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A toutes ces notes, j'en ai ajouté de critiques et de philosophiques, dans lesquelles j'ose quelquefois discuter et même combattre les opinions de Montaigne; où le plus souvent j'indique les emprunts, ou, si l'on veut, les vols que des auteurs modernes ont faits, sans les avouer, à notre philosophe.

Mais, et c'est ce que l'on n'avait point encore tenté, j'ai donné, dans des SOMMAIRES qui suivent les titres des chapitres, un tableau exact de tout ce que ces chapitres contiennent. On y verra que Montaigne est bien moins desordonné dans ses écrits, bien plus méthodique qu'on ne le croit communément; que presque toujours ses idées partent d'un principe général, et sont enchaînées par un lien commun. Il est vrai qu'il évite ou ne prépare point assez les transitions; qu'il s'arrête souvent sur des idées accessoires, plus long-tems que sur l'idée qui aurait dû être le principal sujet de ses méditations. Mais combien de fois n'éprouvera-t-on pas, en lisant Montaigne, qu'en le suivant dans mille détours où l'on croit qu'il s'égare, on arrive, sans presque s'en douter, au but qu'il avait d'abord signalé. J'ose croire que l'on me saura quelque gré de ces Sommaires, que je crois propres à rendre l'étude des Essais, plus facile et plus instructive. Classés avec méthode, et d'après un plan que je me suis fait, ils formeront, à la fin de l'ouvrage, le tableau le plus complet qu'on ait présenté jusqu'ici, des opinions, de la philosophie de Montaigne.

Aux Essais de notre philosophe, j'ai cru devoir joindre, pour que l'on n'eût rien à regretter de ce qui est sorti de sa plume:

1o. Les Lettres qui nous restent de lui. Elles n'offrent pas toutes de l'intérêt; mais on aimera à retrouver celle où il raconte d'une manière si touchante, la mort de son ami De la Boëtie.

2o. Quelques passages extraits de sa traduction de la Théologie naturelle de Raymond de Sébonde, que l'on appelait, sans trop de raison, le Philosophe Espagnol. Cet ouvrage n'est qu'un long tissu de rêveries monacales, et ne mérite guères d'être tiré de l'oubli; mais comme Montaigne lui a donné, ainsi qu'il le dit lui-même, un accoustrement à la françoise, et qu'il l'a devestu de son port farouche et maintien barbaresque »>, on pouvait du moins en offrir quelques lambeaux à la curiosité des lecteurs.

3°. Le petit Traité de la Servitude volontaire, par Étienne De la Boëtie. C'est un ouvrage politique, très-hardi pour le tems. Montaigne avait comme adopté cette production de son ami, et voulait d'abord le joindre à son chapitre de l'Amitié ; mais il renonça à ce projet, pour ne pas fournir un aliment de plus aux partis qui divisaient alors la France.

4o. Un extrait du voyage de Montaigne en Italie. Je ne citerai que peu de morceaux de cette production informe, publiée seulement en 1774, et que l'auteur n'avait pas destinée à l'impression.

5o. Des Instructions ou Avis donnés par Catherine de Médicis à Charles IX. Je présenterai, dans une note, la preuve que cette pièce, qui fait très-bien connaître les mœurs du tems, est, au moins en grande partie, l'ouvrage de Montaigne. Elle n'a paru dans aucune édition de ses Essais.

Enfin j'ai cru devoir mettre en tête de tout l'ouvrage, non-seulement une Vie de Montaigne, mais divers jugemens publiés, à différentes époques, sur son ouvrage.

Voilà comme j'ai tâché de remplir les devoirs imposés à un nouvel éditeur de Montaigne. C'est ici un livre de bonne foi, disait-il, en offrant son ouvrage au public; je désire qu'on en puisse dire autant du commentaire.

L'AUTHEUR

AU LECTEUR.

C'EST icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dés l'entrée, que ie ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée : ie n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Ie l'ay voué à la commodité particuliere de mes parents et amis à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve la cognoissance qu'ils ont eu de moy. Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, ie me fusse mieulx paré **, et me presenterois en une marche estudiee. Je veulx qu'on m'y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention ** et artifice : car c'est moy que ie peins. Mes defauts s'y liront au vif *3 et ma

Je me fusse paré de beautés empruntées, ou me fusse tendu et bandé en ma meilleure démarche. Édition de 1580. * Estude au lieu de contention. ibid.

*3 Mes imperfections et ma forme. ibid.

forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si i'eusse esté entre ces nations qu'on dict vivre encores soubs la douce liberté des premieres loix de nature, ie t'asseure que ie m'y fusse tres volontiers peint tout entier et tout nud. Ainsi, lecteur, ie suis moy-mesme la matiere de mon livre: çe n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subiect si frivole et si vain. A Dieu donq. De MONTAIGNE, ce premier de mars mil cinq cents quatrevingt '.

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Malgré cet Avertissement si naïf, J. J. Rousseau ne croyait pas à la bonne foi de Montaigne. Il dit dans ses Confessions, (livre x): « J'avais toujours ri de la fausse naïveté » de Montaigne, qui, faisant semblant d'avouer ses défauts, » a grand soin de ne s'en donner que d'aimables: tandis que » je sentais, moi qui me suis cru toujours, et qui me crois >> encore, à tout prendre, le meilleur des hommes, qu'il n'y » a point d'intérieur humain, si pur qu'il puisse être, qui ne » recèle quelque vice odieux ». Cette critique de Montaigne me semble injuste et déplacée. Il est possible que notre phi losophe n'ait pas avoué, comme l'a fait depuis Rousseau quelques faiblesses honteuses, des turpitudes. Mais s'en est-il fait moins connaître? et en dévoilant son cœur, n'a-t-il pas dévoilé le cœur humain, en général? A-t-on le droit aussi de l'accuser de vanité, quand on dit de soi : Je me crois, à tout prendre, le meilleur des hommes ?... Jamais Montaigne n'aurait écrit, ni même pensé rien de semblable.

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SOMMAIRE.

I. Par une extrême valeur, ainsi que par la soumission, on peut désarmer la colère. II. On parvient au même but, en inspirant l'estime et l'admiration. III. Quelquefois aussi un courage obstiné irrite le vainqueur et le rend implacable.

Exemples tirés de l'histoire du prince Édouard, de Scanderberg, de Conrad; - de l'histoire du Peuple Thébain, de Denis de Syracuse, de Pompée; -de celle d'Alexandre.

I. LA plus commune façon d'amollir les cœurs de ceulx qu'on a offensez, lors qu'ayants la vengeance en main, ils nous tiennent à leur mercy, c'est de les

I.

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