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chées de l'Espagne que ne l'étoient jadis le Phase et Tartessus des côtes de la Grèce et de la Phénicie. Aussi observons-nous que, dans des régions également éloignées, les mœurs et les traditions de l'Europe se sont plus conservées dans la zone tempérée et sur le dos des montagnes équatoriales que dans les plaines de la zone torride. L'analogie de position contribue, jusqu'à un certain point, à maintenir des rapports plus intimes entre les colons et la métropole. Cette influence des causes physiques sur l'état des sociétés naissantes se manifeste surtout lorsqu'il s'agit de portions de peuples d'une même race et qui se sont nouvellement séparés, En parcourant le nouveau monde, on croit trouver plus de traditions, plus de fraîcheur dans les souvenirs de la mère-patrie partout où le climat permet la culture des céréales. Sous ce rapport, la Pensylvanie, le NouveauMexique et le Chili, ressemblent à ces plateaux élevés de Quito et de la NouvelleEspagne qui sont couverts de chênes et de sapins.

Chez les anciens, l'histoire, les opinions religieuses et l'état physique d'un pays se

tenoient par des liens indissolubles. Pour oublier l'aspect des sites et les anciennes révolutions de la métropole, le colon auroit dû renoncer au culte transmis par ses ancêtres. Chez les peuples modernes, la religion n'a plus, pour ainsi dire, une teinte locale. En donnant plus d'étendue aux idées, en rappelant à tous les peuples qu'ils font partie d'une même famille, le christianisme a affoibli le sentiment national; il a répandu dans les deux mondes les traditions antiques de l'Orient et d'autres qui lui sont propres. Des nations qui different d'origne et d'idiomes ont reçu par lui des souvenirs communs; et l'établissement des missions, après avoir jeté les bases de la civilisation dans une grande partie du nouveau continent, a donné aux idées cosmogoniques et religieuses une prééminence marquante sur les souvenirs purement natio

naux.

Il y a plus encore: les colonies de l'Amérique sont fondées presque toutes dans des contrées où les générations éteintes ont à peine laissé quelque trace de leur existence. Au nord du Rio Gila, sur les bords du Missouri, dans les plaines qui s'étendent à l'est

des Andes, les traditions ne remontent pas au-delà d'un siècle. Au Pérou, à Guatimala et au Mexique, des ruines d'édifices, des peintures historiques et des monumens de sculpture attestent, il est vrai, l'ancienne civilisation des indigènes; mais, dans une province entière, on trouve à peine quelques familles qui aient des notions précises sur l'histoire des Incas et des princes mexicains, L'indigène a conservé sa langue, son costume et son caractère national: mais le manque de quippus et de peintures symboliques, l'introduction du christianisme et d'autres circonstances que j'ai développées ailleurs, ont fait disparoître peu à peu les traditions historiques et religieuses. D'un autre côté, le colon de race européenne dédaigne tout ce qui a rapport aux peuples vaincus. Placé entre les souvenirs de la métropole et ceux du pays qui l'a vu naître, il considère les uns et les autres avec la même indifférence; sous un climat où l'égalité des saisons rend presque insensible la succession des années, il ne se livre qu'aux jouissances du présent, et porte rarement ses regards dans les temps écoulés.

Quelle différence aussi entre l'histoire

monotone des colonies modernes et le tableau varié qu'offre la législation, les mœurs et les révolutions politiques des colonies anciennes! Leur culture intellectuelle, modifiée par les formes diverses de leur gouvernement, excitoit souvent l'envie des métropoles. Par cette heureuse rivalité, les arts et les lettres atteignirent le plus haut degré de splendeur en Ionie, dans la Grande-Grèce et en Sicile. De nos jours, au contraire, les colonies n'ont ni histoire ni littérature nationales. Celles du nouveau monde n'ont presque jamais eu de voisins puissans, et l'état de la société n'y a subi que des changemens insensibles. Sans existence politique, ces établissemens de commerce et d'agriculture n'ont pris qu'une part passive aux grandes agitations du monde.

L'histoire des colonies modernes ne présente que deux événemens mémorables, leur fondation et leur séparation de la mère-patrie. Le premier de ces événemens est riche en souvenirs qui appartiennent essentiellement aux pays occupés par les colons; mais, loin de rappeler les progrès paisibles de l'industrie ou le perfectionnement de la législation coloniale, il n'offre que des actes d'injustice

et de violence. Quel charme peuvent avoir ces temps extaordinaires où, sous le règne de Charles-Quint, les Castillans déployoient plus de courage que de vertus, et où l'honneur chevaleresque, comme la gloire des armes, furent souillés par le fanatisme et la soif des richesses? Les colons, doux de caractère, et affranchis par leur position des préjugés nationaux, apprécient à leur juste valeur les exploits de la conquête. Les hommes qui ont brillé à cette époque sont des Européens, ce sont les soldats de la métropole. Ils paroissent étrangers aux habitans des colonies, car trois siècles ont suffi pour dissoudre les liens du sang. Parmi les conquistadores, il s'est trouvé sans doute des hommes probes et généreux; mais, confondus dans la masse, ils n'ont pu échapper à la proscription générale.

Je crois avoir indiqué les causes principales qui, dans les colonies modernes, font disparoître les souvenirs nationaux sans les remplacer dignement par d'autres qui aient rapport au pays nouvellement habité. Cette circonstance, nous ne saurions le répéter assez, exerce une grande influence sur la

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