Page images
PDF
EPUB

taux, constitutionnels, nous leur donnerons ce que vaut notre appui aussi bien qu'à leurs prédécesseurs.

En énonçant la crainte manifestée dans notre article de 1847, nous ne mettions pas en doute la volonté des ministres, que nous supposions trèsdisposés à s'élever au-dessus de la région des clubs et des bancs de la gauche pour arriver au point de vue, plus haut placé, des hommes d'État. D'abord, ce changement est commandé par la force des choses. Un ministre ne saurait longtemps penser, voir, juger, comme il le faisait quand il était chef d'opposition, parce que, disions-nous, dans le même article, à cette hauteur, on voit ce qui ne se découvre pas dans la plaine du combat. Une expérience constante confirme cette vérité dans tous les pays, et, pour en donner un exemple récent, il y a bien peu de temps que M. Ledru-Rollin opposait les discours de M. Odilon Barrot, député, à ceux de M. Odilon Barrot, ministre. Que M. Ledru-Rollin, s'il recouvre un peu de raison, devienne un jour ministre d'un Gouvernement régulier, et nous lui promettons la même fortune. M. Rogier a, d'ailleurs, personnellement trop d'intelligence et de pratique des affaires pour ne pas chercher à se mettre de niveau avec sa position. Mais vouloir n'est pas toujours pouvoir, et voilà ce qui motivait chez nous des prévisions peu favorables.

Pour ne pas sacrifier le bien de la paix à de vaines rancunes, nous serons sobres de réflexions sur le passé, et nous nous abstiendrons de revenir sur les actes ministériels de 1847. Nous nous restreindrons à la position du cabinet, à l'égard des partis rivaux dont la coalition a produit sou triomphe.

« L'esprit novateur et aventureux, disions-nous dans l'article prérappelé, » l'amour de ce qu'on appelle mal à propos le progrès, dirigent l'Alliance. » L'Observateur et les hommes politiques de la ligue emploient des termes » plus sévères. L'Association libérale manifeste des idées plus raisonnables, >> associées à des idées bien avancées. L'orangisme domine dans le club » gantois......

» .......

» Le ministère, produit du 8 juin, n'est pas l'enfant d'une majorité homo» gène. Trois partis fort dissemblables, pour ne pas dire hostiles, ont con» couru à son élévation, et aucun des trois n'entendra probablement avoir >> combattu gratuitement. Comment s'y prendra-t-il pour les satisfaire ?... Le ministère est échu aux rangs de l'Association libérale, qui a >> recueilli à peu près tous les fruits de la victoire. L'Alliance n'a obtenu que >> bien peu de choses, et l'orangisme n'a eu du festin que la fumée..... Si » l'Association offre des tendances plus modérées, plus gouvernementales, » l'Alliance a pour elle la vigueur, l'activité et le prestige de ses victoires » précédentes. Sa rivale a dû baisser pavillon devant elle.... et, battue aux » élections communales, a fui la lice au mois de juin.

» Si le ministère marche dans le sens de l'Association, évidemment il se

> brouille avec le plus puissant allié, qui ne tirerait aucun avantage de la >> victoire, ni pour lui-même, ni pour ses rêveries politiques.

» S'il sacrifie à l'Alliance, nous le renvoyons à l'Observateur et à lui» même, entr'autres à M. De Haussy, pour entendre qualifier la politique de » cette société. Brouille de ce côté-là.

>> Quelque parti qu'il prenne, il ne peut compter l'orangisme que comme » dévolu à son ennemi. »

Ces prévisions étaient indiquées par l'état des choses en octobre 1847. Elles commencent à se réaliser, plus tard il est vrai, et d'une manière moins grave que nous ne nous y attendions, parce que les circonstances elles-mêmes se sont modifiées.

Le Gouvernement a été servi par les événements de l'année dernière, et c'est un de ces biens qui naissent quelquefois du mal. Tout ce qui avait du patriotisme intelligent a senti le besoin de se serrer autour du Trône. Le bouleversement européen a imposé une trève à nos querelles intestines, et beaucoup de personnes qui s'y livraient naguères, en ont perdu aujourd'hui le goût avec l'habitude. Maintenant que le danger s'est éloigné, il se trouve bien encore des esprits ardents, prêts à recommencer la lutte, mais le nombre des contendants est diminué, et les partis ont subi d'importantes modifications.

Rendons d'abord justice à l'orangisme. Tout ce que cette opinion compte d'hommes amis de l'ordre et de leur pays, a sacrifié ses rancunes pour concourir loyalement au salut public. Le Messager demeure sans écho. Le débat est donc entre l'Association et l'Alliance: mais l'Alliance de 1849 n'est plus celle de 1847, et son drapeau, naguère vainqueur, a dû se reporter en arrière à toutes les batailles électorales de 1848.

