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croire nos yeux, nous autres vieux, quand nous nous rappelons ce qui se passait il y a trente ans. Au rationalisme antidogmatique a succédé une tendance en tout contraire. Le danger du jour n'est plus l'engouement contre, mais pour les doctrines orthodoxes. Et toutefois, plus que jamais, la simple délicatesse de conscience de l'honnête homme réclame impérieusement dans ce domaine une révision sévère, impartiale. A quoi aboutira à la longue la fière assurance avec laquelle on déclare depuis longtemps réfutées toutes les objections que ce XVIIIe siècle allemand si mal famé (les futurs siècles de foi seront plus équi tables à son endroit) a déjà proclamées sur les toits contre les principaux dogmes, et cela d'une manière pleinement irréfutable, même aux yeux d'un nombre infini de chrétiens éclairés croyant en Jésus-Christ? Bien loin de servir la cause évangélique ces allures hautaines n'aboutiront qu'à la décrier aux yeux de tous les hommes sérieux et réfléchis, honnêtes et consciencieux. Il est une chose que l'homme bien disposé en faveur du christianisme doit répudier avant tout, la peur, ce n'est pas en effet la foi qui a peur mais la seule incrédulité, -- la peur de la vérité et de la critique. Que nul ne s'inquiète ! Une critique portant sur les dogmes ne saurait atteindre ni Christ luimême, ni notre foi, ni notre piété évangélique. Ne savons-nous pas, et ce traité pourra contribuer à mettre le fait dans tout son jour, quel long chemin il y a de notre foi en Christ, de notre piété chrétienne aux dogmes de l'église? D'après les enseignements exprès de notre église, les dogmes ne sont pas la Parole de Dieu, mais une œuvre humaine, le fruit des travaux des savants. Ils ne peuvent marcher de pair avec l'Ecriture; mais la science, elle, peut être mise avec eux sur le pied d'égalité et la science ancienne doit être pleine de respect pour la science moderne.

Je n'ignore pas qu'il est aujourd'hui de mode de traiter les dogmes tout autrement, et mon intention ne saurait être de m'en prendre à la méthode régnante. Je n'en veux qu'à cette dogmatique qui, ne s'inquiétant pas du dogme orthodoxe, se borne à exposer ses propres idées entrelacées dans certains éléments empruntés arbitrairement à l'Ecriture. Il serait temps

de renoncer à appeler de tels ouvrages des dogmatiques; il serait aisé de trouver un nom plus approprié. Je ne puis non plus me défendre de fortes objections contre la méthode de Philippi qui, à l'occasion de chaque doctrine, fait parler d'abord la raison du dogmaticien éclairée par la révélation, puis la doctrine officielle, et enfin la Parole de Dieu. Quand il s'agit de la doctrine de l'Eglise, il est contre nature et anti-dogmatique d'emprunter le texte non pas à l'église elle-même, mais à la raison individuelle, tandis que c'est ensuite la doctrine officielle qui vient présenter les preuves en faveur des opinions mises en avant par le dogmaticien. Je ne conteste au contraire nullement les droits de ceux qui, partant des enseignements scripturaires, suivent leur développement à travers l'histoire des dogmes jusqu'au moment où ils deviennent doctrine officielle, et font ensuite la critique, soit de cette dernière, soit du tout. C'est toutefois accorder une trop grande place à l'histoire des dogmes dans la dogmatique, et je ne puis accepter la position qui est faite à l'Ecriture. Pour procéder ainsi il faut partir de l'hypothèse que le dogme est la conséquence directe, intérieure, nécessaire de l'enseignement scripturaire. Toute science doit prendre pour point de départ l'objet dont elle s'occupe: la dogmatique doit donc partir des dogmes.

Une dogmatique rédigée dans ces idées ne serait pas, comme on paraît le craindre, un pur et sec arsenal de formules, dépourvues de toute portée critique. Sans prétendre être une discipline spéculative, elle aurait quelque rapport avec la spéculation, bien qu'elle ne remplacât pas la spéculation proprement dite. Tout en maintenant des relations intimes avec la théologie spéculative on éviterait tout mélange. J'accorde sans peine que celui qui n'aura pas de théologie spéculative classera autrement les matériaux. Je ne me cache pas non plus qu'une dogmatique faite dans mon esprit, ne placerait pas l'élément dogmatique aussi haut qu'on le fait ordinairement. Sa mission pratique consisterait non pas à restaurer ou à améliorer les doctrines, mais à débarrasser la conscience chrétienne, bien entendu en sauvegardant son intégrité, des formes dogmatiques qui l'enchaînent. En effet, tandis qu'autrefois les dogmes ont été réelle

ment un point d'appui, aujourd'hui ils sont pour un nombre infini d'hommes d'entre les meilleurs un danger constant de scandale. La cuirasse de la dogmatique ou de la théologie en général ne saurait en rien protéger une piété chrétienne sortie du milieu de nos circonstances actuelles : elle ne peut que gêner chacun de ses pas. L'homme, et tel est mon cas, qui a fait les expériences religieuses pratiques avant d'avoir connu exactement les dogmes qu'on a fondés sur elles, et qui est par conséquent devenu croyant indépendamment de ces dogmes, celui-là ne sera pas étonné de la chose. Il est nécessairement contraint de prendre, en face d'une dogmatique quelconque, l'attitude à tous égards la plus libre. Mais tout homme qui réfléchit ne manquera pas de se dire que le but suprême de Dieu, en nous donnant le christianisme, n'a pas été la formation d'une dogmatique. Quand la foi chrétienne dominera, et quiconque croit en Christ compte bien que la chose aura lieu un jour, le règne des dogmes sera passé. Il n'y a dogme en effet que lorsque la vérité n'est pas devenue une chose se comprenant de soi, une connaissance rationnelle évidente pour tous. Lorsque l'Evangile aura pris ce caractère (pour que la rédemption de l'humanité devienne complète il faudra que l'Evangile devienne parfaitement rationnel), la sanction ecclésiastique sera sans but et sans portée; elle arriverait trop tard pour entreprendre un travail déjà achevé.

