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prouver qu'il arrive quelquefois que des hommes nés sous la zone torride, après avoir habité les climats tempérés, éprouvent les effets pernicieux de la chaleur des tropiques. Le nègre étoit un jeune homme de dix-huit ans, très-robuste, et né sur la côte de Guinée. Un séjour de quelques années sur le plateau des Castilles avoit donné à son organisation ce degré d'excitabilité qui rend les miasmes de la zone torride si dangereux pour les habitans des pays septentrionaux.

Le sol qu'occupe la ville de Cumana fait partie d'un terrain très-remarquable sous le point de vue géologique. Comme depuis mon retour en Europe, d'autres voyageurs m'ont devancé dans la description de quelques parties des côtes qu'ils ont visitées après moi,

dois me borner ici à donner du développe

ment aux observations vers lesquelles leurs études n'étoient point dirigées. La chaîne des Alpes calcaires du Bergantin et du Tataraqual se prolonge de l'est à l'ouest depuis la cime de l'Imposible jusqu'au port de Mochima et au Campanario. La mer, dans des temps très-reculés, paroît avoir séparé ce rideau de montagnes de la côte rocheuse d'Araya et de

Maniquarez. Le vaste golfe de Cariaco est dû à une irruption pélagique, et l'on ne sauroit douter qu'à cette époque, les eaux ont couvert, sur la rive méridionale, tout le terrain imprégné de muriate de soude que traverse le Rio Manzanares. Il suffit de jeter un coup d'œil sur le plan topographique de la ville de Cumana, pour prouver ce fait aussi indubitable que l'ancien séjour de la mer dans le bassin de Paris, d'Oxford et de Rome. Une retraite lente des eaux a mis à sec cette plage étendue dans laquelle s'élève un groupe de monticules composés de gypse et de brèches calcaires, de la formation la plus récente.

La ville de Cumana est adossée à ce groupe qui étoit jadis une île du golfe de Cariaco. La partie de la plaine qui est au nord de la ville s'appelle la Petite Plage 1; elle s'étend à l'est jusqu'à Punta Delgada, où une vallée étroite, couverte de Gomphrena flava, marque encore le point de l'ancien déversoir des eaux. Cette vallée, dont l'entrée n'est défendue par aucun ouvrage extérieur, est le point par lequel la place est le plus exposée à une attaque mili

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taire. L'ennemi peut passer en toute sûreté entre la Pointe des sables du Barigon et l'embouchure du Manzanares, où la mer, près de l'entrée du golfe de Cariaco, a 40, 50 et, plus au sud-est, même jusqu'à 87 brasses de fond. Il peut débarquer près de Punta Delgada, et prendre le fort Saint-Antoine et la ville de Cumana de revers, sans craindre le feu des batteries de l'ouest construites à la Petite Plage 2, à l'embouchure de la rivière, et au Cerro Colorado.

La colline de brèches calcaires, que nous venons de considérer comme une île dans l'ancien golfe, est couverte d'une forêt épaisse de Cierges et de Raquettes. Il y en a qui ont trente à quarante pieds de haut, et dont le tronc, couvert de Lichens et divisé en plusieurs branches, en forme de candélabre, offre un aspect extraordinaire. Près de Maniquarez, à la Punta Araya, nous avons mesuré un Cactier dont le tronc avoit plus de quatre pieds neuf pouces de circonférence 3. Un

1

Punta Arenas del Barigon, au sud du château d'Araya.

2 A l'ouest de los Serritos.

3 Tuna macho. On distingue dans le bois du Cactus

Européen, qui ne connoît que les Raquettes de nos serres, est surpris de voir que le bois de ce végétal devient extrêmement dur avec l'âge, qu'il résiste pendant des siècles à l'air et à l'humidité, et que les Indiens de Cumana l'emploient de préférence pour des rames et des seuils de porte. Cumana, Coro, l'île de la Marguerite et Curaçao sont les endroits de l'Amérique méridionale qui abondent le plus en végétaux de la famille des Nopalées. C'est là seulement que des botanistes, après un long séjour, pourroient composer une monographie des Cactus qui varient singulièrement, non dans leurs fleurs et leurs fruits, mais dans la forme de leur tige articulée, le nombre des arêtes et la disposition des épines. Nous verrons dans la suite comment ces végétaux, qui caractérisent un climat chaud et excessivement sec, semblable à celui de l'Égypte et de la Californie, disparoissent peu à peu à mesure que l'on s'éloigne de la Terre-Ferme pour pénétrer dans l'intérieur des terres.

les prolongemens médullaires, comme M. Desfontaines l'a déjà observé. (Journ. de Phys., T. XLVIII, p. 153.)

Les groupes de Cierges et de Raquettes. sont, pour les terrains arides de l'Amérique équinoxiale, ce que les marécages, couverts de Joncacées et d'Hydrocaridées, sont pour nos pays du Nord. On regarde presque comme impénétrable un endroit où des Cactiers. épineux de la grande espèce sont réunis par bandes. Ces endroits, appelés Tunales, n'arrêtent pas seulement l'indigène qui marche nu jusqu'à la ceinture; ils se font craindre également des castes pourvues de vêtemens. Dans nos promenades solitaires, nous essayâmes de pénétrer quelquefois dans le Tunal qui couronne le sommet de la colline du château, et dont une partie est traversée par un sentier. C'est là qu'on pourroit étudier, sur des milliers d'individus, l'organisation de ce singulier végétal. Quelquefois la nuit nous surprit subitement; car le crépuscule est presque nul sous ce climat. Nous nous trouvâmes alors dans une position d'autant plus pénible que le Cascabel ou serpent à sonnettes', le Coral,

1 Crotalus cumanensis et C. Löflingii, deux espèces nouvelles. Voyez mon Recueil d'Observ. zoologiques, T. II, p. 8.

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