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geste et confuse, Pierre Leroux, affirmait sans sourciller que « tout le socialisme était dans le discours de la montagne! » Assertion certainement trèsoriginale, si l'on considère que le socialisme a pour but spécial de procurer à tous les hommes une part égale des joies mondaines, de substituer une charité légale à la charité volontaire, la vie législativement ordonnée à la vie libre de la conscience, le droit au devoir, la concupiscence à l'abstinence et à la résignation.

Le sermon sur la montagne est l'exaltation du sacrifice; le sacrifice y est. recommandé an riche, au pauvre, à tous les hommes sans distinction. Or, le socialisme demande que le riche se sacrifie, fasse abnégation de sa richesse, et il ne parle jamais au pauvre de douleur volontairement acceptée ou même recherchée; il ne dit pas que le pauvre doit bénir sa pauvreté. Il m'est donc évident que le sermon de la montagne est le contrepied du socialisme, car, dans ce sermon, le Sauveur maudit toutes les concupiscences, toutes les désobéissances, les vengeances, les rébellions, etc.

J'éprouve une profonde satisfaction à citer une partie du sublime et simple langage de Jésus-Christ, afin qu'on le compare à ce que serait un sermon socialiste:

« Or, Jésus voyant la multitude, monta sur une montagne, et lorsqu'il >> fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui, et ouvrant la bouche, il les » instruisait, disant :

<< Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des Cieux leur appartient.

» Bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont la terre.

» Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés.

>> Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassassiés.

» Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde. » Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu.

» Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu.

>> Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des Cieux est à eux.

» Vous êtes heureux, lorsque les hommes vous maudiront et vous persécuteront, et diront faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi.

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>> Ainsi que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres, et qu'ils glorifient votre père qui est dans les Cieux

>> Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens « Tu ne tueras point et quiconque tuera sera condamné par le jugement. >> Et moi je vous dis : « quiconque s'irrite contre son frère sera condamné.... Hàtez-vous de vous

....

» réconcilier avec votre adversaire, pendant que vous êtes en chemin avec » lui.....

..... « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens: tu ne commettras pas d'adultère... Et moi je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son cœur.....

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D Vous avez entendu qu'il a été dit: œil pour œil, dent pour dent.

» Et moi je vous dis de ne point résister aux mauvais traitements : mais si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l'autre. »

« Et à celui qui veut disputer avec vous en jugement et vous enlever votre » tunique, abandonnez encore votre manteau... Et celui qui vous forcera de >> faire avec lui mille pas, faites en encore deux mille avec lui.

» Donnez à celui qui vous demande; ne repoussez pas celui qui veut emprunter de vous. »

» Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras » ton ennemi... et moi je vous dis : Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux » qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. »

« N'amassez pas des trésors sur la terre où la rouille et les vers dévorent, où les voleurs fouillent et dérobent. » ................ ..... Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses. C'est pourquoi je vous dis : « Ne vous inquiétez point pour » votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps comment vous le » vêtirez... Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, »> ni n'amassent dans les greniers, et votre père céleste les nourrit ; n'êtes>> vous pas beaucoup plus qu'eux ? » Pour le vêtement, de quoi vous » inquiélez-vous? Considérez comment croissent les lis des champs : ils ne » travaillent ni ne filent. Or, je vous dis que Salomon même, dans toute sa » gloire, n'était pas vêtu comme l'un d'eux. Si Dieu revêt ainsi l'herbe des >> champs combien aura-t-il plus de soin de vous vêtir, hommes de peu » de foi ! »>

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» Ne vous inquiétez point en disant : « Que mangerons-nous ou que >> boirons-nous ou de quoi nous vêtirons-nous?... » Cherchez premièrement » le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par » surcroîl, etc., etc. »>

Je me laisserais aller à copier tous les versets de l'Évangile de St-Mathieu, mais il est nécessaire de nous borner au sujet qui nous occupe.

Eh bien! au lieu de Jésus, placez sur cette montagne un socialiste, un Fourier, un Leroux, un Proudhon, un Cabet, et franchement dites-moi si c'est là le discours qu'ils prononceraient devant la multitude. Y a-t-il dans les paroles du Rédempteur un seul mot de haine, de vengeance, de récrimination, de désir du bien-être, de passion à satisfaire, de communisme enfin !

Il exhorte le riche à la charité, mais cherche-t-il à le rendre odieux au

pauvre par des déclamations? lisme appelle malheur?

N'appelle-t-il pas bonheur ce que le socia

Bienheureux les pauvres en esprit, dit l'Évangile, les pauvres volontaires et résignés. Absurde est la résignation à la pauvreté, dit le socialisme. Bienheureux les doux, dit l'Évangile, et le socialisme n'a jusqu'à présent usé que de la foree.

Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, dit l'Évangile. Bienheureux ceux qui peuvent rassassier leurs appétits, voire leurs vices même, dit le socialisme. Bienheureux les pacifiques, dit l'Évangile; il ne faut point résister aux mauvais traitements, mais si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui la gauche. L'insurrection est un devoir, dit le socialisme démocratique.

L'Évangile va plus loin: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haissent, et priez pour ceux qui vous persécutent. » Est-ce là, je vous le demande, une maxime familière aux clubistes?

