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ne s'élevoit qu'à 23o; tandis que, plus à l'est au large, sur le même parallèle, et également à la surface de la mer, il se soutenoit à 25o,6. Malgré les courans, le refroidissement des eaux annonçoit l'existence du bas-fond qui ne se trouve indiqué que sur un petit nombre de cartes. Le vent mollit après le coucher du soleil, et les nuages se dissipèrent à mesure que la lune s'approcha du zénith. Le nombre des étoiles filantes fut très-considérable cette nuit et les nuits suivantes : elles paroissoient moins fréquemment du côté du nord que vers le sud, au-dessus de la Terre-Ferme, dont nous commencions à longer les côtes. Cette position semble prouver l'influence des causes locales sur des météores dont la nature ne nous est point encore suffisamment connue.

Le 14, au lever du soleil, nous pûmes relever les Bouches du Dragon. Nous distinguâmes l'île Chacachacarreo, la plus occidentale de celles qui sont placées entre le cap Paria et le cap nord-ouest de la Trinité. Lorsque nous fûmes éloignés de cinq lieues de la côte, nous éprouvâmes, près de la Punta de la Baca, l'effet d'un courant particulier qui entraînoit la corvette vers le sud

les

Le mouvement des eaux qui sortent par Bouches du Dragon et l'action des marées occasionnent un courant de remous. On jeta la sonde, et l'on trouva trente-six à quarantetrois brasses d'eau sur un fond d'argile verte, très-fine. D'après les règles établies par Dampier, nous ne devions pas nous attendre à une si petite profondeur de la mer près d'une côte formée par des montagnes trèsélevées et coupées à pic. Nous continuâmes à sonder jusqu'au Cabo de tres Puntas, et nous reconnûmes partout un fond élevé dont les contours semblent indiquer le prolongement de l'ancienne côte. Dans ces parages, la température de la mer étoit de 25 à 24 degrés, par conséquent de 1,5 à 2 degrés moindre qu'au large, c'est-à-dire au-delà des accores du banc.

Le cap des Trois-Pointes, auquel Colomb même a imposé ce nom', se trouve, d'après mes observations, par les 65° 4′ 5′′ de longitude. Il nous parut d'autant plus élevé que des nuages nous déroboient la vue de ses

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Voyage autour du monde, Tom. II, p. 476.

• Au mois d'août 1598.

cimes dentelées. La physionomie des montagnes de Paria, leur couleur, et surtout leurs formes généralement arrondies, nous firent soupçonner que la côte étoit granitique; par la suite combien sont hasardés, même pour les personnes qui ont passé leur vie à parcourir des montagnes, des jugemens portés sur la nature de roches qui se présentent de loin.

mais nous reconnûmes

Un calme plat, qui dura quelques heures, nous permit de déterminer avec précision l'intensité des forces magnétiques vis-à-vis le Cabo de tres Puntas. Cette intensité étoit plus grande qu'en pleine mer, à l'est de l'île de Tabago, en raison de 237 à 229. Pendant le calme, le courant nous entraîna rapidement vers l'ouest. Sa force étoit de trois milles par heure ; elle augmentoit à mesure que nous approchions du méridien des Testigos, amas d'écueils qui s'élèvent au milieu des eaux. Au coucher de la lune, le ciel se couvrit de nuages, le vent fraîchit de nouveau, et il tomba une de ces grandes ondées qui sont propres à la zone torride, et auxquelles nous avons été si souvent exposés pendant nos courses dans l'intérieur des terres.

La maladie qui s'étoit développée à bord du Pizarro, faisoit des progrès rapides depuis que nous nous trouvions près des côtes de la Terre-Ferme; le thermomètre se soutenoit régulièrement la nuit entre 22 et 23 degrés pendant le jour, il montoit de 24 à 27 degrés. Les congestions vers la tête, l'extrême sécheresse de la peau, la prostration des forces, tous les symptômes devinrent plus alarmans; mais arrivés, pour ainsi dire, au terme de la navigation, nous nous flattions que tous les malades recouvreroient la santé dès qu'on pourroit les débarquer à l'île de la Marguerite ou au port de Cumana, connus par leur grande salubrité.

Cet espoir ne fut pas entièrement réalisé. Le plus jeune des passagers, attaqué de la fièvre maligne, en fut la première, mais heureusement la seule victime. C'étoit un Asturien, âgé de dix-neuf ans, fils unique d'une veuve sans fortune. Plusieurs circons-tances rendoient touchante la mort de ce jeune homme, dont les traits annonçoient de la sensibilité et une extrême douceur de caractère. On l'avoit embarqué contre son gré; sa mère, qu'il espéroit secourir par le

produit de son travail, avoit sacrifié sa tendresse et ses propres intérêts à l'idée d'assurer la fortuue de son fils en le faisant passer aux colonies, auprès d'un riche parent qui résidoit à l'île de Cuba. Le malheureux jeune homme. expira le troisième jour de sa maladie, étant tombé dès le commencement dans un état léthargique interrompu par des accès de délire. La fièvre jaune ou le vomissement noir, à la Vera-Cruz, n'enlèvent guère les malades avec une rapidité plus effrayante. Un autre Asturien, plus jeune encore, ne quitta pas un instant le lit du mourant, et, ce qui est assez remarquable, il ne prit point la maladie. Il devoit suivre son compatriote à Saint-Jacques de Cuba, pour être introduit par lui dans la maison de ce parent, sur lequel reposoient toutes leurs espérances. C'étoit un spectacle déchirant que de voir celui qui survivoit à son ami, s'abandonner à une douleur profonde, et maudire les conseils funestes qui l'avoient jeté dans un climat lointain, où il se trouvoit isolé et sans appui.

Nous étions réunis sur le tillac, et livrés à de tristes méditations. Il n'étoit plus douteux que la fièvre qui réguoit à notre bord avoit

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