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fait ce que la nature ne pourrait faire; il fait quelque chose de surnaturel; il montre son absolue indépendance à l'égard d'un monde ayant sa vie propre et sa loi immanente; il atteste sa présence toute-puissante. Ce qui fera toujours l'importance religieuse du miracle, c'est l'impression profonde qu'il produit involontairement de la gloire incomparable du Dieu personnel et vivant, se tenant immédiatement près de ses créatures.

Il y a déjà longtemps qu'on a répondu aux objections qu'on élève pour contester à la théologie le droit de faire usage des miracles. Celui qui soutient avec Hume qu'aucun témoignage historique, quelle que soit sa nature, ne réussira jamais à rendre un miracle non pas certain mais même vraisemblable, celui-là trahit ouvertement sa résolution de ne jamais, en aucun cas, admettre des miracles: stat pro ratione voluntas. On dit aussi que dans aucun cas concret on ne peut admettre de miracle, parce que cet aveu impliquerait une connaissance absolue de la nature que personne toutefois ne peut s'attribuer. Cette objection est assez étrange. En effet, d'après la conduite de ceux qui développent cet argument avec tant de pathos on doit conclure que la possibilité qu'ils repoussent existe cependant. Car enfin, comment pourraient-ils nier avec tant d'assurance et absolument la réalité de tant de miracles bibliques? A leur point de vue cette attitude implique la certitude absolue que ces récits bibliques racontent quelque chose qui ne pourrait absolument être considéré que comme miraculeux. On dit, toujours dans le même bord, qu'il est impossible de constater le caractère divin d'un miracle, car enfin, les anges et les démons en font aussi, et où prendrons-nous les critères sûrs pour distinguer les uns des autres? Comme Twesten l'a fait remarquer, les hommes qui mettent en avant cette objection ont l'habitude, pour ce qui les concerne, de se rire des miracles des anges et des démons, fantaisie tout aussi superstitieuse que les anges et les démons eux-mêmes. Comme les bons anges sont serviteurs de Dieu, leurs miracles s'accomplissent toujours avec son concours. Quant à ceux des mauvais anges qui s'accomplissent dans le domaine actuel de la révélation divine, il ne sera pas difficile de montrer qu'ils la contredisent; qu'ils ne sont pas dans sa ligne

et de les reconnaître ainsi pour faux. Les réponses du Seigneur suffisent à l'adresse de pareils doutes de mauvais aloi. (Math. XII, 24-19.)

Tout en accentuant fortement l'importance du miracle, je ne lui fais pas jouer le rôle que l'ancienne apologétique lui attribuait. C'est pour la révélation elle-même, au moment même où elle s'effectue, qu'il est important, puisqu'une révélation ne saurait s'accomplir sans miracle, et non pas pour nous qui avons vu passer dans la conscience générale ce que les miracles révélateurs étaient primitivement destinés à annoncer. Il est bien vrai qu'en les rejetant on ne se rendra pas entièrement compte de la révélation, mais il y a des dangers plus graves que celui-là. Il est donc bien entendu que je n'ai pas plaidé la cause de cette foi superstitieuse aux miracles qui s'imagine que dès qu'on les admet, on est dispensé d'examiner dans le détail les faits concrets qui sont présentés comme miraculeux. Loin de moi la pensée de prétendre imposer les miracles à ceux qui croient déjà, sous prétexte que leur foi est suspecte faute de reposer sur les miracles. C'est déjà beaucoup que le soleil de la révélation se soit levé pour eux et qu'ils s'efforcent de marcher à sa lumière. Que si les miracles les scandalisent, je me garderai de leur imposer d'y croire beneficia non obtruduntur. Tâchez de vous tirer, si possible, de certaines difficultés historiques dont les miracles nous donnent la clef. Ce n'est pas dans l'intérêt de la dogmatique que j'admets les miracles, mais parce que je ne puis m'en passer pour expliquer certains faits de l'histoire. Bien loin de rompre les mailles du tissu historique, ils me permettent de franchir les profondes lacunes qu'il présente. Qu'on se garde donc, dirai-je avec Weiss, d'éloigner entièrement notre génération du christianisme en prétendant lui imposer a toute force la foi au miracle. Chez beaucoup de nos contemporains qui possèdent incontestablement une foi réelle et vivante au christianisme, une grande majorité éprouve contre les miracles une répulsion instinctive, qui se comprend très bien quand on tient compte de la direction que la culture a prise pendant le siècle dernier. On doit donc voir dans cette répulsion autre chose qu'un simple entêtement.

Comme la révélation n'est pas uniquement manifestation, mais encore inspiration, au miracle vient s'ajouter la prophétie qui est l'explication authentique de la manifestation divine. Il est évident que l'ancienne théologie a fait entièrement fausse route en ne voyant en elle que la prédiction de l'avenir et, encore, des circonstances des faits accidentels. La prophétie est la révélation en paroles venant s'ajouter à la révélation par les faits les deux facteurs sont inséparables.

Mais, quoique la prophétie ne soit ni essentiellement, ni exclusivement la prédiction de l'avenir, celle-ci est bien un de ses éléments essentiels. En effet pour bien comprendre la manifestation divine, il importe de se rendre parfaitement compte de son but, ce qui ne peut avoir lieu qu'au moyen des détails historiques. Il faut se rendre compte du but que Dieu poursuit avec sa révélation, c'est-à-dire reconnaître qu'elle est un moyen préparatoire pour amener une rédemption réelle et voir comment, dans un moment donné, l'état historique de la révélation se comporte par rapport à ce but final.

