Page images
PDF
EPUB

comme un autre, le besoin d'arranger son personnage, et, par un bonheur peu commun, tout dans sa vie passée pouvait prendre la couleur du patriotisme le plus désintéressé. La singularité si rare d'avoir été quinze ans les armes à la main contre les coalitions et l'émigration, sans obtenir, sans briguer faveur ni titres, sans être d'aucun des partis qui s'étaient disputé le pouvoir, lui devenait d'un merveilleux secours pour l'autorité de ses paroles. Ce qui était le fait d'une humeur un peu bizarre, d'un esprit distrait et capricieux, passait sur le compte de la fermeté de caractère et de la supériorité de jugement. Le vigneron de Touraine faisait désormais un même homme avec l'ancien canonnier à cheval. Ce n'était plus par hasard, mais par amour du pays, qu'il était allé à la frontière en 1792.Ce n'était plus par insouciance qu'il était demeuré dans son humble condition, mais par haine du pouvoir qui corrompt. Soldat par devoir, paysan par goût, écrivain par passe-temps, tel il se donnait et tel il fut pris. D'ailleurs ne voulant de la charte qu'autant que le gouvernement en voulait, ni plus ni moins, et ne croyant pas à la subite illumination des aveugles-nés, il prétendait appeler les choses par leur nom, parler aux puissances, suivant leurs intentions bien connues, et non pas suivant celles qu'une opposition trop polie voulait bien leur accorder : l'attitude était vraiment unique.

En tout cela Courier n'obéissait pas moins à l'instinct de son talent qu'à son indignation d'honnête homme et de citoyen, contre un système de persécution qui atteignait autour de lui quiconque ne voulait point

être persécuteur. Il ne se fit pas long-temps attendre. Au mois de décembre 1816, il adressa aux chambres, pour les habitants de Luynes, la fameuse pétition : Messieurs, je suis Tourangeau. La sensation fut des plus vives. Ce n'était que le tableau de la réaction royaliste dans un village de Touraine; mais la France entière s'y pouvait reconnaître, car partout la situation était la même avec une égale impossibilité de publier la vérité. Courier avait rendu à la nation cet immense service de publicité, dans un écrit de six pages fait pour être recherché de ceux même qui, s'intéressant moins aux victimes qu'aux persécuteurs, se piquaient d'aimer l'esprit en gens de cour. Or, c'était là le point : tout dire dans une feuille d'impression et savoir se faire lire. Courier y avait réussi; aucune porte fermée n'avait pu empêcher cette vérité d'arriver à son adresse. Monsieur Decazes, alors ministre de la police, se servit de la pétition contre le parti extrême qu'il ne gouvernait plus et qui voulait le renverser lui-même. Il chercha par toutes sortes de moyens à s'attacher Courier, mais inutilement. Courier ne voulait pas plus qu'auparavant se faire une carrière politique. Il était bien réellement paysan, occupé de sa vigne, de ses bois, de ses champs. Précisément alors ses propriétés avaient à souffrir de la part de gens qui trouvaient protection auprès des autorités du pays; et il était toujours allant et venant de Paris à sa terre, de sa terre à Paris, poussant un procès contre l'un, demandant inutilement justice contre l'autre. Comme M. Decazes réitérait auprès de lui ses assurances d'envie de lui être utile, il crut pouvoir profiter de dispositions si rares de la part d'un

ministre, au moins pour obtenir dans son village repos du côté des autorités et satisfaction de ceux qui volaient impunément ses bois. Il parut dans les salons ministériels du temps, et cela seul suffit pour faire changer de conduite à son égard le préfet du département, et tout ce qui dépendait du préfet. C'était là tout ce qu'il voulait; il remercia, salua et ne reparut plus.

La lettre A Messieurs de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, donnée en 1820, coupa court aux petites attentions ministérielles, dont Courier avait continué d'être l'objet depuis la pétition de Luynes. Ses amis avaient tous blâmé l'âpreté de ce nouvel écrit. Lui s'étonnait qu'on pût y voir autre chose que ce que tout le monde pensait des académies et de certains académiciens. On sait l'histoire de cette lettre. Courier s'était présenté pour succéder, à l'académie des Inscriptions, à Clavier, son beau-père; à l'en croire, il avait parole du plus grand nombre des académiciens et, cependant, au jour de l'élection il avait été unanimement rejeté. Il s'en fâcha et fit la lettre. On remarqua que, puisqu'il avait trouvé la place de Clavier assez honorable pour la vouloir occuper après lui, il s'était fustigé lui-même sur cette prétention en voulant humilier le corps entier des académiciens; qu'il était ridicule à lui d'avoir frappé à la porte d'une académie, uniquement fondée, d'après son dire actuel pour composer des devises aux tapisseries « du roi et, en un besoin, aux bonbons de la reține. Mais si Courier s'était trompé sur la moralité pu convenance du procédé, il en fut puni dans le temps par l'endroit le plus sensible à un auteur. Ce qu'on appelait la méchanceté et la vanité blessée de l'acadé