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II

La révélation.

Force nous est donc de faire précéder la dogmatique d'une bibliologie. Il faut bien que je m'explique avec le lecteur-sur ce qui concerne la révélation et l'Ecriture, car il y a déjà longtemps qu'on ne s'entend plus là-dessus, et rien n'autorise à croire qu'on arrive à s'entendre de sitôt.

Il est aujourd'hui admis de tous qu'il faut distinguer entre la révélation et l'Ecriture. Ce n'est pas ainsi qu'on entendait au

trefois les choses. La notion de révélation était complétement laissée dans l'ombre par celle de l'Ecriture. Tout en les distinguant abstraitement, on arrivait dans la pratique à les confondre et à les identifier. La Bible, il est vrai, n'était que la revelatio divina mediata, mais celle-là intéressait seule; personne n'avait la pensée qu'il pût y avoir entre la révélation et l'Ecriture autre chose qu'une simple différence formelle.

Partant constamment de l'hypothèse que la révélation est la communication surnaturelle d'une doctrine religieuse, on pensait tout de suite à l'inspiration des écrits sacrés dans lesquels nous puisons aujourd'hui cette doctrine. Par révélation divine immédiate on entendait simplement l'inspiration, l'illumination des organes de la révélation; on la faisait consister en ceci Spiritus sanctus prophetis et apostolis conceptus rerum et verborum de dogmatibus fidei et moribus suggessit. Du moment où ils font abstraction du procédé surnaturel par lequel l'Ecriture doit avoir été formée, ces dogmaticiens ne peuvent avoir aucune idée claire et juste de la révélation. La question en était là lorsque la théologie moderne est intervenue. Un de ses plus précieux bienfaits est d'avoir conquis définitivement la distinction entre la révélation et la Bible.

Ce qui préoccupa avant tout les anciens dogmaticiens ce fut de savoir dans quel rapport la connaissance religieuse, déjà existante en fait et indépendamment de celle que la révélation communiquait d'une manière surnaturelle, se trouvait avec celle-ci. On distingue entre revelatio generalis ou naturalis ou aussi late dicta, d'une part, et revelatio specialis, supernaturalis, stricte dicta, d'autre part. A cet égard l'ancienne théologie ne nous a laissé rien à faire. On pourrait difficilement améliorer même le détail de ses développements. Toutes les confusions dans lesquelles on tombe encore aujourd'hui quand il s'agit de régler les rapports entre la raison et la révélation spéciale ont été déjà écartées. On se représente la raison humaine comme toujours en formation, comme devenant incessamment; notre conscience empirique, ce recruteur ignorant et boiteux, n'est pas confondue, comme cela n'arrive que trop souvent, avec la raison humaine elle-même. Ce devenir constant de la raison hu

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maine elle l'exprime avec bonheur par l'idée de nouvelle nais

sance.

On ne saurait en vouloir à l'ancienne dogmatique de considérer la raison avec défiance. Que ne comprend-on pas en effet sous ce nom! Rien de plus précieux que la raison, sa notion n'admet rien de supérieur. Si seulement on la possédait ! mais ce n'est le cas de personne. La raison n'est pour nous mortels qu'un idéal à réaliser; elle ne se trouve jamais de fait complète chez personne, à l'exception d'un seul, comme la liberté. L'homme est raisonnable, a de la raison, signifie simplement.: il peut penser. Il n'a de raison que dans la mesure où il peut réellement penser. Et qui peut le faire autrement que d'une manière très relative? Il y a divers degrés dans la faculté de penser. Il faut en effet apprendre cet art lentement et péniblement. L'ancienne théologie aurait donc pu être compatible avec le rationalisme si celui-ci n'avait pas prétendu être autre chose et plus que ne dit son nom. Il n'y aurait pas eu lieu alors à l'antithèse avec le supranaturalisme. Il n'y a rien à dire non plus contre l'ancienne distinction entre vérités supra rationem et contra rationem. Les mystères révélés peuvent être supra sans être contra rationem. La vérité étant un fait toujours relatif et empi. rique, une raison révélée peut être ainsi au-dessus de la raison empirique, c'est-à-dire relative, sans être au-dessus de la raison effective, définitive, c'est-à-dire absolue, ce qui serait évidemment inconcevable.

Malheureusement la pratique n'a pas toujours été conforme à la théorie. En dépit de l'axiome fondamental, on n'est pas au clair. On le voit assez par la distinction qu'on cherche à établir entre un usage formel et un usage matériel de la raison, deux choses qui, dans le monde concret, ne peuvent se distinguer; par l'assertion qu'abandonnée à elle-même la raison serait incompétente dans les questions religieuses, tout en conservant ses droits dans les choses terrestres. Cette distinction ne saurait être admise quand on se rend bien compte du vrai rapport entre les choses célestes (la religion) et les choses terrestres (la morale).

Tout le mal vient ici de ce qu'il y a de défectueux dans la

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