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de Foix sceut en Bearn la defaicte du roy Iean de Castille à Iuberoth, le lendemain qu'elle feut advenue 9, et les moyens qu'il en allegue, on s'en peult mocquer; et de ce mesme que nos annales disent que le pape Honorius, le propre iour que le roy Phi

lippe Auguste mourut à Mante, feit faire ses funerailles publicques et les manda faire par toute l'Italie: car l'auctorité de ces tesmoings n'a pas à l'adventure assez de reng pour nous tenir en bride **. Mais quoy! si Plutarque, oultre plusieurs exemples qu'il allegue de l'antiquité, dict 10 sçavoir de certaine science que du temps de Domitian la nouvelle de la bataille perpar Antonius en Allemaigne à plusieurs iournées de là ", feut publiee à Rome, et semee partout le monde, le mesme iour qu'elle avoit esté perdue ; et si

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9 En 1385. Les Historiens donnent à cette bataille le nom d'Aljubarotta, du lieu où se passa l'action. Montaigne, d'après Froissart, écrit Juberoth.

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Plutarque. Vie de Paulus Emilius.

A plus de 840 lieues, dit Plutarque dans la Vie de Paulus Emilius; mais il n'y avait vraiment que 250 lieues de Rome au lieu du combat. Il s'agit ici de Lucius Antoninus, qui, lorsqu'il gouvernait la Germanie supérieure, se révolta contre Domitien. Voyez Suét. Domit. §. 6; et les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. I.

* N'a pas assez de poids, pour nous imposer une confiance aveugle.

Cesar 1 tient qu'il est souvent advenu que la renommee a devancé l'accident: dirons nous pas que ces simples gents là se sont laissez piper aprez le vulgaire pour n'estre pas clairvoyants comme nous ? Est il rien plus delicat, plus net et plus vif que le iugement de Pline, quand il luy plaist de le mettre en ieu ? rien plus esloingné de vanité ? ie laisse à part l'excellence de son sçavoir, duquel ie foys moins de compte: en quelle partie de ces deux là le surpassons nous ? toutesfois il n'est si petit escholier qui ne le convainque de mensonge, et qui ne luy veuille faire leçon sur le progrez des ouvrages de nature. Quand nous lisons dans Bouchet les miracles des reliques de sainct Hilaire, passe; son credit n'est pas assez grand pour nous oster la licence d'y contredire : mais de condamner d'un train toutes pareilles histoires me semble singuliere impudence. Ce grand sainct Augustin tesmoigne 13 avoir veu sur les reliques sainct Gervais et Protaise à Milan un enfant aveugle recouvrer la veue; une femme à Carthage estre guarie d'un cancer par le signe de la croix qu'une femme nouvellement baptisee luy feit; Hesperius, un sien familier, avoir chassé les esprits qui infestoient sa maison avecques un péu de terre du sepulchre de nostre Seigneur; et cette terre depuis transportee à l'eglise, un paralytique en

12 De Bell. Civ. L. III, c. 36.

13 De Civit. Dei. L. XXII, c. 8.

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avoir esté soubdain guary; une femme en une procession ayant touché à la chasse sainct Estienne d'un bouquet, et de ce bouquet s'estant frotté les yeulx, avoir recouvré la veue pieça *3 perdue; et plusieurs aultres miracles où il dict luy mesme avoir assisté : de quoy accuserons nous et luy et deux saints evesques Aurelius et Maximinus qu'il appelle pour ses recors *4 ? sera ce d'ignorance, simplesse, facilité ? ou de malice et imposture ? Est il homme en notre siecle si impudent qui pense leur estre comparable, soit en vertu et pieté, soit en sçavoir, iugement et suffisance? qui, ut rationem nullam afferrent, ipsâ auctoritate me frangerent 14.

C'est une hardiesse dangereuse et de consequence, oultre l'absurde temerité qu'elle traisne quand et soy, de mespriser ce que nous ne concevons pas : car aprez que, selon vostre bel entendement, vous avez estably les limites de la verité et de la mensonge, et qu'il se treuve que vous avez necessairement à croire des choses où il y a encores plus d'estrangeté qu'en ce que vous niez, vous vous estes desia obligé de les abandonner. Or ce qui me

14 «<

Quand même ils n'apporteraient aucune raison, ils me persuaderaient par leur seule autorité ». Cic. Tusc. quæst. L. I, c. 21.

3 Depuis long-tems.

*4 Témoins.

semble apporter autant de desordre en nos consciences, en ces troubles où nous sommes de la religion *5, c'est cette dispensation que les catholiques font de leur creance *6. Il leur semble faire bien les moderez et les entendus quand ils quittent aux adversaires aulcuns articles de ceux qui sont en debat : mais oultre ce qu'ils ne voyent pas quel advantage c'est à celuy qui vous charge, de commencer à luy ceder et vous tirer arriere, et combien cela l'anime à poursuyvre sa poincte; ces articles là qu'ils choisissent pour les plus legiers, sont aulcunefois tresimportants. Ou il fault se soubmettre du tout à l'auctorité de nostre police ecclesiastique, ou du tout s'en dispenser : ce n'est pas à nous à establir la part que nous luy debvons d'obeïssance. Et davantage, ie le puis dire pour l'avoir essayé *7, ayant aultrefois usé de cette liberté de mon choix et triage particulier, mettant à nonchaloir *8 certains poincts de l'observance de nostre eglise qui semblent avoir un visage ou plus vain ou plus estrange; venant à en communiquer aux hommes sçavants, i'ay trouvé que ces choses là ont un fondement massif et tressolide; et que ce n'est que bestise et ig

★5 Au sujet de la religion.

*6 C'est que les catholiques disposent trop facilement de leur croyance.

*7 Éprouvé.

*8 Mettant peu d'importance à.

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norance qui nous faict les recevoir avecques moindre reverence que le reste. Que ne nous souvient il combien nous sentons de contradiction en nostre iugement mesme ! combien de choses nous servoient hier d'articles de foy, qui nous sont fables auiourd'huy! La gloire et la curiosité sont les fleaux de nostre ame : cette cy nous conduict à mettre le nez par tout; et celle là nous deffend de rien laisser irrésolu et indecis.

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SOMMAIRE.

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CHAPITRE XXVII.

De l'amitié.

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Il ne peut y avoir de vraie amitié qu'entre des égaux. Combien diffèrent de l'amitié les affections entre les pères et les fils, entre les frères, entre les époux. Toute contrainte exclut l'amitié. Les unions contre nature en usage parmi les Grecs, ne sont point une image de l'amitié.Idée de l'amitié parfaite; elle ne peut se diviser sur plusieurs individus. Dans la véritable amitié, celui qui donne est l'obligé; tout y est abandon : deux ames n'en font qu'une. Dans les amitiés communes, il faut user de prudence et de circonspection. Dans les relations des hommes entre eux, peu importe le plus souvent de connaître le caractère, la religion, les mœurs des personnes; il n'en est pas de même en amitié.

Exemples: Aristippe; Étienne de la Boëtie; Achille et Patrocle; Harmodius et Aristogiton; Caïus Blosius; Aristote; Diogènes; le Testament d'Eudamidas; un soldat de Cyrus; Agésilas.

CONSIDERANT la conduicte de la besongne d'un

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