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la nation basque. Avant d'avoir été nommé gouverneur de Portobelo et de Cumana, il s'étoit distingué comme capitaine de vaisseau dans la marine royale. Son nom rappelle un des événemens les plus extraordinaires et les plus affligeans que présente l'histoire des guerres maritimes. Lors de la dernière rupture entre l'Espagne et l'Angleterre, deux frères de M. d'Emparan se battirent, pendant la nuit, devant le port de Cadix, l'un prenant le vaisseau de l'autre pour une embarcation ennemie. Le combat fut si terrible les deux vaisseaux coulèrent presque à la fois. Une très-petite partie des équipages fut sauvée, et les deux frères eurent le malheur de se reconnoître peu de temps avant leur

que

mort.

Le gouverneur de Cumana nous témoigna beaucoup de satisfaction de la résolution que nous avions prise de séjourner quelque temps dans la Nouvelle-Andalousie, dont le nom, à cette époque, étoit presque inconnu en Europe, et qui, dans ses montagnes et sur le bord de ses nombreuses rivières, renferme un grand nombre d'objets dignes de fixer l'attention des naturalistes. M. d'Emparan

nous montra des cotons teints avec des plantes indigènes, et de beaux meubles pour lesquels on avoit employé exclusivement les bois du pays il s'intéressoit vivement à tout ce qui a rapport à la physique, et il demanda, à notre grand étonnement, si nous pensions que, sous le beau ciel des Tropiques, l'atmosphère contenoit moins d'azote (azotico) qu'en Espagne, ou si la rapidité avec laquelle le fer s'oxide dans ces climats, étoit uniquement l'effet d'une plus grande humidité indiquée par l'hygromètre à cheveu. Le nom de la patrie, prononcé sur une côte lointaine, ne sauroit être plus agréable à l'oreille du voyageur, que ne l'étoient pour nous ces mots d'azote, d'oxide de fer et d'hygromètre. Nous savions que, malgré les ordres de la cour et les recommandations d'un ministre puissant, notre séjour dans les colonies espagnoles nous exposeroit à des désagrémens sans nombre, si nous ne parvenions à inspirer un intérêt particulier à ceux qui gouvernent ces vastes contrées. M. d'Emparan aimoit trop les sciences pour trouver étrange que nous vinssions de si loin recueillir des plantes et déterminer la position de quelques lieux

par des moyens astronomiques. Il ne supposa d'autres motifs à notre voyage que ceux qui étoient énoncés dans nos passeports, et les marques publiques de considération qu'il nous a données pendant un long séjour dans son gouvernement, ont contribué beaucoup à nous procurer un accueil favorable dans toutes les parties de l'Amérique méridionale.

Nous fimes débarquer nos instrumens vers le soir, et nous eûmes la satisfaction de trouver qu'aucun n'avoit été endommagé. Nous louâmes une maison spacieuse, et dont l'exposition étoit favorable pour les observations astronomiques. On y jouissoit d'une fraîcheur agréable, lorsque la brise souffloit; les fenêtres étoient dépourvues de vitres, et même de ces carreaux de papier qui, le plus souvent, remplacent les vitres à Cumana. Tous les passagers du Pizarro quittèrent le bâtiment, mais la convalescence de ceux qui avoient été attaqués de la fièvre maligne étoit très-lente. Nous en vîmes qui, après un mois, malgré les soins qui leur avoient été donnés par leurs compatriotes, étoient encore d'une foiblesse et d'une maigreur effrayantes. L'hospitalité, dans les colonies espagnoles,

est telle, qu'un Européen qui arrive, sans recommandation et sans moyens pécuniaires, est presque sûr de trouver du secours s'il débarque dans quelque port pour cause de maladie. Les Catalans, les Galiciens et les Biscayens ont les rapports les plus fréquens avec l'Amérique. Ils y forment comme trois corporations distinctes, qui exercent une influence remarquable sur les mœurs, l'industrie et le commerce colonial. Le plus pauvre habitant de Siges ou de Vigo est sûr d'être reçu dans la maison d'un Pulpero' Catalan ou Galicien, soit qu'il arrive au Chili, au Mexique ou aux îles Philippines. J'ai vu les exemples les plus touchans de ces soins rendus à des inconnus, pendant des années entières, et toujours sans murmure. On a dit que l'hospitalité étoit facile à exercer dans un climat heureux, où la nourriture est abondante, où les végétaux indigènes fournissent des remèdes salutaires, et où le malade, couché dans un hamac, trouve sous un hangar l'abri dont il a besoin. Mais doit-on compter pour rien l'embarras causé dans une

Petit marchand.

famille par l'arrivée d'un étranger dont on ne connoît pas le caractère? Est-il permis d'oublier ces témoignages d'une douceur compatissante, ces soins affectueux des femmes et cette patience qui ne se lasse point dans une longue et pénible convalescence? On a remarqué qu'à l'exception de quelques villes très - populeuses, l'hospitalité n'a pas encore diminué d'une manière sensible depuis le premier établissement des colons espagnols dans le nouveau monde. Il est affligeant de penser que ce changement aura lieu, lorque la population et l'industrie coloniale feront des progrès plus rapides, et que cet état de la société, que l'on est convenu d'appeler une civilisation avancée, aura banni peu à peu « la vieille franchise castillane. »

Parmi les malades qui débarquèrent à Cumana, se trouvoit un nègre qui tomba en démence, peu de jours après notre arrivée : il mourut dans cet état déplorable, quoique son maître, vieillard presque septuagénaire, qui avoit quitté l'Europe pour chercher un établissement à San Blas, à l'entrée du golfe de Californie, lui eût prodigué tous les secours imaginables. Je cite ce fait pour

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