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l'homicide volontaire et sur la mort, sont horribles. Il ins-pire une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir. Son livre n'étant point fait pour porter à la piété, il n'y était pas obligé ; mais on est toujours obligé de n'en pas détourner. Quoiqu'on puisse dire, pour excuser ses sentimens trop libres sur plusieurs choses, on ne saurait excuser, en aucune sorte, ses sentimens tout payens sur la mort; car il faut renoncer à toute piété, si on ne veut au moins mourir chrétiennement: or il ne pense qu'à mourir lâchement et mollement partout son livre.

(PENSÉES. chap. XXVIII.)

Le sot projet que Montaigne a eu de se peindre ! et cela non pas en passant, et contre ses maximes, comme il arrive à tout le monde de faillir; mais par ses propres maximes et par un dessein, premier et principal: car de dire des sottises par hasard et par faiblesse, c'est un mal ordinaire; mais d'en dire à dessein, c'est ce qui n'est pas supportable, et d'en dire de telles que celles-là (1).

(Ibid. chap. XXIX. )

Ce que Montaigne a de bon, ne peut être acquis que difficilement. Ce qu'il a de mauvais, j'entends hors les mœurs, eût pu être corrigé en un moment, si on l'eût averti qu'il faisait trop d'histoires, et qu'il parlait trop de soi.

(Ibid. chap. XXXI. )

(1) Voici comme Voltaire répond à cette pensée de Pascal :

<< Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre naïvement, comme il a fait! Car il a peint la nature humaine; et le

pauvre projet de Nicole, de Mallebranche et de Pascal, de décrier Montaigne»>! Lettres philosophiques.

VII.

MALLEBRANCHE.

C'EST la beauté, la vivacité et l'étendue de l'imagination, qui font passer pour bel esprit. Le commun des hommes estime le brillant, et non pas le solide, parce que l'on aime davantage ce qui touche les sens que ce qui intéresse la raison. Ainsi, en prenant beauté d'imagination pour beauté d'esprit, Montaigne avoit l'esprit beau, et même extraordinaire. Ses idées sont fausses, mais belles; ses expressions irrégulières ou hardies, mais agréables; ses discours mal raisonnez, mais bien imaginez. On voit dans tout son livre un contraste d'original qui plait infiniment : tout copiste qu'il est, il ne sent point son copiste, et son imagination forte et hardie donne toujours le tour d'original aux choses qu'il copie. Il a enfin ce qu'il est nécessaire d'avoir pour imposer; et..... ce n'est point en convainquant la raison qu'il se fait admirer de tant de gens, mais en leur tournant l'esprit à son avantage, par la vivacité toujours victorieuse de son imagination dominante.

(Recherche de LA VÉRITÉ. L. II, Part. III, Ch. 5.)

VIII.

LA BRUYÈRE.

DEUX écrivains ont blâmé Montaigne, que je crois pas, aussi bien qu'eux, exempt de toute sorte de blâme. Il paraît que tous deux ne l'ont estimé en nulle manière. Balzac ne. pensoit pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup; le père Mallebranche pense trop subtilement pour s'accommoder de pensées qui sont naturelles.

(CARACTÈRES. Chap. I, des Ouvrages d'Esprit.)

IX.

NICOLE.

MONTAIGNE me représente un homme qui, après avoir promené son esprit sur toutes les choses du monde, pour juger ce qu'il y a en elles de bien et de mal, a eu assez de lumières pour en reconnoître la sottise et la vanité.

Il a très-bien découvert le néant de la grandeur et l'inuti– lité des sciences; mais comme il ne connoissoit guères d'autre vie que celle-ci, il a conclu qu'il n'y avoit donc guères rien à faire qu'à tàcher de passer agréablement le petit espace qui nous est donné.

(PENSÉES.)

X.

VOLTAIRE.

MONTAIGNE, avant lui (Corneille), était le seul livre qui attirât l'attention du petit nombre d'étrangers qui pouvaient savoir le français; mais le style de Montaigne n'est ni pur ni correct, ni précis, ni noble : il est énergique et familier; il exprime naïvement de grandes choses: c'est cette naïveté qui plaît; on aime à voir le caractère de l'auteur; on se plaît à se retrouver dans ce qu'il dit de lui-même, à converser, à changer de discours et d'opinion avec lui. J'entends souvent regretter le langage de Montaigne, c'est son imagination qu'il faut regretter elle était forte et hardie; mais sa langue était bien loin de l'être.

(DISCOURS A L'ACADÉMIE.)

Quelle injustice, de dire que Montaigne n'a fait
propos,
et c'est ce

que commenter les anciens! Il les cite à

que

les commentateurs ne font pas. Il pense, et ces messieurs ne pensent point; il appuie ses pensées de celles des grands hommes de l'antiquité; il les juge; il les combat ; il converse avec eux, avec son lecteur, avec lui-même : toujours original dans la manière dont il présente les objets, toujours plein d'imagination, toujours peintre; et, ce que j'aime, sachant toujours douter. Je voudrais bien savoir, d'ailleurs, s'il a pris chez les anciens tout ce qu'il dit sur nos modes, sur nos usages, sur le Nouveau-Monde découvert presque de son tems, sur les guerres civiles dont il était le témoin, sur le fanatisme des deux sectes qui désolaient la France.

(LETTRE A M. DE TRESSAN).

MONTAIGNE, cet auteur charmant,
Tour-à-tour profond et frivole,
Dans son château paisiblement,
Loin de tout frondeur malévole,
Doutait de tout impunément,
Ou se moquait très-librement
Des bavards fourrés de l'école;
Mais quand son élève Charron,
Plus retenu, plus méthodique,
De sagesse donna leçon,
Il fut près de périr, dit-on,
Par la haine théologique.

EPITRE SUR L'ENVIE.

XI.

DIDEROT.

L'IGNORANCE et l'incuriosité sont deux oreillers fort doux ; pour les trouver tels, il faut avoir la tête aussi bien faite que Montaigne.

mais

(PENSÉES PHILOSOPHIQUES).

JE connais les dévots, ils sont prompts à prendre l'alarme..... Si je ne suis qu'un déiste et un scélérat, j'en serai quitte à bon marché. Il y a long-tems qu'ils ont damné Descartes, Montaigne, Locke et Bayle, et j'espère qu'ils en damneront bien d'autres. Je leur déclare cependant que je ne me pique d'être ni plus honnête homme, ni meilleur chrétien que la plupart de ces philosophes.

(Ibid.)

XII.

DELILLE.

RICHE du fonds d'autrui, mais riche par son fonds,
Montaigne les vaut tous : dans ses brillans chapitres,
Fidèle à son caprice, infidèle à ses titres,

Il laisse errer, sans art, sa plume et son esprit,
Sait peu ce qu'il va dire, et peint tout ce qu'il dit.
Sa raison, un peu libre et souvent négligée,
N'attaque point le vice en bataille rangée ;
Il combat en courant, sans dissimuler rien;
Il fait notre portrait en nous faisant le sien.
Aimant et haïssant ce qu'il hait, ce qu'il aime,
Je dis ce que d'un autre il dit si bien lui-même :
C'est lui, c'est moi. Naïf, d'un vain faste ennemi,
Il sait parler au sage, et causer en ami.

Heureux ou malheureux, à la ville, en campagne,
Que son livre charmant toujours vous accompagne!

( DE L'IMAGINATION, chant VI. )

XIII.

DE LA HARPE.

MONTAIGNE était sans doute un esprit d'une trempe fort supérieure; ses connaissances étaient plus étendues et mieux digérées que celles de Rabelais : aussi se proposa-t-il un objet

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