[ocr errors]
[ocr errors]

a

micien aspirant, ferma beaucoup d'yeux sur l'art infini avec lequel était composé ce petit écrit. « Nulle part Cou«rier n'a répandu avec plus de bonheur les traits d'une « satire à la fois bouffonne et sérieuse, qui excite le rire << en même temps qu'elle soulève l'indignation et le mé

[ocr errors]

pris, telle qu'on l'admire dans les immortelles Provin«ciales. » C'est le jugement émis par Courier lui-même dans une courte notice sur sa personne et sur ses écrits qui n'a point été publiée sous son nom, mais dans laquelle il est impossible de le méconnaître, et dont il serait ridicule de rougir ici pour lui. S'il était possible de prendre ainsi sur le fait tous ceux qui dans les biographies et dans les journaux se sont chargés de parler d'eux-mêmes, et l'ont fait avec quelque avantage pour leur réputation, l'histoire littéraire de ce temps aurait à recueillir nombre de plaisantes confidences d'amourpropre tel n'est point le caractère de la petite notice dont il est question ici. Courier n'y a point changé sa manière si connue; il n'a probablement ni espéré ni désiré qu'on s'y trompât; et sans précautions oratoires, sans ambages, sans grimaces de fausse modestie, il a dit de chacun de ses écrits, bonnement, franchement, avec la plus naïve conviction, ce qu'il en pensait. Ce trait peint bien moins les mœurs littéraires de l'époque qu'il ne peint Courier lui-même. Le curieux n'est point en effet à ce qu'il se soit loué de sa propre plume comme tant d'autres, mais au peu de façon et de dégui

I

L'opinion de Madame Courier et de quelques personnes qui ont connu très particulièrement Courier est que cette notice n'est point de lui. L'auteur de cet Essai a cru pouvoir, malgré des autorités si respectables, persister dans l'assertion qu'il a émise ici.

sement avec lequel il s'est rendu ce petit témoignage d'une bonne conscience.

"

[ocr errors]

"

Après tout, qu'on ne s'y trompe pas, ces éloges sont littérairement parlant l'exacte mesure de l'homme, telle qu'on serait charmé de l'avoir de Corneille, de Lafontaine, de Montesquieu, de Molière, si ces grands écrivains avaient été capables de parler d'eux-mêmes avec cette liberté ou plutôt cette ingénuité d'opinion. N'estce point, par exemple, une bonne fortune de trouver sur les Lettres au Censeur, qui parurent en 1820, l'opinion de l'écrivain même qui nous ravit, et nous vengea par ces hardis opuscules? La petite collection des « Lettres au Censeur, dit Courier, commença à popu<< lariser le nom de l'auteur. Jusque là les éloquentes et courageuses dénonciations dont il avait poursuivi les <«< magistrats iniques qui faisaient peser leur despotisme « sur la population timide et muette des campagnes, n'a« vaient guère retenti au-delà du département d'Indre«<et-Loire. Il était l'écrivain patriote de sa commune, « de son canton; il n'était pas encore l'homme populaire de toute la France. Les Lettres au Censeur, assez répandues, révélèrent au public ce talent et ce cou« rage nouveau d'un sincère ami du pays, dont l'esprit, « élevé au-dessus de tous les préjugés, voit partout la vérité, la dit sans aucune crainte, et la dit de manière « à la rendre accessible à tous, vulgaire, et, si l'on veut «< même, triviale et villageoise. Ajoutez à cela que, par « un prodige tout-à-fait inouï, cet écrivain, qui semble « ne chercher que le bon sens, s'exprime avec une pu« reté et une élégance de langage entièrement perdues de nos jours, et qui empreint ses écrits d'un carac"tère inimitable. »

a

"

[ocr errors]

K

[ocr errors]
« PreviousContinue »