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foibles et par un bourdonnement qui n'échappe pas à la sagacité des personnes habituées à ce genre de phénomènes. Dans ce moment fatal, les cris de «< misericordia, tembla, tembla ' » retentissent partout, et il est rare que de fausses alarmes soient données par un indigène. Les plus peureux observent avec attention les mouvemens des chiens, des chèvres et des cochons. Ces derniers animaux, doués d'un odorat extrêmement fin, et accoutumés à fouiller la terre, avertissent de la proximité du danger, par leur inquiétude et leurs cris. Nous ne déciderons pas si, placés plus près de la surface du sol, ils entendent les premiers le bruit souterrain, ou si leurs organes reçoivent l'impression de quelque émanation gazeuse qui sort de la terre. On ne sauroit nier la possibilité de cette dernière cause. Pendant mon séjour au Pérou, on observa, dans l'intérieur des terres, un fait qui a rapport à ce genre de phénomènes, et qui s'étoit déjà présenté plusieurs fois. A la suite de violens tremblemens de terre, les herbes qui couvrent les savanes du Tucuman acquirent des

Miséricorde, la terre tremble.

propriétés nuisibles; il y eut épizootie parmi les bestiaux, et un grand nombre d'entre eux paroissoit étourdi ou asphyxié par les mofettes qu'exhaloit le sol.

A Cumana, une demi-heure avant la catastrophe du 14 décembre 1797, on sentit une forte odeur de soufre près de la colline du couvent de Saint-François. C'est dans ce même lieu que le bruit souterrain, qui sembloit se propager du sud-est au nord-ouest, fut le plus fort. En même temps on vit paroître des flammes sur les bords du Rio Manzanares, près de l'hospice des Capucins et dans le golfe de Cariaco, près de Mariguitar. Nous verrons dans la suite que ce dernier phénomène, si étrange dans un pays non volcanique, se présente assez souvent dans les montagnes de calcaire alpin, près de Cumanacoa, dans la vallée de Bordones, à l'île de la Marguerite et au milieu des savanes ou Llanos de la Nouvelle-Andalousie. Dans ces savanes, des gerbes de feu s'élèvent à une

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I

Dans la Mesa de Cari, au nord d'Aguasay et dans la Mesa de Guanipa, loin des Morichales, qui sont

10 endroits humides où végète le palmier Mauritia.

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hauteur considérable: on les observe, 'pendant des heures entières, dans les endroits les plus arides, et l'on assure qu'en examinant le sol qui fournit la matière inflammable, on n'aperçoit aucune crevasse. Ce feu, qui rappelle les sources d'hydrogène ou Salse de Modène et les feux follets de nos marais, ne se communique pas à l'herbe, sans doute parce que la colonne de gaz qui se développe est mêlée d'azote et d'acide carbonique, et ne brûle pas jusqu'à sa base. Le peuple, d'ailleurs moins superstitieux ici qu'en Espagne, désigne ces flammes rougeâtres par le nom bizarre de l'ame du tyran Aguirre, imaginant que le spectre de Lopez d'Aguirre, persécuté par les remords, erre dans ces mêmes contrées qu'il avoit souillées de ses crimes 2.

1 Breislak, Geologia, T. II, p. 284.

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Lorsqu'à Cumana et à l'île de la Marguerite, le peuple prononce le mot el tirano, c'est toujours pour désigner l'infâme Lopez d'Aguirre qui, après avoir pris part, en 1560, à l'émeute de Fernando de Guzman contre Pedro de Ursua, gouverneur des Omeguas et du Dorado, se donna lui-même le titre de traidor, le traître. 11 descendit avec sa bande la rivière des Amazones, et

Le grand tremblement de terre de 1797 a produit quelques changemens dans la configuration du bas-fond du Morne Rouge, vers l'embouchure du Rio Bordones. Des soulèvemens analogues ont été observés lors de la ruine totale de Cumana, en 1766. A cette époque, sur la côte méridionale du golfe de Cariaco, la Punta Delgada s'est agrandie sensiblement; et, dans le Rio Guarapiche, près du village de Maturin, il s'est formé un écueil, sans doute par l'action des fluides élastiques qui ont déplacé et soulevé le fond de la rivière.

Nous ne continuerons pas à décrire en détail les changemens locaux produits par les différens tremblemens de terre de Cumana. Pour suivre une marche conforme au but que nous nous sommes proposé dans cet ouvrage, nous tâcherons de généraliser les idées, et de réunir dans un même cadre tout ce qui a rapport à ces phénomènes à la fois si effrayans et si difficiles à expliquer. Si les physiciens

parvint, par une communication des rivières de la Guyane, dont nous parlerons plus bas, à l'île de la Marguerite. Le port de Paraguache porte encore dans cette île le nom de port du Tyran.

qui visitent les Alpes de la Suisse ou les côtes de la Laponie, doivent ajouter à nos connoissances sur les glaciers et les aurores boréales, on peut exiger d'un voyageur qui a parcouru l'Amérique espagnole, que son attention soit principalement fixée sur les volcans et les tremblemens de terre. Chaque partie du globe offre des objets d'études particuliers; et, lorsqu'on ne peut espérer de deviner les causes des phénomènes de la nature, on doit du moins essayer d'en découvrir les lois, et de démêler, par la comparaison de faits nombreux, ce qui est constant et uniforme, de ce qui est variable et accidentel.

Les grands tremblemens de terre qui interrompent la longue série des petites secousses, ne paroissent avoir rien de périodique à Cumana. On les a vus se succéder à quatrevingts, à cent, et quelquefois à moins de trente années de distance, tandis que, sur les côtes du Pérou, par exemple à Lima, on ne peut méconnoître une certaine régularité dans les époques des ruines totales de la ville. La croyance des habitans à l'existence de ce type influe même d'une manière heureuse sur la

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