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LETTRES

DE

LA REINE DE NAVARRE.'

La correspondance de Marguerite de Valois, que vient de publier M. Génin, commence en 1521 et s'étend jusqu'en 1549, c'est-à-dire deux ans après la mort de François Ier. Elle comprend donc en partie le temps des guerres d'Italie et des progrès du protestantisme en France, deux questions alors pendantes qui, à côté de détails privés, viennent souvent figurer d'une façon indirecte dans les Lettres, et qui approchaient d'une péripétie, l'une par un traité malencontreux, l'autre par les persécutions. François Ier aurait difficilement consenti à finir les guerres d'Italie par le traité de Cateau-Cambresis, et Marguerite, sa sœur, eût fait effort pour amortir les persécutions religieuses et la résistance qui devait suivre.

Les grandes guerres d'Italie, entamées follement sans doute, furent encore plus follement terminées; sans aucune nécessité, en pleine possession de la Savoie et d'une partie de la haute Italie, le gouvernement français fit à l'Espagne des concessions que des revers con

(1) Un vol. in-8°, chez Jules Renouard, rue de Tournon.

sidérables n'auraient pu lui arracher, renonçant même à sa frontière des Alpes, qu'à aucun prix il n'aurait dû céder, de sorte qu'après plus de soixante ans de guerres et d'efforts, après tant de sang versé, la France, par la faute de ses gouvernans, se trouva à peu près au point où elle était quand elle fut engagée dans la lutte; l'acquisition de Calais et de Metz fut le seul résultat, et encore résultat accidentel, d'une guerre aussi prolongée. Le gouvernement, dégoûté non moins soudainement de l'Italie qu'il s'en était épris, laissa s'échapper de ses mains ce qu'il était tenu de conserver, et, comme un enfant qui s'est agité pour le seul plaisir du mouvement, il se trouva satisfait d'avoir guerroyé, d'avoir saccagé des villes, livré des batailles, levé des Suisses, soudoyé des lansquenets; quant au but qu'il s'était proposé, il n'en fut plus question. Tel fut le traité de Cateau-Cambresis pour la période qu'il ferme; celle qu'il ouvre est parfaitement caractérisée par d'Aubigné, qui dit de ce traité, après en avoir rapporté les clauses: «< Voilà les conventions de la paix, en effet pour les royaumes de France et d'Espagne, en apparence de toute la chrestienté, glorieuse aux Espagnols, désavantageuse aux Français, redoutable aux réformés; car, comme toutes les difficultés qui se présentèrent au traité estoient estouffées par le désir de repurger l'église, ainsi, après la paix établie, les princes qui par elle avoient repos du dehors travaillèrent par émulation à qui traiteroit plus rudement ceux qu'on appeloit hérétiques; et de là nasquit l'ample subject de quarante ans de guerre monstrueuse. » En effet, la fin des guerres étrangères fut le commencement des guerres civiles, lesquelles, par des causes différentes, eurent une même issue, c'est-à-dire que, finies, elles laissèrent les choses là où elles étaient au point de départ. Protestans et catholiques se firent pendant plus de quarante ans une guerre d'extermination; et quand les partis se furent réciproquement épuisés, ou plutôt quand il se trouva à la tête du gouvernement un homme qui se crut non pas chef des catholiques, mais roi de France, alors intervint une transaction qui ruina les prétentions exclusives des deux partis: la France ne fut pas protestante, comme le voulaient les calvinistes, et les protestans ne furent pas exterminés, comme le voulaient les catholiques.