Il y a moins de danger pour le Gouvernement, mais la lutte s'ouvre cependant entre le libéralisme gouvernemental et l'ultrà-libéralisme; et il devait en être ainsi, parce que cette conséquence était dans la fatalité des faits. Nous le disions il y a trois ans déjà, et dans le premier article de ce recueil, en parlant de ceux qui dirigent aujourd'hui les affaires : « Hommes encore » gouvernementaux, malgré quelques écarts, hommes, au fond, encore enclins. » vers la modération, malgré leurs rancunes, pourront-ils, en cas de vic>>toire, demeurer associés au radicalisme et à l'esprit d'intolérance? Comp>>tent-ils peut-être contenir l'exagération, et ne savent-ils pas que les partis >> ne connaissent aucun point d'arrêt et écrasent ceux qui veulent les en» rayer (1)? » — 1849 nous montre la réponse en action.

Dès que nous avons vu une minorité, faible encore mais compacte, se

(1) Tome I, p. 11.

former dans la Chambre des Représentants, accuser le ministère de se montrer infidèle à son programme, le qualifier de retardataire et se constituer par une opposition de vingt-cinq voix, nous avons pressenti la rupture de l'ultràlibéralisme avec le cabinet, et nous l'avons annoncée à nos lecteurs dans l'article qui précède. Ce n'était qu'une simple démonstration, ou plutôt une revue des forces actives; mais peu de jours après, le manifeste de l'Alliance est venu formuler la déclaration de guerre. Cette pièce est trop curieuse et d'ailleurs trop importante dans l'histoire de nos débats pour la donner par une simple analyse. Nous allons la transcrire textuellement.

M. Gendebien, qui présidait l'assemblée, a ouvert la séance par le discours suivant :

« Messieurs, les amis de la liberté et du progrès, les amis du peuple ont toujours fait ombrage aux égoïstes, aux ambitieux. Autrefois les dragonnades, les Saint-Barthélemy; aujourd'hui l'invective, la calomnie, les vexations de toute espèce sont le partage des hommes de bien, des hommes de cœur, qui, au nom de l'humanité, protestent contre les abus et réclament justice et du pain pour tous.

» L'Alliance, Messieurs, a subi et subira, pendant quelque temps encore, la loi commune. Mais grâce aux travaux de nos pères, à l'énergie, au courage éclairé des générations actuelles, elle triomphera; car Dieu et la justice de sa cause la protégent, et lui donneront la force, la persévérance, la modération qui manquent toujours aux égoïstes, aux ambitieux.

» Nous avons su braver la calomnie; nous saurons la braver encore; oui, et c'est avec orgueil que nous la braverons; car nous avons plus que jamais acquis le droit de condamner nos ennemis.

>> Pour nous vaincre, ils ont emprunté notre drapeau; ils ont promis aux électeurs tout ce que nous avions formulé en vou. Qu'ont-ils fait du programme qu'ils nous ont dérobé, quelles promesses ont-ils accomplies? Aucune! Cependant, Messieurs, la Belgique entière en est témoin, aucun acte, aucune parole, émanés du sein de l'Alliance, n'ont fait obstacle aux progrès, aux réformes si solennellement garanties par ces caméléons politiques.

» L'Alliance est aujourd'hui ce qu'elle était hier; sa mission est toujours la même; son œuvre est toute de progrès, d'humanité. Dégagée de tous les parasites qui ont toujours fait de notre association un marche-pied pour arriver au pouvoir, pour satisfaire leur mesquine ambition, l'Alliance marchera plus forte, plus calme, plus unanime, au triomphe de la justice, à l'extirpation des abus, à la conquête de la vraie liberté, c'est-à-dire, de la liberté de tous et pour tous.

>> Reprenons notre œuvre, Messieurs, et montrons à nos ennemis que la calomnie, loin de décourager les hommes de cœur, leur fait mieux com prendre la nécessité de triompher.

>> Lorsque j'ai accepté, il y a bientôt un an, l'honneur de vous présider, je savais les calomnies qui me poursuivaient. Clameurs impuissantes! Ils avaient donc oublié que j'avais été honoré des mêmes calomnies sous un autre Gouvernement. Ils ont oublié, les imprudents, que je n'ai jamais répondu à ces calomnies, mais qu'au mois d'août 1830, j'ai puisé une grande partie de ma force dans ces mêmes calomnies.

>> Messieurs, faites de même, méprisez les calomnies; elles vous aideront à arriver au but. »

Tel est donc le manifeste de l'Alliance. A notre avis, il ne se distingue des autres documents de ce genre que par un style plus acrimonieux. Toujours même emphase pour les auteurs et même dédain pour les adversaires; même vague dans les promesses et même vague dans les reproches. Toujours des mots au lieu de faits. Le ministère ne doit pas redouter beaucoup un pareil acte d'accusation.

