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culper le protestantisme de tout reproche de dualisme, en le ramenant à un seul principe. Sans nier le rapport intime des deux principes, il paraît bien difficile de ne pas donner le pas au contenu sur le contenant. A elle seule l'autorité de l'Ecriture est insuffisante; on n'est pas plutôt touché, au contraire, par la valeur intrinsèque du contenu qu'aussitôt le contenant se trouve revêtu d'un prix tout nouveau. La réciproque est loin d'être vraie : la foi la plus complète et la plus absolue en l'Ecriture peut rester longtemps stérile. Ce fait semble donner un prix tout particulier, une certaine préséance au principe matériel. Quoi qu'il en soit, l'ancienne théologie en est bientôt venue à exagérer la valeur du principe formel, en tombant dans toutes les aberrations qu'entraîne le littéralisme né d'un besoin excessif d'autorité extérieure, tandis que la théologie moderne s'est attachée à relever le principe matériel, en lui reconnaissant une valeur supérieure. Rothe lui-même, qui prétend placer les deux principes sur le pied d'une égalité parfaite et n'en faire qu'un seul, semble infidèle à sa thèse. Il s'élève en effet contre l'usage de faire précéder la dogmatique d'une bibliologie ou d'un article sur les sources de la connaissance religieuse. C'est supposer que la piété est primitivement une connaissance des objets religieux qui doit pénétrer du dehors en l'homme sous forme d'enseignement. « Cette ancienne tractation, dit Rothe, n'est pas seulement inadmissible au point de vue scientifique, elle implique une manière fausse de comprendre les rapports de la piété évangélique et de la Bible. Twesten a dit excellemment : « On ne saurait soutenir que la foi à la sainte Ecriture soit pour la conscience chrétienne le fondement de toutes les autres convictions. » Il faudrait alors, ajoute Rothe, « que la conscience chrétienne eût cessé d'être aujourd'hui ce qu'elle était quand le Nouveau Testament fut composé et même à l'époque de la réformation. Bien loin, en effet, d'être présentée comme fondamentale par les confessions de foi du XVIe siècle, la doctrine de l'Ecriture n'y est traitée qu'en passant. Elle est plutôt à son tour une partie constitutive des convictions chrétiennes, qui est autant soutenue par elles qu'elle contribue à son tour à les soutenir. Il est parfaitement certain

que dans le sein du protestantisme évangélique la sainte Ecriture est un moyen essentiel pour faire naître la foi en Christ. Toutefois, aucun chrétien évangélique ne pourra dire qu'il ait été amené personnellement à la foi en Christ par la croyance en l'autorité de la Bible et que par conséquent celle-ci soit la base de l'autre et doive passer avant elle. Bien au contraire, quiconque se comprend lui-même reconnaîtra qu'il est parvenu en une fois et à la fois à croire au Sauveur et à la Bible, autant qu'il peut être question d'une croyance en l'Ecriture. » (Pag. 2.)

Il nous paraît impossible qu'il n'y ait pas ici quelque confusion. Tout à l'heure, en effet, Rothe mettait le principe formel sur le même pied que le principe matériel et prétendait les ramener à un seul. Il déclare maintenant que le fidèle parvient en une fois et à la fois à croire au Sauveur et à la Bible. N'est-ce pas reconnaître que la Bible demeure un simple document historique aussi longtemps que le contenu n'a pas produit ses effets efficaces sur le cœur ou qu'on ne croit à l'autorité de la Bible que du moment où l'on croit à Jésus-Christ? C'est donc subordonner, dans une certaine mesure, le principe formel au principe matériel.

C'est encore là ce que fait Rothe lorsqu'il proteste contre la méthode des supranaturalistes modernes (les anciens théologiens ne sont pas tombés dans cette erreur) qui, en plaçant la bibliologie en tête de la dogmatique, ont l'air de supposer que la vraie foi du chrétien peut être démontrée par une simple opération intellectuelle, à l'usage des experts dans ce genre d'exercice! En procédant ainsi on méconnait entièrement la nature de la foi religieuse. «Rappelons à ce propos, ajoute Rothe, une remarque de Twesten: « Celui qui s'imagine pouvoir établir, au moyen de preuves purement intellectuelles, que Dieu s'est révélé, que cette révélation est consignée dans l'Ecriture de sorte que cette démonstration et la doctrine qu'elle établit ne sont pas seulement indépendantes de la foi chrétienne, mais la légitiment et la prouvent, méconnaît la nature de la foi et celle de la dogmatique. La foi, en effet, ne saurait naître de cette façon-là, et la mission de la dogma

tique n'est pas d'élever par la méthode démonstrative un édifice de principes purement théoriques, pouvant tenir la place de la foi, mais d'exposer celle-ci d'une manière scientifique. » Aussi longtemps, dit Dorner, qu'on considère la foi en l'inspiration et en la divine autorité de l'Ecriture comme le premier pas dans la voie de la piété chrétienne, sans lequel il est impossible d'aller plus loin, et qu'on prétend que la foi réclamée par le christianisme est identique avec la foi en l'inspiration, on est condamné à voir poindre avec terreur et effroi chaque nouvelle critique du canon traditionnel de l'église. On n'est pas dans la disposition d'esprit convenable pour aborder avec calme les recherches historico-critiques, ni pour les examiner avec cette impartialité qui ne se préoccupe que de la vérité. Sans s'en douter on laisse à l'autorité de l'église le soin de décider en dernier ressort on perd le droit de retrancher les apocryphes.

