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nous feit veoir à Bruxelles ez comtes de Horne et d'Aiguemond, il y eut tout plein de choses remarquables; et, entre aultres, que le comte d'Aiguemond, soubs la foy et asseurance duquel le comte de Horne s'estoit venu rendre au duc d'Albe, requit avec grande instance qu'on le feist mourir le premier, à fin que sa mort l'affranchist de l'obligation qu'il avoit au dict comte de Horne. Il semble que la mort n'ayt point deschargé le premier de sa foy donnee, et que le second en estoit quitte, mesme sans mourir. Nous ne pouvons estre tenus au delà de nos forces et de nos moyens; à cette cause, parceque les effects et executions ne sont aulcunement en nostre puissance, et qu'il n'y a rien à bon escient *1 en nostre puissance que la volonté; en celle là se fondent par necessité, et s'establissent toutes les regles du debvoir de l'homme par ainsi le comte d'Aiguemond tenant son ame et volonté endebtee à sa promesse, bien que la puissance de l'effectuer ne feust pas en ses mains, estoit sans doubte absouls de son debvoir, quand il eust survescu le comte de Horne; mais le roy d'Angleterre, faillant à sa parole par son intention, ne se peult excuser pour avoir retardé iusques aprez sa mort l'execution de sa desloyauté; non plus que le masson de Herodote, lequel ayant loyalement conservé durant sa vie le secret des thresors du roy

* Bien réellement.

d'Aegypte son maistre, mourant, le descouvrit à ses enfans 2.

par

à y

si

II. l'ai veu plusieurs de mon temps, convaincus leur conscience retenir de l'aultruy, se disposer

satisfaire par leur testament et aprez leur decez. Ils ne font rien qui vaille, ny de prendre terme à chose si pressante, ny de vouloir restablir une iniure avec peu de leur ressentiment et interest. Ils doibvent du plus leur ** et d'autant qu'ils payent plus poisamment et incommodeement, d'autant en est leur satisfaction plus iuste et meritoire la penitence demande à se charger. Ceulx là font encores pis, qui reservent la declaration de quelque haineuse volonté envers le proche, à leur derniere volonté, l'ayant cachee pendant la vie; et montrent avoir peu de soing du propre honneur, irritant l'offensé à l'encontre de leur memoire, et moins de leur conscience, n'ayant, pour le respect de la mort mesme, sceu faire mourir leur maltalent *3, et en estendant la vie oultre la leur. Iniques iuges, qui remettent à iuger, alors qu'ils n'ont plus de cognoissance de cause. Ie me garderay, si ie puis, que ma mort die chose que ma vie n'ayt premierement dict, et apertement.

2 Hérodote. L. II. Le maçon ou plutôt l'architecte n'est pas nommé par Hérodote. Le roi s'appelait Rhampsinet.

Ils doivent faire de plus grands sacrifices.

*3 Leur malignité.

SOMMAIRE.

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CHAPITRE VIII.

De l'oysifveté.

L'esprit est comme une terre qu'il faut sans

cesse cultiver et ensemencer : l'oisiveté le rend ou stérile ou fantasque.

COMME nous voyons des terres oysifves, si elles sont grasses et fertiles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que, pour les tenir en office, il les fault assubiectir et employer à certaines semences pour nostre service; et comme nous voyons que les femmes produisent bien toutes seules des amas et pieces de chair informes, mais que pour faire une generation bonne et naturelle, il les fault embesongner d'une aultre semence ainsin est il des esprits; si on ne les occupe à certain subiect qui les bride et contraigne, ils se iectent desreglez, par cy par là, dans le vague champ des imaginations,

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Sicut aquæ tremulum labris ubi lumen ahenis,
Sole repercussum, aut radiantis imagine lunæ,
Omnia pervolitat latè loca; iamque sub auras
Erigitur, summique ferit laquearia tecti1;

Ainsi, lorsque dans un vase d'airain une onde agitée réfléchit l'image du soleil ou de la pâle Phoebé, la lumière voltige incertaine, monte, descend, et frappe les lambris de ses mobiles reflets ». Énéid. L. VIII, v. 22.

et n'est folie ny resverie qu'ils ne produisent en cette agitation,

Velut ægri somnia, vanæ

Finguntur species 2.

L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd: car, comme on dict, c'est n'estre en aulcun lieu, que d'estre partout.

Quisquis ubique habitat, Maxime, nusquam habitat 5.

Dernierement que ie me retiray chez moy, deliberé, autant que ie pourroy, ne me mesler d'aultre chose que de passer en repos et à part ce peu qui me reste de vie; il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oysifveté s'entretenir soy mesme, et s'arrester et rasseoir en soy, ce que i'esperoy qu'il peust meshuy** faire plus ayseement, devenu avecques le temps plus poisant et plus meur: mais ie treuve comme Variam semper dant otia mentem",

*2

que, au rebours, faisant le cheval eschappé, il se donne cent fois plus de carriere à soy mesme qu'il

2

«Se forgeant des chimères, qui ressemblent aux songes d'un malade ». Horat. de Arte poet. v.7.

3 Martial. L. VII, epig. 73. Montaigne a traduit ce vers avant de le citer.

4 « Un esprit oisif voltige incessamment de pensée en pensée ». Lucan. L. IV, v. 704.

* Désormais.

** Lourd.

n'en prenoit pour aultruy *3; et m'enfante tant de chimeres et monstres fantasques les uns sur les aultres, sans ordre et sans propos, que, pour en contempler à mon ayse l'ineptie et l'estrangeté, i̇’ay commencé de les mettre en roolle, esperant avecques le temps luy en faire honte à luy mesme.

*3 Le sens de ce membre de phrase est: mais je trouve au contraire que, l'esprit oisif voltigeant sans s'arrêter, de pensée en pensée, le mien semblable à un cheval échappé, etc.

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SOMMAIRE. I. Ce n'est pas un si grand désavantage qu'on le croit communément, de manquer de mémoire : l'homme qui n'a pas la mémoire heureuse, ne peut guères être ambitieux, parce qu'il ne se sent pas propre aux affaires; il parle peu, et ne répète pas sans cesse, comme les vieillards, de longues histoires. II. La mémoire est nécessaire aux

menteurs : mais il est

peu

de vices plus odieux que l'habitude du mensonge, et qui exposent à d'aussi fréquens dangers. Exemples: Darius;-Francisque Taverna;-un Ambassadeur du Pape Jules II.

I. Il n'est homme à qui il siese *1 si mal de se mesler de parler de memoire, car ie n'en recognois quasy trace en moy; et ne pense qu'il y en ayt au monde

* On dit aujourd'hui sieye (convienne).

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