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que livraison, UN OU DEUX CHAPITRES COMPLETS, nous nous sommes empressés d'adopter ce mode de publication.

Jaloux de tenir religieusement ses promesses, l'éditeur s'engage à donner gratis aux souscripteurs toutes les livraisons qui excéderaient le nombre annoncé dans ce prospectus.

Conditions de la Souscription.

La Grande Ville formera deux beaux volumes in-8°, papier jésus vélin, ornés de dessins gravés par Andrew, Best et Leloir, et intercalés dans le texte. L'ouvrage sera divisé en cinquante-deux livraisons de seize pages et quatre à six dessins.

PRIX DE CHAQUE LIVRAISON 40 CENTIMES.

Il paraîtra une livraison tous les Samedis, à partir du 16 avril 1842.

Les Souscripteurs de Paris qui paieront treize livraisons d'avance, les recevront franco à domicile.

Les Souscripteurs des départements qui enverront un mandat sur la poste, de 12 fr. 50 c., prix du premier volume (26 livraisons), recevront ces livraisons au fur et à mesure de leur publication.

On souscrit à Paris

Chez VICTOR MAGEN, ÉDITEUR, 21, quai des Augustins.

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ÉCRIVAINS

MORALISTES

DE LA FRANCE.

IX.

MADAME DE RÉMUSAT.

J'ai toujours eu un grand faible pour les auteurs qui le sont sans qu'on s'en doute. On vit dans le monde à côté d'eux; on goûte leur esprit; on joue avec le sien en leur présence; on est à cent lieues de penser à l'homme de lettres, à la femme de lettres, à l'auteur, et en effet rien n'y ressemble moins. Mais, un jour, un été, à une certaine saison d'ennui, après les années brillantes, cette personne, à la campagne, prend une plume, et trace, sans but arrêté d'abord, un roman ou des souvenirs pour elle, pour elle seule, ou même seulement ce sont des lettres un peu longues qu'elle écrit à des amis sans y trop

TOME XXX.

15 JUIN 1842.

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songer; et dans cinquante ans, quand tous seront morts, quand on ne lira plus l'homme de lettres de profession à la mode en son temps, et que ses trente volumes de couleur passée iront lourdement s'ensevelir dans les catalogues funèbres, l'humble et spirituelle femme sera lue, sera goûtée encore presque autant que par nous contemporains; on la connaîtra, on l'aimera pour sa nette et vive parole, et elle sera devenue l'un des ornemens gracieux et durables de cette littérature à laquelle elle ne semblait point penser, non plus que vous près d'elle. Les exemples à citer de ce genre de fortune ne manqueraient pas dans le passé, et l'avenir, il faut l'espérer, en réserve quelques-uns encore. Tout désormais ne sera pas réglé en profession, et l'imprévu saura trouver ses retours. Dans cette rare et fine lignée des Sévigné ou des Motteville, Mme de Rémusat tiendrait bien sa place; elle l'aura surtout du jour où les Mémoires qu'elle a laissés sur l'empire pourront être publiés. En attendant, nous avons droit de la revendiquer ici comme l'auteur d'un excellent Essai sur l'Éducation des Femmes, qu'on vient de réimprimer (1). Mais notre coup d'œil ne se bornera pas au livre, la personne nous attirera bien plus avant; et ce sera notre plaisir, notre honneur d'introduire quelques lecteurs, de ceux même qui se souviennent d'elle, comme de ceux qui ont tout à en connaître, dans l'intimité d'un noble esprit qu'une confiance amicale nous a permis à loisir de pénétrer. Parler d'elle dignement et en toute nuance semblerait sans doute à bien des égards la tâche toute naturelle et facile d'une autre plume aussi délicate que sérieuse, si la pudeur filiale n'était pas la première des délicatesses.

Claire-Élisabeth Gravier de Vergennes naquit à Paris, en 1780. Elle était petite-nièce du ministre de Louis XVI. Son père, maître des requêtes, avait été intendant à Auch, et occupait à Paris, au moment de la révolution, une place importante, quelque chose comme une direction générale; il fit partie en 89 de l'administration de la commune de Paris, mais fut très vite dépassé : il périt en 94 sur l'échafaud. Sa veuve (Mlle de Bastard), qui exerça une grande influence sur l'éducation de ses filles, était une femme de mérite, d'un esprit original, gai, piquant et très sensé. Fortement marquée de l'expérience de son siècle, elle paraît avoir été douée de cette supériorité de caractère et de vue qui, saisissant la vie telle qu'elle est, la domine et sait la refaire aux autres telle qu'elle devrait

(1) Bibliothèque Charpentier, rue de Seine, 29.

