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révolte contre les pouvoirs qu'on qualifie de tyranniques, l'autre ordonnant la soumission même aux tyrans ou du moins défendant la résistance armée, faisant une vertu de la souffrance volontaire et de la patience.

Que les écrivains de l'école socialiste trouvent détestable la maxime d'obéissance portée ainsi presqu'à l'extrême, je n'y puis rien; mais alors, au nom du sens commun, qu'ils ne se disent pas chrétiens et continuateurs du Christ, puisque les maximes évangéliques sont trop fortes pour leur tempérament.

La première épître de St-Pierre contient sur la doctrine de la soumission aux puissances des endroits très-significatifs :

« Soyez soumis, pour l'amour de Dieu, à toutes sortes de personnes, soit >> au Roi comme souverain, soit anx gouverneurs, comme à des hommes » envoyés par lui pour punir les méchants et récompenser les bons. Ser» viteurs, soyez soumis à vos maîtres en toute crainte, non seulement à ceux » qui sont bons et doux, mais même à ceux qui sont fâcheux, car le mérite » consiste à souffrir par un motif d'amour pour Dieu, à endurer avec patience » les peines injustes.

>> J.-C., qui n'a commis aucun péché et dans la bouche de qui le mensonge » n'a pas été trouvé........ quand on le maudissait, il ne menaçait pas; mais il » s'abandonnait au pouvoir de celui qui le jugeait injustement. »

(Ire ép. St-Pierre, Ch. 2.)

St-Paul n'est pas moins formel: « Que toute âme soit soumise aux puis»sances supérieures; car il n'y a pas de puissance qui ne soit de Dieu. Or, >> toutes les puissances qui sont de Dieu sont dans l'ordre. Celui donc, » qui résiste aux puissances, résiste à l'ordre de Dieu; et ceux qui résistent >> attirent sur eux la condamnation. »

...« Il faut être soumis non seulement par crainte, mais aussi par prin»cipe de conscience. C'est pour cela que vous payez le tribut aux princes, (Ép. aux Rom. Ch. 13.)

» parce qu'ils sont les ministres de Dieu. »>

Cette soumission, les apôtres, les disciples, les martyrs innombrables de la primitive Église la pratiquaient à la rigueur; seulement, si les puissances prétendaient leur imposer une chose contraire à la loi révélée, alors ils résistaient; mais comment? Était-ce en prenant les armes, en s'insurgeant? Non, mais en se laissant égorger. Ils répondaient comme St-Pierre aux Juifs, quand les anciens et les chefs du peuple leur commandaient de ne parler ni enseigner jamais au nom de Jésus : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu. » — Les princes les persécutaient; les chrétiens, fidèles à Dieu et au devoir de la soumission, souffraient

sans murmurer.

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Voyez St-Cyprien devant le proconsul d'Afrique, Aspasius Paternus :

« Le proconsul : « Les très-saints Empereurs Valérien et Gallien ont daigné

» m'expédier des lettres où ils ordonnent à quiconque ne professe pas la re»ligion de Rome, de se soumettre au culte public. Je t'ai fait citer leurs » ordres; qu'as-tu répondu? - Cyprien Je suis chrétien et évêque; je » ne connais d'autre Dieu que le Dieu unique et véritable, celui qui a créé » le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment. Tel est notre Dieu à >> nous autres chrétiens. Nous le prions le jour, nous le prions la nuit ; nous » lui adressons des vœux pour le salut des Empereurs. Le Proconsul : » Ainsi tu persévères dans ton obstination? - Cyprien : La volonté qui a

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>> ma foi comme Dieu est immuable. Le Proconsul: Eh bien, va en exil » à Curube; Valérien et Gallien l'ordonnent.

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Cyprien J'y vais. »

« Notre Seigneur s'est laissé conduire à la mort comme une brebis à >> l'autel du sacrifice..... Je n'aime ni la révolte ni la contradiction, dit-il; » j'ai livré mon dos aux verges et mon visage aux soufflets. Je n'ai point >> détourné ma face de l'indignité des crachats.» (St-Cyprien, lettre VI à Rogatien.)

Et pourtant, à quelle époque les droits les plus sacrés, les droits imprescriptibles pour parler le langage moderne, furent-ils plus cruellement violés? Manquait-il de raisons légitimes aux martyrs pour se défendre et même pour aller jusqu'à l'insurrection? Supposez des socialistes démagogues à la place des chrétiens, se seraient-ils abstenus de la force? - Personne ne le croira.

Écoutez encore Tertullien au proconsul Scapula :

« Le chrétien n'est l'ennemi de personne, à plus forte raison du prince. » Comme il sait qu'il est établi par son Dieu, il faut nécessairement qu'il le » respecte, qu'il l'honore, qu'il prie pour la conservation de ses jours et pour le » salut de l'empire.... »

.....

