Page images
PDF
EPUB

favorisa leur frayeur; et que ce seroit moyen une aultre fois aussi bien pour se iecter dans le coup, que pour l'eviter. Ie ne me l'eviter. Ie ne me puis deffendre, si le bruit esclatant d'une arquebusade vient à me frapper les aureilles à l'improuveu, en lieu où ie ne le deusse pas attendre, que ie n'en tressaille : ce que i'ay encores advenir à d'aultres qui valent mieulx que moy.

veu

II. N'y n'entendent les Stoïciens que l'ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantasies qui luy surviennent; ains, comme à une subiection naturelle, consentent qu'il cede au grand bruit du ciel ou d'une ruine, pour exemple, iusques à la pasleur et contraction, ainsin *8 aux aultres passions, pourveu que son opinion demeure saulve et entiere, et que l'assiette de son discours *9 n'en souffre atteinte ni alteration quelconque, et qu'il ne preste nul consentement à son effroy et souffrance. De celuy qui n'est pas sage, il en va de mesme en la premiere partie; mais tout aultrement en la seconde : car l'impression des passions ne demeure pas en luy superficielle, ains va penetrant iusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant; il iuge selon icelles, et s'y conforme. Voyez bien disertement et plainement l'estat du sage stoïque :

Mens immota manet; lacrymæ volvuntur inanes 4.

4 Il pleure, mais son cœur demeure inébranlable.

*8 Ainsi qu'aux.

*9 De sa raison.

Énéïde. L. IV, v. 449.

Le sage peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il les modere.

wwwww

wwwwww

CHAPITRE XIII.

Cerimonie de l'entreveue des roys.

[ocr errors]
[ocr errors]

SOMMAIRE. I. On ne sait s'il est plus régulier d'attendre un grand qui veut nous visiter, que d'aller à sa rencontre. Dans les entrevues des Souverains, les plus puissans doivent se trouver les premiers au lieu désigné. — II. S'il est quelquefois pénible de se soumettre aux formes que prescrit la civilité, il est du moins utile de les connaître. Exemples: la reine Marguerite; Clément VII, François Ier. et Charles-Quint.

I. Il n'est subiect si vain qui ne merite un reng en cette rapsodie. A nos regles communes, ce seroit une notable discourtoisie, et à l'endroict d'un pareil, et plus à l'endroict d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous quand il vous auroit adverty d'y debvoir venir voire, adioustoit la royne de Navarre Marguerite à ce propos, que c'estoit incivilité à un gentilhomme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit; et qu'il

que peur

le re

est plus respectueux et civil de l'attendre pour cevoir, ne feust de de faillir sa route; et qu'il suffit de l'accompaigner à son partement. Pour i'oublie souvent l'un et l'aultre de ces vains ofmoy fices; comme ie retranche en ma maison autant que ie puis de la cerimonie. Quelqu'un s'en offense : qu'y feroy ie? Il vault mieulx que ie l'offense pour une fois, que moy touts les iours; ce seroit une subiection continuelle. A quoy faire fuit on la servitude des courts, si on l'entraisne iusques en sa taniere? C'est aussi une regle commune en toutes assemblees, qu'il touche aux moindres de se trouver les premiers à l'assignation, d'autant qu'il est mieulx deu aux plus apparents de se faire attendre.

Toutesfois à l'entreveue qui se dressa du pape Clement' et du roy François à Marseille, le roy, y ayant ordonné les apprests necessaires, s'esloingna de la ville, et donna loisir au pape de deux ou trois iours pour son entree et refreschissement, avant qu'il le veinst trouver. Et de mesme à l'entree aussi du pape et de l'empereur à Bouloigne, l'empereur donna moyen au pape d'y estre le premier, et y surveint aprez luy. C'est, disent ils, une cerimonie ordinaire aux abouchements de tels princes, que le

[ocr errors]

2

[blocks in formation]

2 Du même pape Clément VII, et de Charles-Quint, sur la fin de l'année 1532.- Guicciardini, Istor. L. XX.

pren

plus grand soit avant les aultres au lieu assigné, voire avant celuy chez qui se faict l'assemblee; et le nent de ce biais, que c'est à fin que cette apparence tesmoigne que c'est le plus grand que les moindres vont trouver, et le recherchent, non pas luy eulx.

II. Non seulement chasque païs, mais chasque cité, et chasque vacation, a sa civilité particuliere. I'y ay esté assez soigneusement dressé en mon enfance, et ay vescu en assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre françoise, et en tiendrois eschole. I'aime à les ensuivre, mais non pas si couardement que ma vie en demeure contraincte: elles ont quelques formes penibles, lesquelles pourveu qu'on oublie par discretion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. l'ay veu souvent des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de cour

toisie.

C'est au demourant une tresutile science la que science de l'entregent *. Elle est, comme la grace et la beauté, conciliatrice des premiers abords de la societé et familiarité; et par consequent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'aultruy, et à exploicter et produire nostre exemple, s'il a quelque chose d'instruisant et communicable.

* Ce mot qui ne signifiait qu'une manière adroite et civile de se conduire dans le monde, se prend aujourd'hui en mauvaise part.

CHAPITRE XIV*.

On est puny pour s'opiniastrer à une place sans raison.

[ocr errors]

SOMMAIRE. On doit punir ceux qui s'obstinent à défendre avec opiniâtreté une trop faible place: mais les vainqueurs abusent souvent de cette loi de la guerre.

Exemples: le Connétable de Montmorenci; Martin du Bellay.

LA vaillance a ses limites, comme les aultres vertus; lesquels franchis, on se treuve dans le train du vice: en maniere que par chez elle on se chez elle on se peult rendre à la temerité, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes, malaisees en verité à choisir sur leurs confins. De cette consideration est nee la coustume que nous avons aux guerres, de punir, voire de mort, ceulx qui s'opiniastrent à deffendre une place qui par les regles militaires ne peult estre soustenue. Aultrement, soubs l'esperance de l'impunité, il n'y auroit poullier qui n'arrestast une armee.

*2

* Dans l'édition de 1580, ce chapitre est le quinzième. Le quatorzième a pour titre et pour sujet : que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons. C'est le quarantième chapitre des autres éditions. Cette édition première offre, à partir de ce chapitre, de si grandes différences avec toutes celles qui l'ont suivie, que nous ne pourrons plus y avoir recours que très-rarement. * Poulailler, (bicoque).

« PreviousContinue »