être. Me de Vergennes éleva gravement et même sévèrement ses deux filles, en idée des conditions nouvelles qu'elle prévoyait dans la société. La ruine soudaine de crédit qui s'était fait sentir au sein de la famille à la mort de l'oncle ministre (1787) avait été pour elle une première leçon, et qui ne l'étonna point: elle savait de bonne heure son La Bruyère. La révolution la trouva très en méfiance, elle eût été d'avis de quitter la France avant les extrémités funestes; mais, son mari n'y ayant pas consenti, elle ne s'occupa plus que d'y tenir bon, de faire face aux malheurs, et, au lendemain des désastres, de sauver l'avenir de sa jeune famille.

Le berceau de Mme de Rémusat est donc bien posé; ces circonstances premières et décisives, qui environnent l'enfance, vont y introduire et y développer les germes prudens qui grandiront. Du milieu social où elle naquit, comme de celui où se forma son aînée, Mile Pauline de Meulan, on peut dire (et je m'appuie ici pour plus de facilité sur des paroles sûres) que « c'était une de ces familles de hauts fonctionnaires et de bonne compagnie, qui, sans faire précisément partie ni de la société aristocratique, ni même de la société philosophique, y entraient par beaucoup de points et tenaient du mouvement du siècle, bien qu'avec modération, à peu près comme en politique M. de Vergennes, qui contribua à la révolution d'Amérique, fut collègue de Turgot et de M. Necker, et prépara la révolution française, sans être philosophe ni novateur. »

Protégée et abritée jusqu'au sortir des plus affreux malheurs sous l'aile de son excellente mère, la jeune Clary, dans une profonde retraite de campagne, prolongeait, près de sa sœur cadette (1), une enfance paisible, unie, studieuse, et abordait sans trouble la tendre jeunesse, ne cessant d'amasser chaque jour ce fonds inappréciable d'une ame sainement sensible et finement solide telle la nature l'avait fait naître, telle une éducation lente et continue la sut affermir. Sa physionomie même et la forme de ses traits exprimaient, accusaient un peu fortement peut-être ce sérieux intérieur dans les goûts qu'il ne faudrait pourtant pas exagérer, et qui ne sortait pas des limites de son âge. Sa figure régulière s'animait surtout par l'expression de très beaux yeux noirs; le reste, sans frapper d'abord, gagnait plutôt à être remarqué, et toute la personne paraissait mieux à mesure qu'on la regardait davantage. Elle devait ob

(1) Aujourd'hui Mme la comtesse de Nansouty.

server dès-lors cette simplicité de mise à laquelle elle revint toujours dès qu'elle le put, et qui n'était jamais moins qu'une négligence décente. Je ne sais si, comme plus tard, ses cheveux volontiers ramenés voilaient le front, qui aurait eu son éclat.

Mariée dès seize ans, et par affection, à M. de Rémusat, ancien magistrat de cour souveraine (1), elle trouva en cet époux du double de son âge un guide instruit, un ami sûr, et entre sa mère, sa sœur et lui, durant les premières années de son mariage, elle continua sa vie de retraite, de bonheur caché et de culture intérieure. Quelques citations d'Horace, qui lui sont échappées, me montrent même que, comme Mme de La Fayette, comme Mme de Sévigné, elle sut le latin : elle l'apprit, durant ces saisons de calme loisir, par les soins de son mari, et près du berceau de son fils; car elle était mère à dix-sept ans. Ainsi tout concourait à accomplir en elle son sens délicat et ce que j'appellerai sa justesse ornée. La vallée de Montmorency était l'heureux enclos; on habitait Saint-Gratien d'abord, qu'on ne quitta que pour Sannois. Je trouve, dans des papiers et des notes d'un temps un peu postérieur, l'expression et le regret de son bonheur si complet d'alors, auprès d'une mère qu'elle ne devait pas long-temps posséder: << Il me semble la voir encore (écrivait-elle pour son fils) dans cette <<< petite maison que vous vous rappellerez peut-être. Mon imagination << me la représente au milieu de nous, travaillant à quelque ouvrage <<< destiné à l'une de ses filles, égayant nos soirées par sa conversa<<< tion si piquante et si variée, tantôt racontant, avec une originalité <<< qui lui était particulière, mille histoires plaisantes, ou qui nous le a paraissaient, parce qu'elle leur prêtait un charme qu'elle seule << savait donner, tantôt animant la société par une discussion sérieuse << qu'elle savait de même, et selon la convenance, ou prolonger « avec intérêt, ou terminer avec saillie. Du milieu de cette foule de <«< bonnes plaisanteries qui lui échappaient sans cesse, jaillissaient <<< encore des réflexions fortes et profondes, que son bon goût avait << soin de revêtir toujours d'une sorte de couleur féminine... » Sans trop m'arrêter sur cet ancien portrait de famille placé aux origines de notre sujet, et qui le domine du fond, sans prétendre non plus pénétrer dans le mystère de la transmission des esprits, ne semblet-il donc pas, presque à la première vue, que de si amples et si vives qualités maternelles aient suffi à se partager dans sa descen

(1) Avocat-général à la Cour des aides de Provence.

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