Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cle

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1893

Uroits de traduction et de reproduction réservés.

LA FONTAINE

PREMIÈRE PARTIE

L'HOMME

CHAPITRE I

LA JEUNESSE DE LA FONTAINE

(1621-1657)

Les amateurs de peinture connaissent tous une délicieuse esquisse de Corot, Château-Thierry. Sur la droite, une route qui monte, en tournant, vers un château ruiné; à gauche, en contre-bas, les clochers aigus, les toitures irrégulières, les cheminées fumantes d'une petite ville; au fond, à travers des files espacées de peupliers minces, un horizon prochain de plaines légèrement ondulées. Souvenirs confus du passé, familiarités d'une vie paisible dans un milieu bourgeois, voisinage attrayant d'une campagne propice aux lentes promenades, se groupent doucement sur la toile, comme dans la réalité, et s'y

laissent embrasser d'un coup d'œil. C'est dans ce modeste coin de terre champenoise que naquit notre poète le plus populaire et sous l'action prolongée de ce milieu provincial que se forma son génie. Le paysage est finement pittoresque, sans surprises d'ailleurs, ni grands accidents, suffisamment varié pour n'être point monotone, ni trop peuplé, ni trop désert, un paysage aimable et accueillant, tout français et de la vieille France, bien fait pour ravir, à distance, les deux âmes fraternelles du bonhomme La Fontaine et du bonhomme Corot. Tous deux furent, en effet, des poètes naïfs et profonds, des rêveurs incorrigibles, des flâneurs infatigables, tous deux, l'un sous sa perruque mal peignée, l'autre sous son béret de travers, restèrent, jusqu'à la fin, par la vigueur de leur complexion, la liberté de leurs allures, la finesse de leurs observations, des demicampagnards et presque des paysans, alors même qu'ils semblaient avoir pris, à la ville, dans le commerce du monde, tout ce que ce commerce peut donner, à des esprits avisés, de culture variée, d'expérience délicate, de tolérance bienveillante. La note humaine, vive et rapide, ne manque pas plus dans la description du peintre que dans celle du poète, son prédécesseur. La vieille femme, rencontrée par Corot, qui s'arrête, succombant sous le poids d'un gros sac, sur la montée du château, par une grise matinée d'automne, c'est la petite-fille du « pauvre paysan, tout couvert de ramée » qui haleta, lui aussi, il y a deux siècles, à cette place.

Au pied même de la pente que La Fontaine gravit si souvent pour aller chez les seigneurs du lieu, le comte et la comtesse de Bouillon, se trouve encore la maison où il naquit le 8 juillet 1621. Logis bourgeois, modeste et commode, entre cour et jardin, construit au xvie siècle, où, dans la sobre élégance du décor, l'esprit de la Renaissance parlait aux enfants de M. Charles de la Fontaine, conseiller du roi, maître des eaux et forêts, capitaine des chasses au duché de Château-Thierry, et de Mme Françoise Pidoux, son épouse. L'un descendait d'une famille de marchands drapiers fixée depuis longtemps dans le pays; l'autre, sœur d'un bailli de Coulommiers, sortait d'une forte race, dont les grands nez et la longévité étaient également célèbres. Aucun titre de noblesse, d'ailleurs, bien qu'on s'y laissât parfois donner, par mégarde, de « M. l'Écuyer », ce dont notre Jean eut à se repentir, lorsqu'on lui infligea, en 1661, une amende de 2000 livres pour s'être attribué cette qualité dans des actes qu'il n'avait pas lus. C'était le père de Charles, Jean, qui avait acheté cette charge de maître des eaux et forêts, dont son petit-fils et filleul devait hériter à son tour.

Parents forestiers et chasseurs, grands mangeurs, francs buveurs, gais compagnons! On peut s'imaginer que l'école fréquentée par le petit Jean, avec sa demi-sœur, Anne de Jouy, et son frère puîné, Claude, fut surtout l'école buissonnière et qu'une bonne partie de leur enfance se passa en courses et prome

« PreviousContinue »