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sulter l'histoire, dont les enseignements infaillibles sont par malheur trop peu écoutés. Notre but est simplement d'éveiller la sollicitude tardive de ceux qui nous ont imprudemment fait ce régime. Nous ne voulons pas être injustes envers l'Association, que nous sommes loin de confondre avec sa rivale; nous reconnaissons avec plaisir qu'elle s'est montrée nationale et dévouée à la patrie dans ces temps de crise; mais nous maintenons que le rôle qu'elle affecte de société directrice du Gouvernement et du pouvoir législatif, constitue un danger public. Ce rôle tend à détruire la libre action du Gouvernement et la liberté parlementaire; à déplacer le pouvoir pour le transporter là où la Constitution ne l'a pas mis, là où il ne peut pas être ; à jeter la confusion dans l'État, pour finir peut-être par y créer l'anarchie. Et qu'on ne se repose pas sur l'esprit modéré qu'on attribue à tort ou à raison à quelques chefs de cette société. Nous ferons une large part aux hommes trop confiants en acceptant ce qu'ils en disent sans autre examen; mais nous répéterons ce que nous avons dit maintes fois un club ne saurait se modérer ni s'arrêter, et toujours les hommes les plus raisonnables finiront par être débordés par de plus ardents. Telle est la loi inflexible de la constitution des clubs, et l'ancienne Alliance nous en a fourni un exemple assez récent. Que le Gouvernement et les Chambres y prennent garde. Si l'on tarde à se dégager de la pression extra-parlementaire, on se créera bientôt une situation destructive de nos institutions, de l'ordre et de la prospérité publique.

D. O.

DES CAUSES QUI ONT ASSURÉ LA TRANQUILLITÉ DE LA

BELGIQUE AU MILIEU DES ÉVÉNEMENTS DE 1848.

Lettre adressée à M. Matteucci, professeur à l'Université de Píse el envoyé extraordinaire de S. A. I. le grand-duc de Toscane près de l'Assemblée de Francfort.

Ainsi que nous l'avons fait ressortir dans un de nos derniers articles, la Belgique avait été très-mal jugée à l'étranger après sa révolution de 1850; on l'avait représentée comme prête à prendre part à toutes les commotions qui viendraient à surgir autour d'elle, et comme n'offrant aucune garantie à la cause de l'ordre. Les événements ont prouvé que l'Europe connaissait fort mal notre pays, et qu'elle le jugeait beaucoup plus sur les préventions suscitées contre lui que sur la réalité.

On peut en être persuadé, cette erreur n'a pas peu contribué à augmenter les difficultés extérieures dont nous avons eu à souffrir jusqu'en 1839, et leur solution eût été beaucoup plus favorable à la nation belge, si elle avait été jugée telle qu'elle est dévouée aux principes de l'ordre et de la société, ennemie des essais dangereux, positive dans ses travaux comme dans ses opinions, opposant à l'enthousiasme irréfléchi de ses voisins du midi, le calme et la fermeté de la réflexion, aimant son Roi et luri sachant gré d'un dévouement qui, au milieu des circonstances périlleuses où nous nous trouvons, n'a été égalé que par ce lui du peuple.

1848 a mis ces belles qualités en relief, et l'étranger, frappé d'un spectacle aussi admirable au milieu des commotions qui ensanglantaient l'Europe, a battu des deux mains en l'honneur de la Belgique. Il a demandé quelle était la cause de ce phénomène, il a voulu savoir comment un pays représenté comme turbulent, comme devant suivre toutes les tristes expériences qu'il plairait à la France d'entreprendre, s'était montré si fidèle à son Roi, à ses institutions, à ses sages libertés. Frappé comme tout le monde du calme heureux dont jouissait la Belgique au milieu de tant de catastrophes, M. Matteucci, envoyé extraordinaire du grand-duc de Toscane près de l'Assemblée de Francfort, s'est donné la tâche de résoudre ce problème, dans l'espoir qu'un pareil examen pourrait n'être pas sans fruit pour son propre pays, par les exemples à suivre, par les institutions à imiter. Il s'est adressé à un de ses anciens amis en Belgique; il l'a prié de l'éclairer sur les causes du phénomène politique qui appelle, à juste titre, l'attention de l'Europe. Nous donnous ici quelques extraits de la réponse du correspondant de M. Matteucci.

Après avoir esquissé les traits généraux du caractère de la population belge, son esprit industrieux, ses habitudes laborieuses, son attachement à la foi religieuse et à la liberté et la rectitude de son jugement, l'auteur de la lettre à M. Matteucci rappelle « qu'en 1830, au moment de la plus grande exaltation révolutionnaire, l'on entendait de simples ouvriers, inspirés par un heureux instinct à défaut de connaissances politiques, s'écrier: Il nous faut un Roi! Ils comprenaient clairement que la proclamation de la Royauté aurait mis un terme à l'état provisoire, rétabli la confiance, ranimé le crédit, et avec le crédit le travail. Et si pendant l'année calamiteuse de 1848, les ouvriers belges ne se sont pas laissé séduire par les promesses des utopistes; si, malgré la misère à laquelle ils étaient en proie, ils ont fermé l'oreille aux conseils perfides de ceux qui les poussaient à la révolte, c'est à leur bon sens qu'on le doit, au bon sens qui leur fit comprendre combien ces promesses étaient fallacieuses et mensongères, et comment une révolte sans causes, sans motifs, ne pouvait qu'empirer leur situation; d'autant plus admirables en cela que les exemples d'un peuple, qui a conservé le bon sens au milieu des crises révolutionnaires, sont extrêmement rares.

