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mais elle pourrait bien finir par absorber sa malencontreuse alliée ou par prendre une attitude indépendante et d'autant plus forte.

Cette opposition, si elle se constitue, n'obtiendra pas de grands succès dans les commencements: le besoin de l'union est encore trop senti dans les Chambres et dans le pays; mais nous ne répondons pas qu'elle ne puisse créer plus tard des embarras au Gouvernement. Elle est faible aujourd'hui, mais elle doit s'accroître de toutes les ambitions, de toutes les déceptions, de tous les mécontentements. Ce que nous disions, il y a trois ans, de l'opposition systématique (1), lui deviendra parfaitement applicable, et le cabinet actuel et sa majorité se trouveront à son égard dans la position que la politique précédente occupait en face de ses successeurs. Les noms propres changés, la situation sera la même, avec toutefois cette différence notable que les anciens gouvernants n'avaient rien accordé sur les principes dont on exigeait les conséquences.

Dans ce cas, la règle de notre conduite est toute tracée. Sans faire acception de personnes, nous nous rangerons toujours du côté de l'ordre et de la justice, pour combattre les doctrines qui bouleversent la société, Sine irá et studio.

(1) Tome Ier, page 149.

D. O.

DE LA RESURRECTION DES CLUBS.

L'Association libérale se réveille à l'instar de l'Alliance. Elle vient de faire une démonstration en faveur du projet de loi sur les successions en ligne directe, en votant une adresse dans laquelle elle déclare que la loi proposée est démocratique par son principe comme par ses conséquences; que c'est une bonne fortune, pour l'Association, de voir une mesure aussi libérale et aussi populaire émaner du pouvoir exécutif lui-même; qu'elle doit appuyer l'initiative du Gouvernement. Dans cette adresse, elle dit aux sénateurs et représentants de l'arrondissement de Bruxelles : « Vous êtes nos représentants dans le Parlement, vous y serez notre organe. »>

Bien des choses sont à reprendre dans cet étrange document, mais il en est que nous nous contenterons d'effleurer.

D'abord, il est assez singulier, pour ne rien dire de plus, de voir des contribuables réclamer de nouveaux impôts, applaudir à leur demande, les déclarer populaires et ordonner à leurs représentants de les voter. Jusqu'à présent, le patriotisme le plus dévoué et le plus intelligent s'était borné à se résigner aux impôts nécessaires et convenablement établis, et à les payer sans murmurer; comment se fait-il que l'Association travaille à pousser les gouvernants dans une voie où ils sont trop naturellement disposés à se laisser entraîner? dans une voie où la mission des corps représentatifs est précisément de contrôler et de modérer les tendances ministérielles? Évidemment, l'Association a été séduite par le désir d'intervenir dans le Gouvernement et de faire acte de puissance.

L'Association n'est pas heureuse dans le choix de l'occasion, et elle donne à l'impôt qu'elle fait sien des éloges, sur lesquels l'auteur ne comptait peut

être pas. Elle l'appelle d'abord démocratique, ce qui est pour nous un non sens. Il ne saurait y avoir d'impôt démocratique plus que de justice démocratique, et tout citoyen, pauvre ou riche, a droit à la même protection, à la même impartialité de la loi. Nul ne peut être lesé au profit d'autrui.

Loin d'être démocratique, ce qui ne pourrait avoir lieu, même incomplétement, que moyennant un privilége inconstitutionnel de charges, l'impôt dont il s'agit, blesserait surtout les intérêts des classes inférieures, parce qu'un sacrifice, si petit qu'il soit, est plus lourd pour celui qui a peu de chose que pour celui qui a des ressources plus étendues. Prenez une succession de dix mille francs, par exemple, partagée entre quatre enfants; un impôt de vingt-cinq francs ne paraît pas bien fort au premier aspect : mais il faut faire réflexion que chacun des enfants, ayant peut-être lui-même une famille à élever, est forcé de continuer les affaires paternelles sur une échelle beaucoup moindre, d'employer tout ce qu'il possède pour remonter au niveau de ses parents, et qu'il doit prendre sur son capital la taxe que d'autres peuvent payer sur leur revenu. Cet impôt est nuisible au crédit de celui qui doit créer sa fortune en ce qu'il divulgue ses affaires. Il est plus injuste pour les classes inférieures, parce que là (on l'a dit avant nous) le patrimoine se compose très-souvent du produit de l'industrie des enfants aussi bien que du produit de l'industrie du père; cette considération trouve à s'appliquer fréquemment dans nos villes, mais elle touche encore plus aux intérêts de la population agricole qui forme les trois quarts de celle du royaume. Avant de se partager une mince succession, représentant en partie leur propre travail, les enfants seront donc contraints de l'ébrécher au profit du fisc. Et une pareille législation serait populaire! Nous ne nous en serions pas doutés. Il est vrai que nous ne sommes pas du pays intelligent.

Nous n'examinerons pas plus longuement la démarche de l'Association au point de vue financier. La malencontreuse conception de M. Frère a été trop bien appréciée par la presse et dans la Chambre, pour que nous croyons devoir répéter en d'autres termes ce qui s'en est dit à suffisance. C'est le côté politique de l'adresse qui nous frappe plus particulièrement, parce que cette intervention des clubs dans la conduite gouvernementale et législative nous paraît avoir beaucoup de gravité.

Nous prions nos lecteurs de nous excuser, si nous leur remettons quelquefois sous les yeux ce que nous avons dit à d'autres époques. Les faits qui se passent ne sont que les conséquences des principes dont nous les avons autrefois entretenus, et pour les bien juger, il faut les rapprocher de leurs antécédents.