« Que nous obéissions en toutes choses à la loi de la patience que >> Dieu nous a enseignée, il est facile de vous en convaincre, puisque, » malgré notre immense multitude qui forme presque la majorité dans chaque » ville, tel est notre désir, telle est notre réserve, que vous ne nous connaissez » qu'individuellement, en rassemblements tumultueux jamais, ne nous distin» guant des autres citoyens que par la réforme de nos vices. A Dieu ne » plaise, en effet, que nous murmurions contre des souffrances qui comblent » nos désirs ou que nous tramions par nos mains une vengeance que nous >> attendons de Dieu. » (TERTULL. à Scapula proc., Ch. 2.)

On ne dira pas que les chrétiens ne pratiquaient la patience que parce qu'ils étaient sûrs d'avance de n'être pas les plus forts; leur immense multitude pouvait leur donner quelqu'espoir de vaincre les persécuteurs; mais l'esprit chrétien était opposé aux séditions, aux rassemblements tumultucux, et les chrétiens préféraient le martyre.

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Voyez, au contraire, nos réformateurs soi-disant chrétiens, si après une

défaite préalable, ils se tiennent tranquilles, on n'osera pas soutenir que c'est par esprit de patience et de résignation; mais tous les jours on lira dans les journaux qu'il y aurait maladresse, impolitique, imprudence à descendre dans la rue; qu'on fournirait une nouvelle occasion de facile triomphe au pouvoir; qu'il faut se réserver pour d'autres temps plus favorables et tenir ses armes prêtes. Leur résignation n'est plus dès-lors une vertu; c'est un calcul.

Les socialistes n'ont pas horreur, que je sache, des rassemblements tumultueux, et je cherche vainement quels vices le socialisme a réformés dans ses adeptes. --Oh! combien, à mesure que nous avançons dans notre sujet, nous trouvons de différence entre l'esprit du christianisme et l'esprit révolutionnaire, entre la pensée évangélique et la pensée du socialisme démagogique ! St-Justin, dans sa première Apologie, rappelle que a Dieu interdit aux Chrétiens la résistance. » Voici comment il parle de ces Empereurs qui faisaient couler à flots le sang des fidèles, et remarquons que ces persécutions étaient bien autrement atroces que les quelques désagréments dont nos novateurs peuvent se plaindre aujourd'hui : « Pour les devoirs qui vous concernent (vous les Empereurs), nous les remplissons tous avec joie : nous tous reconnaissons les arbitres et les maîtres de la terre, et avec ce pouvoir dont vous êtes revêtus, nous demandons au Ciel de vous conserver toujours la saine raison, qui en règle l'usage. »

« Les Chrétiens n'ont que de l'amour pour ceux qui les haïssent. »

(ST.-JUSTIN, Ép. à Dioguète. Ch. 5)

« On nous maudit et nous bénissons; on nous persécute et nous souffrons. On nous blasphème et nous prions; nous sommes devenus comme le >> rebut de tous, comme les balayures du monde. » (St.-Paul, Ép. aux Corinth. Ch. 4.)

Dans Saint Théophile (Livres à Autolyque) : « L'Empereur est en quelque » sorte le délégué de Dieu.... honorez done l'Empereur, mais honorez-le en >> l'aimant, en priant pour lui; si vous le faites, vous accomplissez la volonté » de Dieu, manifestée dans ces paroles: Mon fils, honore Dieu et le Roi, et »> ne leur désobéis jamais. » - Et de quels maîtres s'agissait-il pour les chrétiens? il s'agissait de tyrans abominables, de monstres à face humaine, de Néron et de Domitien; même à ceux-là il faut obéir. St-Irénée, qui devait périr dans la persécution de Septime-Sévère, et qui certes pouvait avoir des pensées de révolte, écrivait cependant : « Dieu a dit par la bouche de Salomon «Par moi les Rois règnent et les législateurs rendent les lois; >> par moi règnent les princes et les puissants et tous les juges de la terre. » « Il n'y a point de puissance, dit St-Paul, qui ne soit de Dieu... » Et, ajoute St-Irénée, il est bien question ici des puissances de ce monde. (Livres contre les hérétiques, V. 24)

Il faut donc obéir aux puissances ou accepter le martyre pour ne pas enfreindre la loi de Dieu.

St-Polycarpe dit au proconsul: « J'ai bien voulu vous répondre, parce que » nous regardons comme un devoir de rendre aux princes et aux magistrats » établis de Dieu l'honneur qui leur est dû, autant que nous pouvons le faire » sans blesser notre conscience. >> Et St-Polycarpe, sollicité de renoncer à la foi, n'ameute pas le peuple contre les autorités impériales; il va au martyre: c'est la seule résistance qu'un chrétien se permit alors. Les mauvais Gouvernements comme les bons sont les instruments de Dieu icibas; on travaille à les rendre meilleurs par la prière, la parole et les écrits, mais on les respecte:

<< Celui qui donne l'existence aux hommes remet le sceptre aux mains » des Rois (et par là on entend tout pouvoir terrestre,) suivant les besoins des » temps et des événements. Les uns sont envoyés pour la prospérité des » peuples, pour les éclairer et maintenir la justice parmi eux; les autres » pour les frapper et les châtier; d'autres encore pour produire une fausse » illusion de gloire et pour humilier l'orgueil populaire, suivant que les peuples » le méritent par leur conduite. »

(ST-IRÉNÉE, livres contre les hérét. IV, Ch. 24.)

