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Je ne m'étendrai pas davantage sur les rapports qui existent entre les résultats obtenus par le cyanomètre de Saussure et le lucimètre de Bouguer. On sait que cette matière appartient aux recherches les plus délicates de l'optique; et la teinte du ciel mérite d'autant plus l'attention des physiciens, que les expériences ingénieuses de M. Arago ont prouvé récemment que la lumière aérienne est composée de rayons qui ne sont pas de la même nature, puisqu'elle en renferme qui ne sont pas susceptibles d'être polarisés.

Si le cyanometre indique, je ne dirai pas la quantité, mais l'accumulation et la nature des vapeurs opaques contenues dans l'air, le navigateur a une manière plus simple de juger de l'état des basses régions de l'atmosphère. Il observe attentivement la couleur et la figure du disque solaire à son lever et à son coucher. Ce disque, vu à travers les couches d'air qui reposent immédiatement sur l'Océan, annonce la durée du beau temps, le calme ou la force du vent. C'est une espèce de diaphanomètre dont les indications ont

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Voyez la description de l'appareil auquel Saussure

été interprétées, depuis des siècles, avec plus ou moins de succès. Sous la zone torride, où les phénomènes météorologiques se succèdent avec une grande régularité, et où les réfractions horizontales sont plus uniformes, les pronostics sont plus sûrs que dans les régions boréales. Une grande pâleur du soleil couchant, une couleur blafarde, une défiguration extraordinaire du disque y sont des signes de tempête rarement équivoques, et l'on a de la peine à concevoir comment l'état des basses couches de l'atmosphère, que nous révèle ce diaphanomètre naturel, peut être aussi intimement lié à des changemens météorologiques qui ont lieu huit ou dix heures après le coucher du soleil.

Les marins, plus encore que les habitans de la campagne, ont perfectionné la connoissance physionomique du ciel. N'apercevant la surface de l'Océan et la voûte céleste qui semble reposer sur elle, ils fixent perpétuellement leur attention sur les plus petites modifications qu'éprouve l'atmosphère. Parmi

que

a donné ce nom, dans les Mém. de Turin, Tom. IV, P. 425.

le grand nombre de règles météorologiques, que les pilotes se transmettent, comme par héritage, il y en a plusieurs qui annoncent beaucoup de sagacité; et, en général, les pronostics sont moins incertains dans le bassin des mers, surtout dans la partie équinoxiale de l'Océan, que sur le continent, où la configuration du sol, les montagnes et les plaines troublent la régularité des phénomènes météorologiques. L'influence des lunaisons sur la durée des tempêtes, l'action que la lune exerce à son lever, pendant plusieurs jours de suite, sur la dissolution des nuages, la liaison intime qui existe entre les abaissemens des baromètres marins et les changemens du temps, et d'autres faits analogues, se manifestent à peine dans l'intérieur des terres comprises dans la zone variable, tandis que leur réalité ne paroît pas susceptible d'être niée par ceux qui ont navigué long-temps entre les tropiques.

J'ai tenté d'employer le cyanomètre à la mesure de la couleur de la mer. Quoique cette couleur soit le plus souvent verte, on n'a pas besoin d'un chloromètre pour évaluer l'intensité de sa teinte. Il ne s'agit, dans cette

expérience, que du ton de couleur, de la nuance plus ou moins foncée, et non de la nature individuelle ou de la qualité de la couleur. Par un beau temps serein, la teinte de l'Océan a été égale au 33.TM, au 38.mc, quelquefois même au 44.me degré du cyanomètre, quoique la voûte du ciel fût très-pâle et atteignît à peine le 14.me ou 15.me degré. Il seroit inutile de répéter ces expériences quand l'atmosphère est chargée de nuages, ou à l'ombre que projette le corps du vaisseau. Lorsqu'au lieu de diriger le cyanomètre vers une grande étendue de mer libre, on fixe

les

yeux sur une petite partie de sa surface à travers une ouverture étroite, l'eau paroît d'une couleur d'outremer superbe. Au contraire, vers le soir, quand le bord des vagues, éclairé par le soleil, brille d'un vert d'émeraude, la face, du côté de l'ombre, a un reflet pourpré.

Rien n'est plus frappant que les changemens rapides qu'éprouve la couleur de l'Océan par un ciel clair, et sans que l'on observe les moindres variations dans l'atmosphère. Je ne parle pas ici de la teinte laiteuse et blanchâtre qui caractérise les eaux de sonde et les bas

fonds, et qui ne peut être due qu'au sable suspendu dans le liquide, puisqu'elle se trouve dans des parages où le fond, à vingt ou trente brasses de profondeur, n'est aucunement visible je parle de ces changemens extraordinaires par lesquels, au milieu du vaste bassin de l'Océan équinoxial, l'eau passe du bleu d'indigo au vert le plus foncé, et de celui-ci au gris d'ardoise, sans que l'azur de la voûte céleste ou la couleur des nuages paroissent y influer.

La teinte bleue de l'Océan est presque indépendante du reflet du ciel. En général, les mers des tropiques sont d'un azur plus intense et plus pur que les mers situées sous de hautes latitudes, et cette différence se fait remarquer jusque dans le Gulf Stream. L'Océan reste souvent bleu, lorsque, par un beau temps, plus des quatre cinquièmes de la voûte céleste sont couverts de légers nuages blancs et épars. Les savans qui n'admettent pas la théorie de Newton, sur la coloration", considèrent le bleu du ciel comme le noir de

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Antonio de Dominis, La Hire et M. de Göthe. (Mém. de l'Acad., Tom. IX, p. 615; Farbenlehre, Tom. I., p. 59.)

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