Nous ne croyons pas que cette scission doive produire des résultats immédiats bien importants. L'Alliance se fait une singulière illusion sur sa force. D'abord, elle rencontre, pour premier obstacle, l'homme même qui la dirige.

Loin de nous de vouloir faire une satyre. Nous avons toujours évité les noms propres, et quand nous avons été forcés de les mentionner, nous l'avons fait avec modération et convenance. Nous ne dérogerons pas à cette règle, invariablement suivie, quand il s'agit d'une personne qui a des droits à notre estime, malgré l'éloignement de nos opinions.

M. Gendebien, dont nous sommes contraints de parler, puisqu'il faut apprécier le parti à la tête duquel il se place, est un homme politique auquel on accorde généralement beaucoup de probité, et de dévouement. Par malbeur, il a rendu ces belles qualités inutiles à son pays, par l'exagération de ses principes démocratiques; par un attachement à ses propres idées qui va jusqu'à l'obstination; par une irritabilité qui lui fait trouver un ennemi de sa personne dans tout contradicteur et une calomnie dans toute réfutation. Aussi, nous avons vu, dans le temps, à la Chambre des Représentants, M. Gendebien demeurer isolé sur son banc et constituer un obstacle pour l'opposition. Il n'en sera pas autrement aujourd'hui. L'estime personnelle qu'on lui porte ne fait pas illusion sur sa valeur d'homme d'État, et sa témérité politique, qui jadis détacha de lui la gauche elle-même, ne peut qu'écarter des rangs de l'Alliance ceux qui aiment à se rendre compte des suites de leurs démarches.

Ces défauts auront les mêmes conséquences dans le cercle plus restreint où M. Gendebien renferme son action. Le style est l'homme, dit-on, et nous en avons un nouvel exemple dans son discours d'ouverture, pièce qui semble plus faite pour occuper l'assemblée de la personnalité et des antipathies de son président, que pour formuler des griefs à redresser ou un but à réaliser.

Or, nous ne croyons pas assez à l'abnégation des membres de l'Alliance pour les supposer prêts à s'absorber longtemps dans une individualité.

Une pareille assemblée est moins apte que tout autre à se plier aux formes absolues et impérieuses de son chef actuel. Il est vrai qu'il a manifesté l'intention arrêtée de quitter le fauteuil, mais il faudrait mal le connaître, pour se figurer qu'il puisse prendre une part active à une réunion quelconque sans tendre à la diriger, au moins de fait, dans ses propres idées, impatientes de toute contradiction.

Indépendamment de ses défauts organiques, l'Alliance se fait, comme nous l'avons dit plus haut, une complète illusion sur son ascendant moral. Elle oublie de tenir compte des événements qui nous séparent de 1847. Elle oublie que bien des yeux se sont dessillés au spectacle de ce qui se passe chez nos voisins, et qu'elle trouvera maintenant pour adversaires nombre d'hommes qui jadis suivaient ses drapeaux, entraînés qu'ils étaient par une effervescence irréfléchie. Les idées ultrà-démocratiques de la partie la plus saine de ses membres, les idées républicaines des autres trouveront en Belgique moins de sympathie que jamais. Rome, Florence, Paris ont trop montré aux plus aveugles ce qu'est la république, ce qu'est le Gouvernement arraché aux mains des princes pour être jeté aux clubs. La Belgique n'est nullement soucieuse de sacrifier son repos, son commerce, son industrie, son existence peut-être, pour soumettre à un nouvel essai des utopies auxquelles elle n'a jamais pris goût, qu'elle a repoussées par l'organe du Congrès, et qu'une récente expérience, étrangère heureusement pour nous, vient de condamner de la manière la plus solennelle.

Si la passion pouvait raisonner, on ferait observer aux membres de l'Alliance que leurs rêveries sont l'objet d'une réprobation universelle. Les démonstrations nationales de l'année dernière, la presse, le cri de l'opinion générale, auraient dû le leur apprendre. L'élimination des membres de cette société des fonctions électives, jusque dans la ville où elle trônait, l'attitude des Chambres et de tous les corps élus auraient dû leur prouver leur isolement. Mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et l'Alliance condamnée à l'inaction pendant huit mois, veut à tout prix faire acte de vie. A son aise !

Loin de redouter la résurrection de l'Alliance, nous la croyons utile au ministère en ce qu'elle resserrera l'union de tous ceux qui veulent maintenir la Belgique dans ses voies de 1830. Là n'est pas le danger. Ce qui nous parait plus grave, c'est la constitution d'un parti opposant, moins apprécié. Nous craignons beaucoup moins l'Alliance, trop compromise aujourd'hui pour être dangereuse, qu'une autre nuance de l'ultrà-libéralisme, encore libre de choisir et sa position et un drapeau qui n'effarouche pas à son apparition. Cette nuance, à laquelle nous croyons pouvoir attribuer les symptômes récents d'opposition parlementaire, est mal servie par le concours de l'Alliance,

« PreviousContinue »