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peut-être de continuer la même route. Les cartes anciennes sont remplies de vigies dont quelques-unes existent réellement, mais dont la majeure partie est due à ces illusions d'optique qui sont plus fréquentes sur mer que dans l'intérieur des terres. La position des dangers réels se trouve généralement indiquée comme au hasard; ils ont été vus

quatre îles qui ne sont que des dangers imaginaires : les îles Garca et Sainte-Anne, à l'ouest des Açores; l'île Verte (lat. 44° 52′, long. 28° 30'); et l'île de Fonseco (lat. 13° 15′, long. 57° 10′). Comment croire à l'existence de quatre îles dans des parages traversés par des milliers de bâtimens, lorsque sur tant de petits écueils et de bas-fonds, annoncés par des pilotes crédules depuis un siècle, il ne s'en est trouvé à peine que deux ou trois de véritables? Quant à la question générale, quel est le degré de probabilité avec lequel on peut admettre que l'on découvrira un îlot visible à une lieue de distance, entre l'Europe et l'Amérique, on pourroit la soumettre à un calcul rigoureux, si l'on connoissoit le nombre des bâtimens qui parcourent annuellement l'Atlantique depuis trois siècles, et si . l'on avoit égard à la répartition inégale de ces bâtimens dans différens parages. Si le Maal-Stroom se trouvoit, comme l'admet Van-Keulen, par les 16° 0′ de latitude et les 39° 30' de longitude, nous l'aurións traversé le 4 juin.

par des pilotes qui ne connoissoient leur longitude qu'à plusieurs degrés près; et le plus souvent l'on est assez sûr de ne pas rencontrer d'écueils ou de brisans, si l'on se dirige vers les points où ils sont marqués sur les cartes. En nous approchant du prétendu Maal-Stroom, nous n'observâmes d'autre mouvement dans les eaux que l'effet d'un courant qui portoit au nord-ouest, et qui nous empêchoit de diminuer en latitude autant que nous le désirions. La force de ce courant augmente à mesure qu'on approche du nouveau continent; il est modifié par la configuration des côtes du Brésil et de la Guiane, et non par les eaux de l'Orénoque et de l'Amazone, comme le prétendent quelques physiciens.

Depuis que nous étions entrés dans la zone torride, nous ne pouvions nous lasser d'admirer, toutes les nuits, la beauté du ciel austral qui, à mesure que nous avancions vers le Sud, déployoit à nos yeux de nouvelles constellations. On éprouve je ne sais quel sentiment inconnu lorsqu'en s'approchant de l'équateur, et surtout en passant d'un hémisphère à l'autre, on voit s'abaisser pro

gressivement et enfin disparoître les étoiles que l'on connoît dès sa première enfance. Rien ne rappelle plus vivement au voyageur la distance immense de sa patrie, que l'aspect d'un ciel nouveau. L'agroupement des grandes étoiles, quelques nébuleuses éparses rivalisant d'éclat avec la voie lactée; des espaces remarquables par une noirceur extrême, donnent au ciel austral une physionomie particulière. Ce spectacle frappe même l'imagination de ceux qui, sans instruction dans les sciences exactes, se plaisent à contempler la voûte céleste comme on admire un beau paysage, un site majestueux. On n'a pas besoin d'être botaniste pour reconnaître la zone torride au simple aspect de la végétation; sans avoir acquis des notions d'astronomie, sans être familiarisé avec les cartes célestes de Flamstead et de La Caille, on sent qu'on n'est point en Europe lorsqu'on voit s'élever sur l'horizon l'immense constellation du Navire ou les nuées phosphorescentes de Magellan. La terre et le ciel, tout, dans la région équinoxiale, prend un caractère exotique.

Les basses régions de l'air étoient chargées

:

de vapeurs depuis quelques jours. Nous ne vîmes pour la première fois distinctement la Croix du Sud que dans la nuit du 4 au 5 juillet, par les 16 degrés de latitude elle étoit fortement inclinée, et paroissoit de temps en temps entre des nuages, dont le centre, sillonné par des éclairs de chaleur, réflétoit une lumière argentée. S'il est permis à un voyageur de parler de ses émotions personnelles, j'ajouterai que dans cette nuit je vis s'accomplir un des rêves de ma première jeunesse.

Lorsqu'on commence à fixer les yeux sur des cartes géographiques et à lire les relations des navigateurs, on sent, pour quelques pays et pour certains climats, une sorte de prédilection dont on ne sauroit se rendre compte dans un âge plus avancé. Ces impressions exercent une influence sensible sur nos déterminations; et, comme comme par instinct, nous cherchons à nous mettre en rapport avec des objets qui ont eu, depuis depuis long-temps, un charme secret pour nous. A une époque où j'étudiois le ciel, non pour me livrer à l'astronomie, mais pour apprendre à connoître les étoiles, j'étois agité d'une crainte

inconnue à ceux qui aiment la vie sédentaire. Il me paroissoit pénible de renoncer à l'espérance de voir ces belles constellations voisines du pôle austral. Impatient de parcourir les régions équatoriales, je ne pouvois lever les yeux vers la voûte étoilée sans songer à la Croix du Sud et sans me rappeler le passage sublime du Dante que les commentateurs les plus célèbres ont appliqué à cette constellation:

Io mi volsi a man destra e posi mente
All'altro polo e vidi quattro stelle
Non viste mai fuor ch' alla prima gente.

Goder parea lo ciel di lor fiammelle;
O settentrional vedovo sito

Poi che privato se' di mirar quelle !

La satisfaction que nous éprouvions en découvrant la Croix du Sud, étoit vivement partagée par les personnes de l'équipage qui

avoient habité les colonies. Dans la solitude des mers, on salue une étoile comme un ami dont on auroit été séparé depuis long-temps, Chez les Portugais et les Espagnols, des motifs particuliers semblent ajouter à cet intérêt; un sentiment religieux les attache

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