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combien les vers luisans sont communs en Italie et dans tout le midi de l'Europe: mais l'effet pittoresque qu'ils produisent ne sauroit être comparé à ces innombrables lumières éparses et mouvantes qui embellissent les nuits de la zone torride, et qui semblent répéter sur la terre, dans la vaste étendue des savanes, le spectacle de la voûte étoilée du ciel.

Lorsqu'en descendant la rivière nous nous approchâmes des plantations ou charas, nous vimes des feux de joie allumés par des nègres. Une fumée légère et ondoyante s'élevoit vers la cime des palmiers, et donnoit une couleur rougeâtre au disque de la lune. C'étoit la nuit d'un dimanche, et les esclaves dansoient au son bruyant et monotone de la guitare. Les peuples d'Afrique, de race noire, ont dans leur caractère un fond inépuisable de mouvement et de gaieté. Apres avoir été livré à des travaux pénibles pendant la semaine, l'esclave, les jours de fête, préfère encore la musique et la danse à un sommeil prolongé. Gardons-nous de blâmer ce mélange d'insouciance et de légèreté, qui adoucit les maux d'une vie pleine de privations et de douleurs!

La barque dans laquelle nous passâmes le golfe de Cariaco étoit très-spacieuse. On avoit étendu de grandes peaux de Jaguar ou tigre d'Amérique, pour que nous pussions reposer pendant la nuit. Nous n'avions pas séjourné deux mois, sous la zone torride, et déjà nos organes étoient tellement sensibles aux plus petits changemens de température, que le froid nous empêchoit de dormir. Nous vimes avec surprise que le thermomètre centigrade se soutenoit à 21o,8'. Cette observation, trèsconnue à ceux qui ont vécu long-temps aux

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Fig. de la terre, p. LIV. La hauteur de ce sommet est de 736 toises d'après Dupuget, et de 666 toises d'après M. Leblond. Cette élévation n'est par conséquent pas assez considérable pour que le sentiment du froid puisse être causé, comme au Chimborazo et à Pichincha, par la moindre quantité d'oxygène qu'enlèvent les poumons à un air dilaté. Si le baromètre, par 16o,2 de température, se soutient à la cime de la Montagne Pelée, à 24 pouces 2 lignes (Le Blond, Voyage aux Antilles et dans l'Amérique méridionale, T. I, p. 87 ); l'élévation absolue de ce point est, d'après la formule de M. La Place, de 660 toises, en supposant, pour le niveau de la mer, la hauteur du mercure à 28 pouces 1 ligne, et le thermomètre à 25°.

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Indes, mérite l'attention des physiologistes. Bouguer raconte qu'arrivé au sommet de la Montagne Pelée, à l'île de la Martinique, lui et ses compagnons trembloient de froid, quoique la chaleur excédât encore 21 degrés. En lisant l'intéressante relation du capitaine Bligh qui, par une révolte à bord du navire Bounty, avoit été forcé de faire douze cents lieues dans une chaloupe ouverte, on voit que ce navigateur, entre les 10 et 12 degrés de latitude australe, souffroit beaucoup plus du froid que de la faim", Pendant notre séjour à Guayaquil, au mois de jan→ vier 1803, nous observâmes que les indigènes se couvroient en se plaignant du froid, lorsque le thermomètre baissait à 23o,8, tandis que la chaleur leur paroissoit suffocante à 50o,5. Six à sept degrés suffisoient pour faire

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1 Bligh, Voyage à la mer du Sud, traduit par Soules, p. 265 et 316. L'équipage de la chaloupe étoit souvent mouillé par les lames; mais nous savons qu'à cette latitude, la température de l'eau de la mer ne peut être au-dessous de 23°, et que le froid produit par l'évaporation est peu considérable pendant des nuits où la température de l'air excède rarement 25o.

2 85°,8 et 86°,4 de l'hygromètre de Saussure..

naître les sensations opposées du froid et de la chaleur, parce que, sur ces côtes de la mer du Sud, la température habituelle de l'atmosphère est de 28 degrés. L'humidité, qui modifie la force conductrice de l'air pour le calorique, contribue beaucoup à ces impressions. Dans le port de Guayaquil comme partout dans les basses régions de la zone torride, le temps ne se réfroidit que par des pluies d'orage; et j'ai observé que, lorsque le thermomètre baisse à 23°,8, l'hygromètre de Deluc se soutient à 50 et 52 degrés : il est au contraire à 37 degrés par une température de 30o,5. A Cumana, par de fortes ondées, on entend crier dans les rues que hielo, estoy emparamado', quoique le thermomètre

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73° Sauss. Si la quantité de vapeurs n'augmentoit pas, la différence des humidités apparentes ne seroit que de 9 à 10 degrés.

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Quel froid glacé! j'en suis transi comme si j'étois sur le dos des montagnes. Le mot provincial emparamarse ne peut être rendu que par une périphrase trèslongue. Paramo, en péruvien Puna, est une dénomination que l'on trouve sur toutes les cartes de l'Amérique espagnole. Elle ne signifie, dans les colonies, ni un désert ni une lande, mais un endroit montueux, couvert d'arbres rabougris, exposé aux vents,

exposé à la pluie ne baisse qu'à 21°,5. Il résulte de l'ensemble de ces observations, qu'entre les Tropiques, dans les plaines où la température de l'air est, le jour, presque invariablement au-dessus de 27°, on désire se couvrir la nuit chaque fois que, par un air humide, le thermomètre baisse de 4 à 5 degrés.

et dans lequel règne perpétuellement un froid humide. Sous la zone torride, les Paramos ont généralement de 1600 à 2200 toises de hauteur. II y tombe souvent de la neige qui ne reste que quelques heures; car il ne faut pas confondre, comme les géographes ont fait souvent, les mots de Paramo et Puna avec celui de Nevado, en péruvien Ritticapa, montagne qui entre dans les limites des neiges perpétuelles. Ces notions ont un grand intérêt pour la géologie et la géographie des végétaux, parce que, dans des contrées où aucune cime n'a été mesurée, on peut se former une idée exacte de la moindre hauteur à laquelle s'élèvent les Cordillères, en cherchant sur les cartes les mots de Paramo et de Nevado. Comme les Paramos sont presque continuellement enveloppés d'une brume froide et épaisse, le peuple dit, à Santa-Fe et à Mexico: cae un paramito, lorsqu'il tombe une pluie fine et que la température de l'air baisse considérablement. De Paramo on a fait emparamarse, avoir froid comme si on étoit sur le dos des Andes.

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