désolé qu'il avait compté retenir son parent à dîner, mais que le devoir........ Il ajoutait qu'à son retour de la campagne, où il ne resterait pas plus de quatre à cinq jours, il espérait bien s'en dédommager, à moins qu'une mission, dont le ministre l'avait menacé, ne vînt encore mettre obstacle... Ah! c'en est trop! s'écria le gentilhomme indigné en se précipitant dans la rue; ma pauvre cousine ! nous sommes perdus! Mais, grâce au ciel, il y a encore du pain pour vous au Merzer.

Et le châtelain désolé erra jusqu'au soir dans les rues encombrées et étourdissantes de cette ruche immense qu'on appelle Paris.

Que nous reste-t-il à ajouter maintenant? Bien peu de choses à la vérité M. de Kerestin passa tout le jour suivant à frapper en vain à la porte de tous les bureaux de l'administration à laquelle appartenait son neveu; il n'obtint qu'à grand'peine un quart d'heure d'audience d'un chef sans influence, qui lui fit les promesses les plus vagues. Il lui fallut bien s'en contenter et s'en remettre aux soins de la Providence.

Enfin, incapable de passer une journée de plus sur le pavé brûlant de Paris, persuadé qu'il lui serait inutile d'attendre un cousin qui semblait ne vouloir pas le servir, M. de Kerestin, désillusionné de l'amitié des grands, reprit le chemin de sa chère Bretagne, et ne recouvra un peu de sérénité dans le cœur qu'à la vue de ses landes et de ses montagnes.

E. DU LAURENS DE LA BARRE.

LE CARTULAIRE DE REDON.

RÉPONSE A QUELQUES CRITIQUES DE M. DE COURSON.

Le cartulaire original de l'abbaye de Redon est un fort beau manuscrit des XIe et XII° siècles, appartenant aujourd'hui à Mør l'archevêque de Rennes, et qui ne contient guère moins de 400 actes, les trois quarts environ du IXe siècle, le reste du XIe et du XIIe. Il y a trois mois, ce précieux document n'était encore connu du public que par les extraits, relativement peu nombreux, imprimés au dernier siècle dans les recueils de D. Lobineau et de D. Morice.

Aussi y a-t-il déjà plus de quinze ans que la publication complète en fut résolue par le Comité ministériel des travaux historiques, et confiée à M. Aurélien de Courson. L'importance de ce texte faisait de cette publication, on peut le dire, une nécessité pour tous les hommes qui s'occupent sérieusement d'histoire de Bretagne. Tous l'attendaient avec impatience; nous sommes donc heureux de pouvoir leur annoncer le terme de leur attente.

Le Cartulaire de Redon vient de paraître à l'imprimerie impériale, dans la Collection des Documents inédits de l'histoire de France, sous la forme d'un volume in-quarto, ainsi divisé : texte du Cartulaire et de son appendice occupant 410 pages; - ancienne notice historique sur l'abbaye de Redon et collection de documents sur les pouillés des neuf diocèses de Bretagne, 172 pages; — index, errata, table générale, 180 pages, numérotées en pages

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soit 762

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chiffres arabes; plus, en tête, l'introduction de l'éditeur (avantpropos, prolégomènes et éclaircissements) qui ne forment pas moins de 408 pages chiffrées en romain, autant que le texte du Cartulaire et de son appendice. Tout cela, sauf erreur, fait ensemble onze cent soixante-dix pages, c'est à dire un volume des plus dodus et des plus respectables par sa masse.

Il n'est pas respectable rien que par sa masse. Trois cents chartes du IXe siècle, qui seules à peu près nous font connaître les mœurs et les institutions si originales des Bretons de ce temps, c'est un trésor véritable, et bien peu de provinces en ont un pareil. Puis, l'étendue seule des prolégomènes indique un travail considérable. Enfin l'Académie des Inscriptions, en accordant récemment au docte éditeur le grand prix Gobert, a spécialement signalé sa publication à l'attention des savants.

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Cette distinction si honorable, on nous permettra de le dire — nous nous en applaudissons doublement, et pour celui qui l'a reçue et pour nous-mêmes.- En effet, M. de Courson ne se borne pas, dans ses prolégomènes, à commenter et élucider le Cartulaire de Redon (il y a même des gens qui regrettent de ne le pas voir plus à fond exploiter cette riche mine); en dehors du Cartulaire, il s'occupe beaucoup aussi de cette classe de questions ardues et intéressantes comprises sous le nom d'origines bretonnes, qui ont fait depuis plus de quinze ans l'objet de nos propres études. Or, sur presque tous les points de ces questions controversées, nous avons eu la joie de voir que M. de Courson embrasse les opinions énoncées, démontrées et soutenues par nous antérieurement, soit dans les congrès et dans les Bulletins de l'Association bretonne, soit dans nos articles de la Revue de Bretagne et de la Biographie bretonne, soit dans l'Annuaire historique de Bretagne (de 1861), ou dans quelques autres travaux publiés séparément depuis une quinzaine d'années. Puis donc que l'Académie vient d'autoriser ces opinions par son suffrage, ne semble-t-il pas que nous ayons le droit de prendre modestement, dans notre petit coin, une petite part de ce triomphe?

