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sembloit favoriser l'idée que tous les bitumes minéraux étoient dus à la destruction des végétaux et des animaux1, ou à l'embrasement des houilles. A la péninsule d' raya, le naphte découle de la roche primitive même, et ce phénomène acquiert une nouvelle importance si l'on se rappelle que le même terrain primitif renferme les feux souterrains, qu'au bord des cratères enflammés l'odeur du pétrole se fait sentir de temps en temps2, et que la plupart des sources chaudes de l'Amérique sortent du gneiss et du schiste micacé.

Après avoir examiné les environs de Maniquarez, nous nous embarquâmes la nuit dans un canot de pêcheurs pour retourner à Cumana. Rien ne prouve plus, combien la mer est paisible dans ces parages, que l'extrême petitesse et le mauvais état de ces canots, qui portent une voile très-haute. Celui que nous avions choisi comme le moins endommagé, faisoit tant d'eau que le fils du pilote étoit continuellement occupé à la puiser avec

'Hatchett, dans les Trans. of the Lin. Society, 1798, p. 129.

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un Tutuma ou fruit du Crescencia cujete. Il arrive assez souvent, dans le golfe de Cariaco, et surtout au nord de la péninsule d'Araya, que les pirogues chargées de cocos chavirent, en gouvernant trop près du vent, droit contre la lame. Ces accidens ne sont redoutés que des passagers peu habitués à nager; car sila pirogue est conduite par un pêcheur indien accompagné de son fils, le père redresse la nacelle et commence à en faire sortir l'eau, tandis que le fils rassemble les cocos en nageant à l'entour. En moins d'un quart d'heure la pirogue est de nouveau sous voile, sans que l'Indien, dans son imperturbable indifférence, ait proféré une plainte.

Les habitans d'Araya, que nous avons visités une seconde fois en revenant de l'Oré

noque, n'ont pas oublié que leur péninsule est un des points les plus anciennement peuplés par les Castillans. Ils aiment à parler de la pêche des perles, des ruines du château Saint-Jacques, qu'ils se flattent de voir reconstruit un jour, et de tout ce qu'ils appellent l'antique splendeur de ces contrées. En Chine et au Japon, on regarde comme des inventions récentes celles que l'on ne connoît que

depuis deux mille ans ; dans les colonies européennes, un événement paroît extrêmement ancien s'il remonte à trois siècles, à l'époque de la découverte de l'Amérique.'

Ce manque de souvenirs qui caractérise les peuples nouveaux, soit dans les États-Unis, soit dans les possessions espagnoles et portugaises, est bien digne d'attention. Il n'a pas seulement quelque chose de pénible pour le voyageur qui se trouve privé des plus belles jouissances de l'imagination, il influe aussi sur les liens plus ou moins puissans qui attachent le colon au sol qu'il habite, à la forme des rochers qui entourent sa cabane, aux arbres qui ont ombragé son berceau.

Chez les anciens, les Phéniciens et les Grecs, par exemple, les traditions et les souvenirs nationaux passèrent de la métropole aux colonies, où, se perpétuant de genérations en générations, ils ne cessèrent d'influer favorablement sur les opinions, les mœurs et la politique des colons. Les climats de ces premiers établissemens ultramarins différoient peu de celui de la mère-patrie. Les Grecs de l'Asie mineure et de la Sicile ne devinrent point étrangers aux habitans d'Ar

gos, d'Athènes et de Corinthe, dont ils se glorifioient de descendre. Une grande ana logie de mœurs contribuoit à cimenter l'union qui se fondoit sur des intérêts religieux et politiques. Souvent les colonies offroient les prémices des moissons aux temples des métropoles; et lorsque, par un accident sinistre, le feu sacré s'étoit éteint sur les autels d'Hestia, on envoyoit, du fond de l'Ionie, le chercher aux Prytanées de la Grèce. Partout, dans la Cyrenaïque, comme sur les bords de la Méotide, se conservèrent les anciennes traditions de la mère-patrie. D'autres souvenirs, également propres à émouvoir l'imagination, étoient attachés aux colonies mêmes. Elles avoient leurs bois sacrés, leurs divinités tutélaires, leur mythologie locale, et ce qui donne de la vie et de la durée aux fictions des premiers âges, des poètes dont la gloire étendoit son éclat jusque sur la métropole.

Ces avantages, et bien d'autres encore, manquent aux colonies modernes. La plupart sont fondées dans une zone où le climat,

1 Clavier, Hist. des premiers temps de la Grèce, T. II, p. 67 (T. I, p. 188).

les productions, l'aspect du ciel et du paysage different totalement de ceux de l'Europe. Le colon a beau donner aux montagnes, aux rivières, aux vallées des noms qui rappellent les sites de la mère-patrie; ces noms perdent bientôt leur attrait, et ne parlent plus aux générations suivantes. Sous l'influence d'une nature exotique naissent des habitudes adaptées à de nouveaux besoins; les souvenirs nationaux s'effacent insensiblement, et ceux qui se conservent, semblables aux fantômes de l'imagination, ne se rattachent plus ni à un temps, ni à un lieu déterminé. La gloire de Don Pélage et du Cid Campeador a pénétré jusque dans les montagnes et les forêts de l'Amérique; le peuple prononce quelquefois ces noms illustres, mais ils se présentent à son esprit comme appartenant à un monde idéal, au vague des temps fabuleux.

Ce ciel nouveau, ce contraste des climats, cette conformation physique du pays agissent bien plus sur l'état de la société dans les colonies, que l'éloignement absolu de la métropole. Tel est le perfectionnement de la navigation moderne que les bouches de l'Orénoque et du Rio de la Plata semblent plus rappro

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