» Les bonnes qualités dont les Belges sont doués et que je viens de faire ressortir ont été conservées intactes par eux dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Les plus grands événements, la révolution française ellemême et l'empire ont passé sur eux sans les altérer d'une manière sensible. »

L'auteur de la lettre trace ensuite l'historique de la domination hollandaise, rappelle les phases diverses de la révolution de 1830, et arrive à l'époque où le choix du chef de l'Etat devint l'objet de toutes les préoccupations.

Après différentes et inutiles tentatives pour trouver un Roi, la candidature du prince Léopold de Saxe-Cobourg fut proposée. Un tel nom rencontra d'abord des objections dans le Congrès et dans la nation. Comment, se disaiton, la Belgique, pays éminemment catholique, choisirait pour Roi un prince protestant !

» La Belgique, dont la Constitution est la plus démocratique qui existe, aurait pour chef un prince élevé à l'école de l'aristocratie anglaise !

>> Mais les faits ne tardèrent pas à démontrer combien l'opinion s'était trompée et sur l'opportunité du choix et sur les qualités du prince.

» La facile victoire que les Belges avaient obtenue sur les Hollandais, en 1830, et l'état tout à fait nouveau pour eux d'une indépendance absolue les avaient enivrés, les avaient portés à mépriser l'ennemi, et fait dévier pour un instant leur jugement de sa rectitude habituelle. Parce que les blouses du peuple avaient vaincu une fois les uniformes militaires, surpris par un mouvement soudain et populaire, les Belges se persuadèrent que les unes auraient toujours dompté les autres. Selon eux, les blouses qui avaient suffi à soustraire à la domination étrangère la plus grande partie du pays, non-seulement auraient été capables de le défendre, mais encore de se jeter sur la partie encore occupée et d'en chasser l'ennemi. Les Belges ne prirent donc pas grand soin d'établir l'ordre et la discipline dans l'armée (ce qui n'est pas étonnant, car les idées d'ordre ont de la peine à se frayer un chemin après la confusion produite par une révolution), et ceux qui proposèrent que l'on appelât des officiers étrangers, passèrent pour de mauvais citoyens.

>> Le prince Léopold de Saxe-Cobourg arriva à Bruxelles en juillet 1851, et la Belgique passa dès ce moment de l'état révolutionnaire à l'état normal. » Les Rois qui d'absolus deviennent constitutionnels, et ne jouissent plus en conséquence que d'un pouvoir limité, sont naturellement portés à regretter le passé. Ce n'est pas qu'ils aient raison de dire, avec le grand poëte florentin :

Nessum maggior dolore che ricordarsi del tempo felice
Nella miseria (1).

Car ce n'est pas un bonheur que l'absence de tout frein à la volonté; mais il est assez naturel que les Rois le disent, non parce qu'ils sont Rois, mais parce qu'ils sont hommes.

>> Bien différente est la situation de celui qui, étant prince étranger et sans couronne, est élu Roi par une nation. La nation et le Roi se trouvent vis-àvis l'un de l'autre dans une situation moins difficile et moins délicate. Telle

(1) Rien de plus douloureux que de se souvenir des jours du bonheur dans la détresse.

était celle de la Belgique et du prince Léopold, lorsque celui-ci vint se placer à la tête du nouvel État.

» D'autres difficultés néanmoins attendaient le Roi. >>

L'auteur de la lettre signale ici les luttes des deux grands partis qui se sont combattus pendant de longues années. Il arrive enfin à la révolution du 24 février:

«L'heure fatale du 24 février 1848 sonna. La révolution dont Paris fut le théâtre, jeta la Belgique dans la stupeur, comme la France elle-même, comme l'Europe, comme le monde entier. Des trônes furent renversés ou ébranlés sur leurs bases, des institutions nouvelles prirent la place des anciennes, des guerres civiles éclatèrent.

» On est assez d'opinion que, malgré le peu d'importance du parti républicain dans ce pays, malgré le peu de chemin que les idées socialistes y ont fait, la Belgique aurait pu éprouver le sort de la France si, dans ce moment décisif, au lieu du parti libéral, le parti catholique eût été au pouvoir.

>> Dans des conjonctures aussi graves, il ne faut qu'une étincelle pour allumer un vaste incendie. Le mécontentement qui, en temps ordinaire, sait patienter et attendre son heure que doit amener le jeu régulier des institutions constitutionnelles, peut, dans un moment où les imaginations sont vivement ébranlées, éclater par une explosion soudaine, dont les conséquences ne sont jamais calculées. Un cri poussé par quelques exaltés contre une opinion au pouvoir, dont la chute était imminente, cri auquel auraient répondu ces hommes que l'on trouve toujours dans les grandes capitales et que le désordre enivre, aurait suffi pour faire naître des troubles. Ces troubles, soutenus par le mauvais vouloir de quelques personnages qui avaient alors de l'influence sur la conduite de la république française, pouvaient, dans l'état d'inquiétude où se trouvaient les esprits, rendre possible la proclamation du système républicain en Belgique, et verser sur cette heureuse terre des maux aussi grands que ceux qui ont pesé et pèsent encore sur la France.

» C'est lorsqu'on court le danger de le perdre qu'on apprécie à sa juste valeur le bien que l'on possède. Ce fut alors que les Belges comprirent de quel prix étaient pour eux l'indépendance nationale et la Constitution. Et on doit le déclarer pour conserver ces biens si précieux, du Roi jusqu'au simple citoyen, tout le monde fit son devoir.

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» Le Roi. Resté calme et digne dès le début de la crise, le Roi envisagea avec un admirable sang-froid, malgré les légitimes préoccupations de son cœur, les événements qui allaient être le signal du bouleversement de l'Europe. Il se donna tout entier au peuple qui lui avait confié ses destinées. Appuyé sur la Constitution, sur le patriotisme des Chambres, ne doutant pas

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