L'homme qui fut l'instrument de cette transaction, Henri IV, était le petit-fils de cette Marguerite dont il est ici question, et, chose singulière, son aïeule déploya durant toute sa vie, relativement aux querelles religieuses qui dès-lors commençaient à troubler la France, des dispositions bienveillantes et des sentimens élevés qui firent plus

tard la force de son petit-fils. Les hommes, protestans ou suspects de l'être, qui se recommandaient à elle par la culture des lettres, étaient sûrs d'avoir son appui contre les persécutions, appui qui ne fut pas toujours (telle était la rigueur des temps) assez puissant pour sauver du dernier supplice ceux à qui elle l'accordait. Le personnage dont il est question dans la lettre suivante, écrite par Marguerite à Anne de Montmorency, en est un exemple :

<«< Mon fils, depuis la lettre de vous par ce porteur, j'ay receu celle du baillif d'Orléans, vous merciant du plaisir que m'avés fait pour le pauvre Berquin, que j'estime aultant que si c'étoit moy-mesmes, et par cela pouvės-vous dire que vous m'avez tirée de prison, puisque j'estime le plaisir fait à moy. » Voici ce qu'était le pauvre Berquin, à qui Marguerite s'intéressait avec tant de vivacité. Berquin (Louis), gentilhomme artésien, était conseiller de François Ier; Radius l'appelle le plus savant de la noblesse. Dénoncé au parlement, en 1523, comme fauteur du lutheranisme, il refusa de se soumettre à l'abjuration à laquelle il fut condamné. Sa qualité d'homme de lettres le sauva pour cette fois. Retiré à Amiens, il se remit à imprimer, à dogmatiser et à scandaliser. Nouvelle censure de la faculté de théologie, nouvel arrêt du parlement (1526). La reine de Navarre vint à son secours par le moyen du grand-maître Anne de Montmorency. Érasme conseillait à Berquin ou de se taire ou de sortir de France, l'obstiné prêcheur ne voulut ni l'un ni l'autre. En 1529, il fut repris et condamné au feu... « Le vendredi xvre jour d'avril, mil vc xxix, après Pasques, un nommé Loys Berquin, escuier, lequel, pour son hérésie, avoit été condampné à faire amende honorable devant l'église Nostre-Dame de Paris, une torche en sa main, et illec crier merci à Dieu, à la glorieuse vierge Marie, pour aulcuns livres qu'il avoit faicts et desquels il vouloit user contre nostre foy, et d'illec mené en la place de Grève, et monté sur ung eschaffault pour monstrer le dict Berquin, afin que chascun le vist, et devant lui faire un grand feu pour brusler tous les dits livres en sa présence, afin de n'en avoir jamais nulle cognoissance ne mémoire; et puis mené dedans ung tombereau au pillory et illec tourné, et avoir la langue percée et la fleur de lys au front, et puis envoyé ès prisons de monsieur de Paris pour achever le demourant de sa vie. Et pour veoir la dicte exécution, à la sortie du dict Berquin qui estoit au Pallays, estoient plus de xx mil personnes. Et luy ainsy condampné en appela en cour de Rome et au grand conseil, par quoy par arrest de la cour du parlement, le lendemain, qui estoit samedy XVII du dict apvril, fut con

dampné à estre mis en ung tombereau et mené en Grève, et à estre bruslé. Ce qui fut faict l'an et jour dessus dict. >>

Marguerite fut plus heureuse à l'égard d'un autre de ses protégés, qu'elle recommande à Anne de Montmorency dans la lettre suivante : « Le bonhomme Fabry m'a escript qu'il s'est trouvé un peu mal à Blois, avecques ce qu'on l'a voulu fascher par de là. Et pour changer d'air, iroit voulentiers veoir ung amy sien pour ung temps, si le plaisir du roi estoit luy vouloir donner congié. Il a mis ordre en sa librairie, cotté les livres, et mis tout par inventaire, lequel il baillera à qui il plaira au roy. » Voici l'explication de ce billet: Jacques Fabry ou Lefebvre d'Étaples, après avoir visité l'Asie et l'Afrique, revint à Paris et professa la philosophie au collège du cardinal Lemoine. Des dissertations théologiques qu'il publia, et la traduction du nouveau Testament, lui attirèrent des tracasseries; on avait voulu profiter de l'absence du roi, prisonnier en Espagne, pour perdre Lefebvre d'Étaples; mais Marguerite obtint de son frère d'écrire au parlement, et sauva le suspect. Lefebvre, qui s'était réfugié dans la modeste place de bibliothécaire à Blois, sollicita son congé, comme on le voit ici, par l'entremise de sa protectrice. La visite à ung amy sien n'est qu'un prétexte; il s'en alla à Nérac, où il acheva tranquillement sa vie à l'âge de quatre-vingt-onze ans, en 1536.

