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il n'en est pas moins incertain si la proportion, entre le muriate de soude, les muriate et sulfate de magnésie et les sulfate et carbonate de chaux, est également invariable'.

Après avoir examiné les salines et terminé nos opérations géodésiques, nous partîmes au déclin du jour pour coucher à quelques milles de distance dans une cabane indienne près des ruines du château d'Araya, Nous nous fimes précéder par nos instrumens et nos provisions; car, fatigués par l'excessive chaleur de l'air et la réverhération du sol, nous ne sentions de l'appétit, dans ces climats, que le soir ou à la fraîcheur du matin. Nous traversâmes, en nous dirigeant vers le sud, d'abord la plaine couverte d'argile muriatifère et dépourvue de végétaux, puis deux

1 Lavoisier a trouvé que dans les eaux de la mer, près de Dieppe, la quantité de muriate de soude est à celle des autres sels comme 2,36 à 1. D'après MM. Bouillon-Lagrange et Vogel, cette proportion est comme 2,60 à 1. Voyez les observations judicieuses de M. Thomson, dans sa Chimie, T. VI, p. 346-357. (Henri, Phil. Trans. 1810. P. I, p. 97 et 122; et Annales de Chimie, T.LXXXVII, p. 193-208).

chaînes de collines de grès, entre lesquelles est placée la Lagune. La nuit nous surprit, tandis que nous suivions un sentier étroit bordé d'un côté par la mer, et de l'autre par des bancs de roches coupées à pic. La marée montoit rapidement et rétrécissoit notre chemin à chaque pas. Arrivés au pied du vieux château d'Araya, nous jouîmes de la vue d'un site qui a quelque chose de lugubre et de romantique. Cependant ni la fraîcheur d'une sombre forêt, ni la grandeur des formes végétales ne relèvent la beauté de ces ruines, Isolées sur une montagne nue et aride, couronnées d'agave, de cactus colonnaires et de mimoses épineuses, elles ressemblent moins aux ouvrages de l'homme qu'à ces masses de rochers brisées lors des premières révolutions du globe.

Nous voulûmes nous arrêter pour admirer ce spectacle imposant, et pour observer le coucher de Vénus, dont le disque paroissoit par intervalles entre les masures du château; mais le mulâtre qui nous servoit de guide étoit excédé de soif, et nous pressoit vivement de rebrousser chemin. Il s'étoit aperçu depuis long-temps que nous étions égarés;

et, comme il se flattoit d'agir sur nous par la crainte, il parloit sans cesse du danger des tigres et des serpens à sonnettes. Les reptiles venimeux sont en effet très-communs près du chateau d'Araya, et deux jaguars avoient été tués depuis peu à l'entrée du village de Maniquarez. A en juger par les peaux qu'on avoit conservées, leur taille ne cédoit pas beaucoup à celle des tigres de l'Inde. Nous avions beau faire observer à notre guide que ces animaux n'attaquent pas les hommes. sur des côtes où les chèvres leur fournissent une abondante nourriture, il fallut céder et retourner sur nos pas. Après avoir marché trois quarts d'heure sur une plage couverte la marée montante, nous fumes rejoints par le nègre qui avoit porté nos provisions; inquiet de ne pas nous voir arriver, il étoit venu au-devant de nous. Il nous conduisit, à travers un bosquet de raquettes, à une cabane habitée par une famille indienne. Nous y fumes reçus avec cette franche hospitalité que l'on rencontre dans ces pays parmi les hommes de toutes les castes. L'extérieur de la cabane, dans laquelle nous tendîmes nos hamacs, étoit très-propre; nous y trouvâmes

par

du poisson, des bananes, et, ce qui, dans la zone torride, est préférable aux alimens les plus exquis, de l'eau excellente.

Le lendemain, au lever du soleil, nous reconnûmes que la cabane dans laquelle nous avions passé la nuit faisoit partie d'un groupe de petites habitations situées sur les bords du lac salé. Ce sont les foibles restes d'un village considérable qui s'étoit formé jadis autour du château. Les ruines d'une église se présentoient enfoncées dans le sable et couvertes de broussailles. Lorsqu'en 1762, pour épargner les frais qu'exigeoit l'entretien de la troupe, le château d'Araya fut totalement démoli, les Indiens et les gens de couleur, établis dans le voisinage, émigrèrent peu à peu pour se fixer à Maniquarez, à Gariaco et dans le faubourg des Guayqueries à Cumana. Un petit nombre, retenu par l'amour du sol natal, resta dans cet endroit stérile et sauvage. Ces pauvres gens vivent de la pêche qui est extrêmement abondante sur les côtes et les bas-fonds voisins. Ils paroissoient contens de leur position, et trouvoient étrange qu'on leur demandât pourquoi ils n'avoient pas de jardins et ne cultivoient pas des plantes

alimentaires. Nos jardins, disoient-ils, sont au delà du golfe: en portant du poisson à Cumana, nous nous procurons des bananes, des cocos et du manioc. Ce système d'économie, qui flatte la paresse, est suivi à Maniquarez et dans toute la péninsule d'Araya. La principale richesse des habitans consiste en chèvres qui sont d'une race très-grande et très-belle. Ces chèvres errent dans les campagnes comme celles du Pic de Ténériffe: elles sont devenues entièrement sauvages, et on les marque comme les mulets, parce qu'il seroit difficile de les reconnoître à leur physionomie, à leur couleur et à la disposition de leurs taches. Les chèvres sauvages sont d'un brun fauve et ne varient pas de couleur comme les animaux domestiques. Si, dans une partie de chasse, un colon tue une chèvre, qu'il ne regarde pas comme sa propriété, il la porte de suite au voisin à qui elle appartient. Pendant deux jours, nous entendîmes citer partout, comme un exemple d'une rare perversité, qu'un habitant de Maniquarez avoit perdu une chèvre dont probablement une famille voisine s'étoit régalée dans un repas. Ces traits qui prouvent une grande pureté de

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