Étonnant résultat ou plutôt juste récompense de l'accomplissement de la loi divine, la victoire reste aux persécutés! Livrés aux bourreaux, brûlés, déchirés avec les plus incroyables raffinements de barbarie, ils triomphent. -Plus la fureur des puissances payennes multiplie les supplices, plus le christianisme s'accroît et se répand à travers l'empire et hors de ses frontières; c'est une fleur mystérieusement semée dans les larmes et qui grandit dans le sang et le feu. Les chrétiens ne veulent que souffrir; ils aspirent à la mort glorieuse de l'amphithéâtre, ils n'opposent aux juges et aux tribuns qu'une soumission parfaite jusqu'aux limites de la foi; jamais les menaces ou les armes, ils honorent les dépositaires du pouvoir qui les frappe, ils prient pour ceux qui les torturent, et cependant le monde se convertit à la doctrine de ces malheureux qui ne pratiquent d'autre résistance que l'insurrection du martyre. Pourquoi donc cette victoire, ces succès extraordinaires? Pourquoi?-parce qu'ils n'en appelèrent pas à la force; parce qu'ils n'eurent confiance qu'en leur faiblesse. Et d'où venait cette résignation? De la croyance en Dieu et en sa parole.

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Le socialisme, et les sectes séparées de l'unité catholique, sont naturellement insurrectionnelles. - C'est qu'ils n'ont pas Dieu et sa parole pour bases, c'est qu'ils n'ont ni foi réelle, ni doctrine assurée. Je me hâte d'ajouter qu'il n'est pas à craindre que jamais ces sectes se résignent pour longtemps au martyre, à la souffrance volontaire, à l'obéissance; car il leur manque ce qui leur inspirerait cette résolution, la certitude. Ainsi au

16° siècle, le protestantisme fit d'abord des progrès rapides alors qu'il avait pour lui le prestige de la souffrance, (sans compter les motifs purement

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humains qui favorisaient ses commencements); partout où, malgré ses prétentions de ressemblance avec les chrétiens primitifs, il prit les armes Les protescontre les pouvoirs établis, ses progrès s'arrêtèrent aussitôt. tants en appelèrent à la force, parce qu'ils ne venaient pas de Dieu, parce que leur secte avait plus d'orgueil que de conviction, parce qu'elle renfermait d'impurs alliages et des intérêts secondaires. Les insurrections de la réforme sont à la fois une des preuves de l'indignité de sa cause, et une des raisons de ses avortements. (Voir BossUET, Hist. des Variations...)

Les socialistes démocrates, sans doute, s'estiment les plus fiers représentants de la liberté, parce qu'ils sont toujours prêts à défendre par la violence leurs droits en péril; ils ne comprennent rien à la véritable liberté chrétienne, qui consiste non à regimber contre toute espèce de joug, mais à le supporter, avec joie, par devoir. Ici la doctrine de l'Évangile est évidemment au-dessus de l'intelligence des hommes qui l'invoquent si souvent pour soutenir leurs Néanmoins je erreurs; on doit la réserver pour des esprits plus éclairés. ne puis m'empêcher de citer à cette occasion un éloquent passage d'un traducteur des pères :

« En ces jours déplorables où le pouvoir était entre les mains des hommes » les plus pervers, les chrétiens, à qui J. C. avait dit : Rendez à César ce » qui est à César.... étaient soumis aux maîtres légitimes de l'empire; mais » en même temps; ils prêchaient la vérité qu'il leur avait été ordonné de » répandre. Tout en se soumettant au pouvoir temporel de Claude..., Saint» Pierre ne reconnaissait pas le sacerdoce dont Claude était revêtu. Aussi » c'est à l'apparition des chrétiens qu'il faut rapporter l'existence de la » liberté véritable sur la terre, de la liberté des enfants de Dieu. On a dit : il n'est personne qui ne puisse être gouverné, parce qu'il n'y a personne » qui ne soit accessible à la crainte ou à l'espérance; la religion de J.-C. a >> créé des hommes inaccessibles à la crainte et à l'espérance terrestres, des >> hommes à qui les Rois et les magistrats ne sauraient rien commander >> contre la conscience, mais qui obéissent par principe même de conscience » à la puissance temporelle, dans tout ce qu'elle ordonne de conforme à la »loi de Dieu.» (DE GENOUDE, T. I, p. 70.)

De ce chapitre que conclure? Que les socialistes, quant au procédé révolutionnaire, sont encore à l'antipode du christianisme.

(La suite à une prochaine livraison.)

F. CHON.

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