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à une constellation dont la forme leur rappelle ce signe de la foi planté par leurs ancêtres dans les déserts du nouveau monde.

Les deux grandes étoiles qui marquent le sommet et le pied de la Croix ayant à peu près la même ascension droite, il en résulte que la constellation est presque perpendiculaire au moment où elle passe par le méridien. Cette circonstance est connue de tous les peuples qui vivent au-delà du tropique ou dans l'hémisphère austral. On a observé dans quelle partie de la nuit, en différentes saisons, la Croix du Sud est droite ou inclinée. C'est une horloge qui avance très-régulièrement de près de quatre minutes par jour, et aucun autre groupe d'étoiles n'offre, à la vue simple, une observation du temps aussi aisée à faire. Que de fois nous avons entendu dire à nos guides, dans les savanes de Vénézuela ou dans le désert qui s'étend de Lima à Truxillo : «Minuit est passé, la Croix commence à s'incliner!» Que de fois ces mots nous ont rappelé la scène touchante, où Paul et Virginie, assis près de la source de la rivière des Lataniers, s'entretiennent pour la dernière fois, et où le vieillard, à la vue de la Croix

du Sud, les avertit qu'il est temps de se séparer!

Les derniers jours de notre traversée ne furent pas aussi heureux que nous le faisoient espérer la douceur du climat et la tranquillité de l'Océan. Ce n'étoient pas les dangers de la mer qui troubloient nos jouissances, c'étoit le germe d'une fièvre maligne qui se développoit à mesure que nous approchions des îles Antilles.Les entre-ponts étoient excessivement chauds et très-encombrés. Depuis que nous avions passé le tropique, le thermomètre s'y soutenoit à 34 et 36 degrés. Deux matelots, plusieurs passagers, et, ce qui est assez remarquable, deux nègres de la côte de Guinée, et un enfant mulâtre, furent attaqués d'une maladie qui paroissoit devenir épidémique. Les symptômes n'étoient pas également alarmans chez tous les individus; cependant plusieurs, et surtout les plus robustes, tomboient en délire dès le second jour, et ressentoient une prostration totale des forces. L'indifférence qui règne à bord des paquetbots, pour tout ce qui ne regarde pas la manœuvre et la célérité de la traversée, empêcha le capitaine d'employer les moyens

les plus connus pour diminuer le danger qui nous menaçoit. On ne faisoit aucune fumigation. Un chirurgien galicien, ignorant et flegmatique, ordonnoit des saignées, parce qu'il attribuoit la fièvre à ce qu'il appeloit l'ardeur et la corruption du sang. Il n'existoit pas une once de quinquina à bord; nous avions oublié d'en embarquer nous-mêmes, parce que, plus occupés de nos instrumens que du soin de notre santé, nous avions cru trop légèrement que l'écorce fébrifuge du Pérou ne pouvoit manquer à bord d'un bâtiment espagnol.

Le 8 juillet, un matelot qui étoit à toute extrémité, recouvra la santé par une circonstance assez digne d'être rapportée. Son hamac étoit suspendu de manière qu'il ne restoit pas dix pouces de distance entre son visage et le pont. Il étoit impossible de lui donner les sacremens dans cette position; car, d'après l'usage des vaisseaux espagnols, le viatique devoit être porté à la lueur des cierges, et suivi de tout l'équipage. On transporta le malade dans un endroit aéré, près de l'écoutille, où l'on avoit formé un petit appartement carré au moyen de voiles et de

pavillons. Il devoit y rester jusqu'à sa mort, que l'on supposoit très-prochaine; mais, passant d'un air excessivement chaud, stagnant et rempli de miasmes, dans un air plus frais, plus pur et renouvelé à chaque instant, il sortit peu à peu de son état léthargique. Sa convalescence data du jour où il avoit quitté les entre-ponts; et, comme souvent en médecine les mêmes faits servent à étayer des systèmes diamétralement opposés, cette convalescence fortifia notre médecin dans ses idées sur l'inflammation du sang et sur la nécessité des saignées, des minoratifs et de tous les remèdes asthéniques. Nous éprouvâmes bientôt les suites funestes de ce traitement; et nous désirions plus que jamais d'atteindre les côtes de l'Amérique.

Depuis plusieurs jours le point de l'estime des pilotes s'étoit éloigné de 1o 12'de la longi tude que j'obtenois par le garde-temps. Cette différence étoit due moins au courant général, que j'ai appelé le courant de rotation, qu'à ce mouvement particulier qui, entraî→ nant les eaux vers le nord-ouest, depuis les côtes du Brésil jusqu'aux petites Antilles, raccourcit les traversées de Cayenne à l'île

de la Guadeloupe '. Le 12 juillet, je crus pou voir annoncer l'attérage pour le lendemain avant le lever du soleil. Nous nous trouvions alors, d'après mes observations, par les 10o 46' de latitude, et par les 60o 54' de longitude occidentale. Quelques séries de distances lunaires confirmoient le résultat chronométrique; mais nous étions plus sûrs de la position de la corvette que du gisement des terres vers lesquelles se dirigeoit notre route, et qui se trouvent si différemment placées sur les cartes françoises, espagnoles et angloises. Les longitudes déduites des observations précises de MM. Churruca, Fidalgo et Noguera n'étoient point encore publiées à cette époque.

Les pilotes se fioient plus au loch qu'à la marche d'un garde-temps: ils sourioient à la prédiction d'un prompt attérage, et se croyoient éloignés des côtes de deux à trois

Il existe dans l'Océan Atlantique un parage où l'eau est constamment laiteuse, quoique la mer y soit très-profonde. Ce phénomène curieux se présente sur le parallèle de l'île de la Dominique, à peu près par les 57 degrés de longitude. Yauroit-il eu dans cet endroit quelque îlot volcanique submergé, plus oriental encore que la Barbade?

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