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avoient nn charme particulier pour nous, parce qu'elles nous rappeloient vivement qu'arrivés sous la zone torride, nous avions atteint le but vers lequel nos vœux tendoient depuis long-temps.

Le patron d'une des pirogues s'offrit de rester à bord du Pizarro pour nous servir de pilote côtier. C'étoit un Guayquerie recommandable par son caractère, plein de sagacité dans l'observation, et dont la curiosité active s'étoit portée sur les productions de la mer comme sur les plantes indigènes. Un hasard heureux a voulu que le premier Indien que nous rencontrâmes au moment de notre attérage, fût l'homme dont la connoissance nous devint la plus utile pour le but de nos recherches. Je me plais à consigner dans cet itinéraire le nom de Carlos del Pino, qui, pendant l'espace de seize mois, nous à suivis dans nos courses le long des côtes et dans l'intérieur des terres.

Le capitaine de la corvette leva l'ancre vers le soir. Avant de quitter le haut - fond ou placer de Coche, je déterminai la longitude

De Pratico.

du cap Est de l'ile que je trouvai par les 66° 11′ 53′′. En faisant route vers l'ouest, nous eûmes bientôt par le travers la petite île de Cubagua, entièrement déserte aujourd'hui, mais jadis célèbre par la pêche des perles. C'est là que les Espagnols, immédiatement après les voyages de Colomb et d'Ojeda, avoient fondé, sous le nom de la Nouvelle-Cadix, une ville dont on ne trouve plus de traces. Au commencement du seizième siècle, les perles de la Cubagua étoient connues à Séville, à Tolède, et aux grandes foires d'Augsbourg et de Bruges, La Nueva Cadiz n'ayant pas d'eau, on y transportoit de la côte voisine l'eau du Rio Manzanares, quoiqu'on l'accusât, j'ignore par quelle raison, de causer des ophthalmies''. Les auteurs de ce temps parlent tous de la richesse des premiers colons et du luxe qu'ils déployoient; aujourd'hui, des dunes de sable mouvant s'élèvent sur cette terre inhabitée, et le nom de Cubagua se trouve à peine sur nos cartes.

Parvenus dans ces parages, nous vîmes les

1 Herrera, Descrip. de las Indias occidentales (Madrid, 1730), Vol. I, p. 12.

hautes montagnes du cap Macanao, partie occidentale de l'île de la Marguerite, qui s'élevoient majestueusement sur l'horizon. A en juger par des angles de hauteur pris à une distance de 18 milles, la hauteur absolue de ces cimes paroît de cinq à six cents toises. D'après le garde-temps de Louis Berthoud, la longitude du cap Macanao est de 66°47′ 5′′. J'ai relevé les rochers de l'extrémité de ce cap, et non cette langue de terre extrêmement basse qui se prolonge à l'ouest, et qui se perd dans un haut - fond. La position du Macanao et celle que j'ai assignée plus haut à la pointe Est de l'île de Coche, ne different que de quatre secondes en temps des résultats obtenus par M. Fidalgo.

Le vent étoit très-foible; le capitaine préféra courir des bordées jusqu'à la pointe du jour. Il craignoit d'entrer dans le port de Cumana pendant la nuit, et cette prudence sembloit nécessaire à cause d'un malheureux accident arrivé depuis peu dans ces mêmes parages. Un paquet-bot avoit mouillé de nuit sans allumer les fanaux de poupe, on le` prit pour un bâtiment ennemi, et les batteries de Cumana firent feu sur lui. Le capitaine du

Courier eut une jambe emportée, et mourut de jours après à Cumana.

peu

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Nous passâmes une partie de la nuit sur le pont. Le pilote Guayquerie nous entretint des animaux et des plantes de son pays. Nous apprîmes, avec une grande satisfaction, qu'à peu de lieues de la côte on trouvoit une région montagneuse et habitée par les Espagnols, dans laquelle le froid étoit très-sensible, et qu'on connoissoit, dans les plaines, deux crocodiles très-différens l'un de l'autre ', des Boas, des anguilles électriques et plusieurs espèces de tigres. Quoique les mots Bava, Cachicamo et Temblador nous fussent entièrement inconnus, nous devinâmes facilement, par la description naïve des habitides. et des formes, les espèces que les Créoles désignent par ces dénominations. Oubliant que ces animaux sont dispersés sur une vaste étendue de terrain, nous espérâmes pouvoir les observer dans les forêts voisines de Cumana. Rien n'excite autant la curiosité d'un naturaliste que le récit des merveilles d'un pays auquel il est sur le point d'aborder.

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Le 16 juillet 1799, à la pointe du jour, nous vîmes une côte verdoyante et d'un aspect pittoresque. Les montagnes de la NouvelleAndalousie, à demi-voilées par les vapeurs, bordoient l'horizon au sud. La ville de Cumana et son château paroissoient entre des groupes de cocotiers. Nous mouillâmes dans le port vers les neuf heures du matin quarante-un jours après notre départ de la Corogne. Les malades se traînèrent sur le tillac pour jouir de la vue d'une terre qui devoit mettre fin à leurs souffrances.

Je n'ai point voulu interrompre le récit de notre navigation par le détail des observations physiques auxquelles je me suis livré pendant la traversée des côtes d'Espagne à Ténériffe, et de Ténériffe à Cumana. Des observations de ce genre n'offrent un véritable intérêt que lorsqu'on peut en disposer les résultats d'après une méthode propre à conduire à des idées générales. La forme d'une relation historique et la marche qu'elle doit suivre, ne sont pas avantageuses pour faire connoître dans leur ensemble des phénomènes qui varient avec les saisons et la position des lieux. Pour étudier les lois de ces phénomènes, il faut les

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