L'appui que Marguerite donnait aux personnes suspectes ou convaincues de ce qu'on appelait hérésie, jetait du doute sur sa propre orthodoxie. On l'accusa de partager les opinions du protestantisme, et, si elle n'avait pas été aussi haut placée, elle eût payé cher le zèle qu'elle mettait à sauver les hérétiques. M. Génin attribue ce zèle à la tolérance. La tolérance est une vertu de nouvelle date, ignorée ou peu connue dans les siècles qui nous ont précédés, et surtout dans le milieu du xvr° siècle. Catholiques et protestans étaient persuadés que l'hérésie était le plus grand crime qu'un homme pût commettre, et que les supplices les plus cruels devaient être infligés à ceux qui s'en rendaient coupables. Les protestans, faibles à leur début comme toute insurrection naissante, firent une rude épreuve de cette persuasion, et ils furent traités par les catholiques comme les anciens chrétiens l'avaient été par les païens. Le fer et le feu furent employés à l'extirpation de l'hérésie nouvelle; et, au moment où Marguerite se montrait si tolérante pour les novateurs, les deux croyances étaient à l'égard l'une de l'autre dans la même disposition que ces deux villes de l'Égypte dont parle Juvénal, et qui se haïssaient mutuellement à cause de leurs dieux.

Inter finitimos vetus atque antiqua simultas,
Immortale odium, et nunquam sanabile vulnus,
Ardet adhuc Coptos et Tentyra: summus utrimque
Inde furor vulgo, quod numina vicinorum

Odit uterque locus, quum solos credat habendos

Esse deos, quos ipse colit.

Parmi les maladies de l'esprit humain, ce n'est pas une des moins singulières et des moins tristes, que celle qui lui a fait voir une question de criminalité dans une question de théologie, un forfait dans une dissidence, et un argument dans un bûcher. Jamais l'égarement n'a été plus monstrueux. Un homme raisonnable du XIXe siècle a de la peine à se représenter un magistrat laïque ou un prêtre faisant torturer devant lui un homme qui refuse de croire au purgatoire ou à la présence réelle, et finissant par le faire brûler sur la place de l'Estrapade. Dans les Règles sur les études des jésuites, il est dit que les élèves n'assisteront au supplice d'aucun condamné, si ce n'est au supplice des hérétiques, neque ad supplicia reorum, nisi forte hæreticorum, eant. (Ratio atque institutio studiorum Societatis Jesu, Roma 1606.) Le sentiment que je signale ne s'est peut-être manifesté nulle part d'une manière plus repoussante que dans cette phrase.

Qu'au milieu de ces fureurs et dans un tel état des esprits Marguerite ait été tolérante comme on l'entend depuis le XVIIe siècle, cela est difficile à croire. Cette tolérance embrasse toutes les opinions relatives aux choses religieuses; celle d'alors pouvait tout au plus aller de catholique à protestant, ou réciproquement de protestant à catholique. A cette époque, en France, des esprits sages, des hommes savans, des personnages éminens, avaient été trop choqués de certains abus de l'église romaine pour se sentir animés d'un zèle violent contre les novateurs, et, sans vouloir embrasser la réforme, ils étaient disposés à vivre en paix avec eux. Telles étaient sans doute les dispositions de Marguerite; joignez-y beaucoup d'amour pour les lettres, dans lesquelles elle était fort versée, et beaucoup de bienveillance pour ceux qui les cultivaient, fussent-ils protestans; joignez-y enfin une bonté et une douceur naturelles, empreintes dans ces Lettres que vient de publier M. Génin. Chargée d'une négociation auprès d'une dame fort entêtée, elle répond à Montmorency : « Vous connaissez ma condition et la sienne (de Mme d'Estouteville), sy différentes, que ce n'est jeu bien party; car de défaire l'opinion d'une femme que personne n'a sceu gaaigner par une que vous sçavez qui

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