<< On court également le danger de fonder le christianisme sur les raisonnements de la sagesse humaine qui ne peuvent établir que la vraisemblance et jamais une certitude complète. On risque de ne plus considérer le christianisme comme une harmonie de l'esprit et de la vie, qui, éminemment historique, se rajeunit à chaque génération, pour en faire soit une histoire appartenant entièrement au passé et morte, sans aucune liaison intime avec le présent; soit un système d'éternelles vérités sans vie aucune, auxquelles nous devons soumettre notre foi, notre conduite, notre volonté sur le témoignage de messagers divins, dont la mission est dûment paraphée. Mais cela s'appelle nous ramener sur le terrain de la loi, éterniser cette économie et affirmer que rien ne saurait la dépasser. Quel est en effet le signe de la servitude? C'est de ne pas reconnaître la vérité comme vérité, de la faire dépendre de témoignages purement humains et d'autorités extérieures, au lieu de se laisser convaincre par la puissance intérieure de la vérité et par sa connaissance qui rend libre. (Jean VIII, 37; XIV, 26. ) Notre théologie moderne a conservé une grande égalité d'esprit au plus fort du danger que faisaient courir à la foi les entreprises de la critique. Savez-vous l'explication de ce mystère ? C'est qu'elle

sait à merveille que la foi en l'inspiration du canon traditionnel n'est pas la condition, le premier pas indispensable dans la voie qui conduit à croire à Christ; que cette foi en l'Ecriture n'implique pas la foi chrétienne; qu'elle ne suffit pas à l'établir. Enfin la théologie moderne sait aussi que le développement de la vie religieuse, morale, réelle et non pas exclusivement intellectuelle, ne manque pas de conduire celui qui s'y est confié avec droiture et persévérance, non-seulement à Christ, mais aussi à reconnaître l'autorité normative et divine des documents de la révélation. C'est là tout ce qu'il faut, et à l'individu et à l'église. L'autorité normative de la sainte Ecriture obtient ainsi un beaucoup plus haut degré de certitude que celle que pourrait lui conférer la théorie la plus développée de l'idée alexandrine de l'inspiration. Mais cette certitude de l'autorité de la sainte Ecriture nous la puisons aussi dans l'autorité de Christ, après que sa puissance rédemptrice et sa dignité nous sont devenues par la foi choses certaines. Le contraire n'a pas lieu nous ne possédons pas Christ en vertu d'une autorité divine, vraie, certaine de l'Ecriture. La parole de Dieu ne nous a pas été donnée pour nous séparer de Christ, pour le supplanter lui et son esprit. Si la communion avec l'Ecriture devait tenir la place de celle de Christ, on la traiterait d'une manière superstitieuse, on pécherait contre Christ qui est le Seigneur et le Maître de l'Ecriture; d'autre part contre l'Ecriture elle-même, dont l'unique but est de nous conduire à lui. »

On le voit, Rothe est loin de partager les illusions des hommes qui parmi nous se croient les représentants de l'ancienne théologie, parce que tombant dans un supranaturalisme excessif, ils prétendent tout faire reposer sur l'autorité de l'Ecriture comprise d'une façon tout à fait extérieure. La certitude de l'autorité de la sainte Ecriture se puise pour lui dans l'autorité de Christ, « après que sa puissance rédemptrice et sa dignité nous sont devenues par la foi choses certaines. Le contraire n'a pas lieu; nous ne possédons pas Christ en vertu d'une autorité divine, vraie, certaine de l'Ecriture. » On ne peut subordonner plus expressément le principe formel au principe matériel. Si la moindre hésitation était encore possible, il suf

firait de rappeler que Rothe loue fortement Schleiermacher de nous avoir enseigné ce que nous n'oublierons plus, savoir: que la religion subjective est la première. (Pag. 1 et 2, Introduction.)

Un des plus importants dissentiments entre la théologie ancienne et la théologie moderne porte sur la manière de concevoir l'Ecriture et la révélation. Cette dernière notion avait fini par être oubliée pour être confondue avec celle de l'Ecriture et celle-ci était devenue l'expression adéquate de la révélation. Les anciens théologiens ont eu le mérite de trancher d'une manière assez heureuse, en théorie du moins, tout ce qui concerne les rapports entre la raison et la révélation spéciale. Malheureusement, guidés en ceci par une fausse notion de la religion, ils ont vu avant tout dans la révélation la communication de connaissances s'adressant à l'entendement, sous la forme d'enseignements didactiques, d'une manière immédiate et par une inspiration mécanique. La théologie moderne, après avoir sondé les Ecritures, a établi, au contraire, qu'elles nous présentent la révélation « comme une série continue et organique de faits et d'institutions historiques, auxquelles se rattachent, dans un milieu déterminé, des illuminations surnaturelles des prophètes sous les formes les plus diverses: visions, discours intérieurs par l'esprit de Dieu, moins en vue de communiquer de nouvelles connaissances religieuses, que pour annoncer à l'avance certains événements historiques. » (Pag. 24, Introd.)

L'activité divine qui révèle n'est plus alors qu'une forme spéciale de l'activité rédemptrice, en vue de préparer la rédemption, de la rendre historiquement possible. La révélation consiste en une purification, en un affermissement de la conscience religieuse, effectué d'une manière surnaturelle par Dieu.

C'est surtout quand il s'agit de déterminer comment Dieu purifie et fortifie la conscience que les hommes ont de lui, que la différence fondamentale entre les deux théologies éclate dans tout son jour. D'après les anciens théologiens fidèles, encore ici à leur notion intellectuelle de la religion et de la révélation, le rapport entre Dieu et l'homme serait exclusivement méca

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