Toutefois, bien que la plupart du temps, en ce qui touche les origines bretonnes, le savant éditeur du Cartulaire nous fasse l'hon

neur d'embrasser nos thèses, de résumer nos arguments, de citer et de reproduire fidèlement les textes invoqués par nous, - nous devons avouer qu'en diverses occasions, où il a cru nous trouver en faute, il a noté soigneusement, comme c'était son droit, les divergences qui le séparent de nous. En face de l'autorité acquise à son livre et par sa science personnelle et par le suffrage de l'Institut, on conçoit que nous éprouvions le besoin de répondre à ses critiques. Pourtant nous ferions sans peine céder ce besoin au désir de parler longuement de son livre, si l'une au moins de ces critiques ne touchait à un point que nous avons toujours tenu pour fondamental dans l'histoire des origines bretonnes, et auquel nous avons voué nos premières et nos plus constantes études, nous voulons dire, à la date des premiers établissements des Bretons insulaires dans la péninsule armoricaine.

On sait que, sur ce point, deux opinions principales ont été pendant longtemps en présence :- l'une, suivant laquelle le tyran Maxime, sorti de l'île de Bretagne avec l'armée qui lui conquit l'empire d'Occident, aurait, en 383, récompensé les insulaires, venus à sa suite par le don de grands territoires en Armorique, où ces Bretons, après la chute de leur bienfaiteur, seraient parvenus à se maintenir indépendants sous un roi de leur race appelé Conan Mériadec; l'autre, au contraire, qui ne voit dans le passage des Bretons en Armorique qu'une suite de l'invasion des Anglo-Saxons dans la Grande-Bretagne, et ne place par conséquent le commencement de ces émigrations qu'après les commencements de l'invasion, c'est à dire de 455 à 460.

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y a ici, je l'ai déjà dit ailleurs, plus qu'une différence de dates; il y a une différence capitale dans le caractère attribué au fondement même de notre histoire provinciale. Dans le premier de ces systèmes, la colonisation de notre pays par les Bretons est, quoi qu'on fasse, une conquête; dans l'autre, c'est un établissement pacifique. Sans parler d'autres considérations que j'ai indiquées ailleurs plus d'une fois, celle-là est, ce semble, assez grave

1 Voir, entre autres, Revue de Bretagne et de Vendée, t. Vill, p. 419 et 420,

pour justifier l'importance que j'ai toujours attachée à cette contro

verse.

Dans cette controverse j'ai toujours et résolument tenu pour la dernière opinion et la dernière date (455-460) contre la la première, contre Conan Mériadec, contre tout établissement des Bretons de Maxime en 383, et j'ai la joie de voir qu'aujourd'hui, parmi les auteurs sérieux, personne ne soutient plus ce fabuleux système.

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Mais voici qu'entre ces deux opinions, M. de Courson en veut élever une troisième, qui ferait remonter le commencement des émigrations bretonnes en Armorique à une trentaine d'années avant le début de l'invasion saxonne, en leur assignant pour cause les ravages commis dans la Bretagne romaine par les Pictes et les Scots.

M. de Courson affirme de plus que cette opinion ne lui est point nouvelle, et que c'était déjà sa thèse, il y a vingt ans, contre M. Varin.

Enfin il insinue assez clairement qu'après les savantes dissertations (encore inédites) de dom Le Gallois contre Conan Mériadec et le prétendu établissement de 383, la longue polémique soutenue par moi à ce sujet était assez superflue1.

Nous allons examiner ces trois points.

I.

« Je ne crois pas, avec M. de la Borderie (dit M. de Courson), que >> les premières émigrations datent seulement de 465; plusieurs » avaient eu lieu antérieurement, et c'est là l'opinion de dom Le » Gallois . » Suit un extrait des mémoires inédits de dom Le Gallois, où on lit:

« Pour réduire à une juste chronologie toute l'histoire de la >> transmigration des Bretons, il faut se souvenir que, dès l'an

1 Cartulaire de Redon, p. cccxLIII,

2 Mort en 1695.

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