Voilà pourquoi, comme prédiction de l'avenir, la prophétie est essentiellement une promesse, promesse de salut, prophé-tie messianique. Il suffit de renvoyer à des passages décisifs comme les suivants : 2 Cor. I, 20; Apoc. III, 18, 24; Jean V, 39, 45-47; Luc X, 23, 24; XXIV, 27, 44. Mais il va sans dire qu'à mesure que le décret de salut se manifeste plus clairement, la prédiction du salut a moins d'importance. Aussi n'a-telle plus de raison d'être après Christ, tandis que le rôle de la prophétie en général n'est pas terminé.

L'ancienne apologétique a également abusé de la prédiction. Celle-ci n'a nullement pour but de fonder la foi à une révélation déjà accomplie, aussi n'a-t-elle jamais réussi ; elle ne se propose d'introduire sur le théâtre de l'histoire que de futurs organes de la révélation, soit en leur donnant conscience du rôle qu'ils sont appelés à jouer dans le grand drame, soit pour servir à les accréditer. C'est ainsi que les données prophétiques de l'Ancien Testament ont contribué à développer chez le Sauveur la conscience de sa mission; et il renvoie aussi ses contemporains aux passages qui le concernent. (Jean V,

39, 46; XIII, 18; XVII, 12; Math. XXVI, 54, 56; Luc XXII, 37; XXIV, 26, 46.) Du reste, c'est l'exégèse seule qui doit décider si et en quel sens ces passages en question de l'Ancien Testament se rapportaient au Messie.

On n'est pas très heureux en plaçant au nombre des critères extérieurs de la révélation le témoignage de ceux mêmes qui l'ont reçue. D'abord on ne met en saillie que le côté subjectif de la révélation, l'inspiration. Cette circonstance a empêché de voir la valeur subordonnée de ce critère. C'est le côté objectif de la révélation qu'il aurait fallu mettre en avant. On aurait dû se rappeler que l'inspiration est en rapport très étroit avec la manifestation historique qu'elle est appelée à expliquer. L'inspiration trouve son témoignage objectif dans la manifestation, et elle se justifie de son côté comme objective en devenant son explication convenable, adéquate. La chose éclate avec évidence chez Christ, la plus haute expression de la révélation divine. Chez lui la manifestation et l'inspiration coïncident d'une façon tellement absolue qu'il ne peut plus être question d'une inspiration tombant dans certains moments donnés. Toute sa vie étant une manifestation adéquate de Dieu, sa conscience ne cesse d'être l'inspiration absolue: voilà pourquoi la révélation de Dieu devient la réelle incarnation de Dieu en sa personne.

Tous les théologiens sont à peu près d'accord pour nier ce qu'on appelle la perfectibilité de la révélation. Dieu étant réellement devenu homme en Christ, il a été en lui aussi, absolument révélé aux hommes; on ne peut imaginer une rédemption dépassant, pour nous hommes, celle qui nous a été faite en Christ. (Héb. I, 1.) Du reste il est manifeste que notre conception de la révélation est éminemment perfectible sous le rapport théorique et pratique.

Il importe qu'en s'occupant de la doctrine sur la révélation, on renonce à toute préoccupation apologétique. L'existence d'une révélation ne saurait se démontrer; elle n'existe que pour la foi. A toutes ces preuves externes doit venir s'ajouter l'expérience personnelle sous peine de ne jamais àrriver à la vraie foi. Comment se convaincre de la vérité et de la sainteté de l'Evangile lorsqu'on l'aborde avec de fausses notions, païen

nes ou juives, sur ce qui est vrai et saint? Or ce n'est qu'au contact de la révélation que peut s'éveiller en nous le sens du vrai, du saint et l'amour pour eux. En proportion où la révélation réveille nos besoins religieux nous acquérons aussi conscience de sa divinité.

III

LA SAINTE ÉCRITURE.

La révélation devant préparer historiquement la rédemption et devenir historique, ne peut être un simple météore; il faut qu'elle devienne d'abord et qu'elle se fixe ensuite au moyen d'un document authentique. Hors de ces conditions-là la révélation ne saurait atteindre son but. Il faut de plus que dès son apparition elle soit bien comprise pour l'essentiel. Nous ne disous pas d'une manière absolue, pure et complète, car l'humanité pécheresse à laquelle elle est destinée ne peut s'élever là que lentement, péniblement, graduellement. C'est un nouvel argument en faveur d'un document authentique qui permette de contempler les détails dans l'ensemble, et qui nous fasse autant que possible vivre dans le milieu où la révélation a primitivement pris naissance. Il faut qu'elle produise sur tout notre être, intelligence, volonté, les mêmes impressions qu'elle a produites sur ceux qui l'ont reçue pour la première fois. Tout cela ne peut avoir lieu qu'au moyen d'un document qui soit lui-même partie intégrante des faits qu'il relate; qui nous fasse sentir de toutes parts les saintes et vivifiantes influences d'un monde supérieur où règnent les puissances surnaturelles, la présence immédiate de Dieu et du ciel. Comme il s'agit non d'enseignement religieux ou de dogmes, mais de piété chrétienne, il faut que nous vivions et respirions dans le milieu où elle a pris naissance. C'est à ces divers besoins que la sainte Ecriture est appelée à répondre. Sa mission lui confère la plus haute position et la plus grande importance d'abord après la révélation, avec laquelle, comme nous l'avons déjà vu, il im

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