« Quiconque aura regardé une femme par convoitise, a déjà commis l'adullère dans son cœur, » dit l'Évangile, et certains socialistes admettent la promiscuité des sexes.

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Nous pourrions poursuivre ce parallèle, et presqu'à chaque article nous trouverions une contradiction manifeste entre le sermon de la montagne et les paroles ou les actes du socialisme. Il est vrai que, çà et là, le Sauveur émet des sentences très-sévères contre les mauvais riches, et les socialistes s'en emparent; mais la morale chrétienne est un tout harmonique, et quand on en vante une partie, il faudrait avoir le courage de prendre aussi le reste. Si l'on se prévaut des anathèmes à l'opulence saus cœur, à la puissance oppressive, il serait juste en même temps d'accepter les passages qui frappent le mauvais pauvre, c'est à dire, le pauvre convoitant; les passages, qui blâment la révolte, l'adultère, la violence, la pensée seule de la vengeance, et ceux qui exaltent l'amour de la souffrance, du dénuement, etc. « Bienheureux ceux qui pleurent! »

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Il faudrait surtout entendre les paroles de l'Évangile dans l'esprit qui anime le Christ, dans la charité. Or les socialistes prennent bien parfois les mots de l'Évangile, mais l'esprit de l'Évangile, jamais. Leur charité est superbe, soupçonneuse, envieuse, vindicative, haineuse, flatteuse, égoïste, impatiente, aigre et toujours mécontente.-St.-Paul écrit aux Corinthiens: (1er Ép. Ch. 13) « La charité est patiente, elle est bénigne; la charité n'est point » téméraire et précipitée; elle ne s'enfle pas d'orgueil. Elle n'est point » ambitieuse; elle ne cherche point ses propres intérêts; elle ne se pique et ne » s'aigrit point; elle ne pense point le mal. Elle supporte tout, elle croit

» tout, elle espère tout, elle souffre tout. »

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C'est dans cet esprit que les apôtres réformaient le monde; est-ce vraiment dans le même esprit évangélique que les socialistes travaillent au bonheur de

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l'humanité? - Sans la charité (et ils n'ont ordinairement que la haine d'une classe d'hommes, ce qui leur donne l'apparence de la charité envers les autres,) il n'y a pas de chrétien. Le christianisme est tout amour. Les socialistes ne comprennent donc pas l'Évangile, ou n'y regardent que les mots dont ils ont besoin; le demeurant les importune. Ils font comme le gouverneur Félix qui consentait d'abord à entendre St-Paul, «< mais celui-ci » venant à parler de chasteté et de jugement à venir, Félix effrayé lui dit : » C'est assez maintenant. » (Actes, Ch. 24.) - De même, c'est assez pour le socialisme quand l'Évangile lui a fourni quelques formules, dont les expressions peuvent servir à sa théorie, et dont il méconnaît la signification en les séparant des passages qui en détermineraient l'esprit véritable.

Les socialistes s'habillent de lambeaux de la doctrine évangélique, mais cet habit emprunté cache ordinairement de grosses erreurs et des passions que le christianisme réprouve.

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L'Évangile est une loi d'amour; le socialisme est une loi qui renferme surtout des articles de violences et d'inimitiés. Quel rapport y a-t-il donc entre eux? L'absence de l'amour ou de la charité tue le socialisme; les belles phrases ne sauraient le sauver.

« Et voyant un figuier sur le bord du chemin, Jésus s'en approcha, et n'y » trouvant que des feuilles, il dit : Que jamais aucun fruit ne naisse de toi; » et à l'instant le figuier se sécha. » (ST-MATH. Ch. 21.)

Ainsi en sera-t-il du socialisme, parce qu'il n'aime pas réellement.

CHAPITRE IV.

L'obéissance est essentiellement chrétienne. Le socialisme démocratique fait constamment appel aux armes, à moins qu'il ne se sente pas assez fort.

S'il est un fait certain, reconnu par l'expérience, c'est que le parti qui s'intitule démocratique et social, à bout de moyens de succès, n'espérant plus rien de la discussion, de la parole et de la légalité, en appelle volontiers à la force. C'est un dogme de foi dans ce parti que l'Insurrection, en un cas donné, est non seulement droit, mais devoir, et le plus saint des devoirs. D'un autre côté, un fait non moins certain et que l'exemple des martyrs a suffisamment mis en lumière, c'est que l'obéissance, l'obéissance jusqu'à la mort, est une vertu chrétienne, que la résistance passive seule est permise quand un pouvoir persécuteur exige que l'on viole la loi de Dieu. Insurrection et obéissance, résistance par la force active et résignation sont des termes incompatibles.

Des écrivains ont affirmé que la révolution française, et partant les autres révolutions, qui ont débuté par l'insurrection, étaient des manifestations de l'idée chrétienne, des suites logiques de la doctrine évangélique. Rien de plus faux que cette assertion; le procédé révolutionnaire est ce qu'il y a de plus opposé à l'Évangile. Un auteur célèbre, Michelet (1), plus sensé en cela que ses confrères, prouve très-pertinemment que l'esprit révolutionnaire et l'esprit chrétien sont tout à fait ennemis; l'un poussant inévitablement à la

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(1) Histoire de la Révolution, T. I.

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