Dans notre article sur la réforme-Castiau (1) nous avons été amenés à

(1) Tome II, page 152.

parler des fâcheux effets que l'existence des clubs devait produire sur la Chambre. Nous avons, dès-lors, dit que leurs adhérents, députés, se trouvaient, indirectement, à leur insu peut-être, sous l'empire d'une contrainte morale. Nous avons ajouté que, même en supposant ces députés indépendants en fait, l'existence d'une association n'en était pas moins un malheur pour eux, en ce qu'elle laissait planer un doute invincible sur la spontanéité de leur conduite. Nous avons terminé en citant les paroles d'un orateur peu suspect aux yeux de nos contradicteurs, M. Dolez. Ce représentant articulait beaucoup plus positivement que nous-mêmes que l'existence d'une association permanente, délibérant sur les intérêts généraux de l'État, devait finir par altérer la liberté parlementaire; qu'une tribune élevée à côté de la tribune légale, accessible à une seule opinion, sans le double contrepoids d'une opinion contraire et des organes du Gouvernement, serait fatalement entraînée dans une marche plus rapide que la tribune parlementaire qu'elle précéderait toujours. « Ne craignez-vous pas, disait-il, que cette dernière >> ne soit plus bientôt qu'un inutile écho? Eh! je sais, MM., que votre con» science repousse ces conséquences que votre bonne foi n'entrevoit pas, >> mais, soyez-en bien sûr, ces conséquences sont dans la fatalité des » faits (1). »

Plus tard, examinant l'influence des clubs sur les assemblées délibérantes, nous disions :

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L'existence d'associations extra-parlementaires doit finir par rendre impératifs les mandats de leurs adeptes, malgré leurs répugnances » les plus sincères.

» Il est dans la nature même des choses que les associations tendent à » diriger le vote de ceux qu'elles font élire. Elles n'exigent pas que leurs » adhérents, électeurs, abdiquent la liberté de leur choix personnel pour laisser aux élus la liberté de leur vote personnel. Elles n'obligent pas les candidats à recevoir préalablement leurs décisions politiques pour leur > permettre de voter en sens contraire sur les bancs de la Chambre. Les > associations n'auraient pas de but si elles n'entendaient diriger les votes de » leurs élus aussi bien que ceux de leurs électeurs.

» Et qu'on ne nous dise pas que cette influence ne s'étend qu'à quelques » questions de principe. Nous répondrons qu'elle s'étend à toute question » que les associations trouveront bon de définir, et que ces questions ne » tarderont pas à devenir nombreuses, car le despotisme collectif est encorc >> plus insatiable que le despotisme individuel.....

(1) Tome II, page 154 et Annales parlementaires, séance du 11 mars 1847, page 1115.

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» Le représentant qui a subi le vasselage des associations, a done perdu, » aux yeux du public, tout le prestige de son indépendance et de sa valeur politique individuelle. Il amoindrit considérablement, pour ne pas dire » plus, son indépendance effective, car chaque fois que, différant d'avis avec » ses suzerains, il sera tenté de faire acte de libre arbitre, il courra le risque » de se faire qualifier de renégat et traiter comme tel aux premières élec» tions. Que le sentiment de la dignité personnelle, ou, pour mieux dire, » de la conscience, détermine, de loin en loin, quelqu'un à braver ce danger, » il se peut mais la force de caractère est malheureusement une qualité » trop rare, pour que de tels exemples soient nombreux et comptent autre»ment que comme exceptions (1). »

L'événement a-t-il justifié notre parole et la parole plus formelle encore de M. Dolez? Nous n'entendons pas critiquer témérairement ce qui s'est fait dans des temps orageux, où il fallait peut-être jeter une partie de son lest à la mer, mais nous croyons pouvoir dire que la loi n'a fait plusieurs fois que formuler la volonté des clubs. Cette pression paraissait depuis quelques mois ne plus se faire sentir, mais voilà que ces clubs reparaissent avec toutes leurs exigences.

Comme nous l'avons vu dans l'article précédent, on trouve à l'Alliance que rien n'est fait, et l'Association libérale elle-même, à laquelle nous avons toujours reconnu plus de modération relative, vient accomplir la prédiction de M. Dolez, élever sa tribune « à côté de celle que nos institutions appellent » à la direction des intérêts publics. » Nous la voyons « entraînée dans une » marche plus rapide que celle de la tribune parlementaire qu'elle précédera » toujours; » et pour peu que les choses durent, cette dernière ne sera plus bientôt « qu'un inutile écho. »

Une loi financière est présentée; elle soulève une réprobation universelle. La Chambre des Représentants lui fait un accueil qui présage le rejet, et voici que de la tribune « érigée à côté de la tribune nationale, » on en ordonne l'adoption, en employant ces paroles très-significatives adressées aux députés de l'arrondissement : « Vous êtes nos représentants au Parlement; » Vous y serez nos organes. »

Avions-nous tort de dire que l'influence des clubs s'étendrait à toutes les questions que ces sociétés trouveraient bon de définir et que ces questions ne tarderaient pas à devenir nombreuses? Déjà cette influence ne se borne plus aux matières politiques, elle s'exerce sur les intérêts matériels.

Si nous avons prévu, annoncé deux ans d'avance, ce qui se passe aujourd'hui, nous n'en tirons aucune vanité. Il ne fallait pas un grand effort de génie: il suffisait d'examiner de sangfroid la marche des partis et de con

(1) Tome II, pages 552 et 555.

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